Le chapô de La Paix Maintenant
«Vous mieux que quiconque pouvez enclencher le processus visant à trouver une solution au conflit israélo-palestinien», écrivait début mai Yossi Beilin dans une lettre ouverte au président de l’Autorité palestinienne Ma’hmoud Abbas. Les deux hommes se connaissent bien, pour avoir négocié de concert depuis les prémices secrets des accords d’Oslo. De cela paraît témoigner une familiarité du ton coutumière entre eux, mais pour le moins maladroite à l’égard de celui qui représente la Palestine en trop longue et douloureuse gestation.
Et c’est par la plume du secrétaire général de l’OLP, Saëb Erekat, lui aussi négociateur face à Beilin depuis Oslo et jusqu’à Taba, qu’il fut répondu dans ces mêmes colonnes du Ha’Aretz. par une fin de non-recevoir. S’il réaffirmait l’attachement des Palestiniens à la solution “2 Peuples 2 États”, Erekat précisait: «Les Palestiniens n’ont jamais donné leur accord à la fondation d’un État aux frontières provisoires.Yossi Beilin se montre enthousiaste, mais distord les faits. Les autorités palestiniennes n’entretiendront pas l’idée de frontières intérimaires qui permettraient à Israël de poursuivre son processus d’annexion de territoires occupés.»
Nous rendons aujourd’hui compte de cette correspondance qui nous paraît éclairer les positions des uns et des autres. Si les Israéliens, y compris des tenants chevronnés de la “solution à 2 États”, proposent inlassablement des négociations bilatérales ou au mieux sous la seule égide du quartette, les Palestiniens ont eu tout loisir d’y voir un miroir aux alouettes permettant d’inscrire sur le terrain une politique de faits accomplis qui réduit la Palestine comme peau de chagrin… Ils ne comptent plus – comme on peut le lire dans une nouvelle tribune de Saëb Erekat publiée dans le Ha’Aretz et traduite sur ce site [1] – que sur l’engagement de la communauté internationale pour édifier la Palestine sur la Ligne verte, les frontières antérieures à la guerre des Six Jours.
L’article de Yossi Beilin
Ce n’est à l’ordre du jour de personne. Tous les responsables politiques qui font référence au vieux conflit israélo-palestinien commencent par dire que, dans la situation actuelle, la “solution à deux États” n’est pas réaliste. Ils ou elles l’affirment pour ne pas paraître dupes, ou hors-sujet.
Vous alléguez que tout dépend du côté israélien, mais celui qui peut mieux que quiconque faire pencher la décision vers une solution de ce type, c’est vous, Monsieur le Président. Acceptez les paramètres formulés par John Kerry en mars 2014 et déclarez que vous êtes prêt à négocier sur cette base la mise en œuvre de la seconde phase de la “feuille de route pour la paix” [2] que votre prédécesseur [3] avait adoptée sans réserves: un État palestinien aux frontières provisoires.
Vous tenez à la paix avec Israël sur la base de la formule de partition [de la Palestine mandataire] adoptée par les Nations unies il y a soixante-neuf ans, et qui fut alors agréée par la direction [de la population] juive et rejetée par les Palestiniens et le monde arabe au complet. Mais vous ne pouvez parler au nom de la bande de Gaza et du Hamas qui la gouverne, aussi tout accord avec nous ne sera – pour le moment – mis en œuvre qu’en Cisjordanie.
Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a changé d’avis et, depuis 2009, il a pris des engagements concernant la formule de la partition [4]. Mais il n’est pas prêt à en payer le prix, défini dans les célèbres paramètres Clinton [5] – et de façon beaucoup plus détaillée – dans l’initiative informelle de Genève [6].
Pour vous, ce serait une tragédie tant nationale que personnelle si votre présidence devait s’achever sans véritable espoir d’un État palestinien, avec bien moins de démocratie au sein de l’Autorité palestinienne, bien plus de corruption, et de profondes fractures internes. Â ce qu’il semble aujourd’hui, vous allez passer la fin de votre mandature, au terme de longue date périmé, à vous plaindre d’Israël (souvent à juste titre), tandis que très peu de gens de par le monde auront la patience de vous écouter.
Vous savez qu’aujourd’hui notre conflit ne suscite guère d’intérêt sur la scène internationale; les sacrifices consentis par les deux parties semblent mineurs dans le contexte des atrocités qui se déroulent autour de nous, menaçant la stabilité du Moyen-Orient et même celle de l’Europe. Vous voyez qui pourrait succéder au président Barack Obama, et vous comprenez combien la décision d’attendre le prochain président [des États-Unis] pourrait être risquée. Vous regardez vers l’Europe, et vous voyez combien elle est démunie. Vous savez également que l’initiative française ne changera pas la face du monde, non plus que les paramètres Obama, qui pourraient être ou n’être pas proposés entre novembre 2016 et janvier 2017. Le moment de bouger est venu et il est, à de multiples égards, entre vos mains.
C’est l’occasion: Israël ne peut éviter le moment proche où une minorité juive dominera une majorité palestinienne, directement ou indirectement. Les Palestiniens ne veulent pas laisser passer cette chance de fonder leur propre État et le président Obama – qui a apparemment baissé les bras – facilitera avec enthousiasme toute initiative prenant sa source dans la région, dans le but de sauver ce chapitre de son héritage.
Il y a quinze ans, un gouvernement israélien du Likoud et une OLP dirigée par Arafat acceptèrent la feuille de route du “quartette” pour le Moyen-Orient, qui se mua en résolution 1515 du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Elle comprenait trois étapes: la seconde était l’établissement d’un État palestinien aux frontières provisoires; et la troisième des négociations portant sur le règlement permanent du conflit entre le gouvernement d’Israël et le nouveau gouvernement de la Palestine. Lorsque j’en ai parlé avec vous il y a quelques années, vous m’avez dit que vous n’iriez pas dans cette voie à moins qu’elle n’inclue une vue claire du règlement permanent et un calendrier pour y parvenir. Allez-y maintenant.
Cette vue vous a été offerte en mars 2014 par le secrétaire d’État américain John Kerry. Vous lui devez toujours une réponse. Je n’ai jamais eu son plan sous les yeux, mais j’imagine qu’il n’est guère éloigné de ce que nous connaissons tous de la solution: les frontières entre les deux États ressembleraient à celle de 1967, avec des échanges réciproques; la Jérusalem arabe deviendrait la capitale palestinienne; la Jérusalem juive, la capitale reconnue d’Israël; l’État palestinien ne serait pas militarisé; et les deux États seraient reconnu l’un par l’autre comme la patrie de chacun des deux peuples, sans préjudice pour les minorités vivant dans les deux pays.
Ce peut être difficile à avaler pour vous, et difficile à accepter pour Nétanyahou, mais vous savez l’un comme l’autre au plus profond de vous qu’il n’y a globalement pas d’autre solution. Je suggérerais un élément de confédération entre deux États pleinement indépendants et souverains, qui vous rendra plus facile d’accepter des citoyens israéliens qui pourraient souhaiter rester en Cisjordanie en tant que résidents palestiniens, et à Nėtanyahou d’accepter un certain nombre de citoyens palestiniens en tant que résidents israéliens. Je crois que se mettre d’accord sur un calendrier en vue de l’accord permanent sera possible, quoique pas facile.
.Je suggérerais un élément de confédération entre deux États pleinement indépendants et souverains, qui vous rendra plus facile d’accepter des citoyens israéliens qui pourraient souhaiter rester en Cisjordanie en tant que résidents palestiniens, et à Nėtanyahou d’accepter un certain nombre de citoyens palestiniens en tant que résidents israéliens. Je crois que se mettre d’accord sur un calendrier en vue de l’accord permanent sera possible, quoique pas facile.
Dotées d’une perspective – éventuellement celle du quartette, à prendre en considération mais non adoptée par les deux parties – et d’un calendrier, les négociations peuvent prendre très peu de mois, tant sur les frontières provisoires que sur les arrangements de sécurité mutuelle le temps de négocier le traité définitif. La solution à deux États, qui paraît aujourd’hui irréaliste, peut devenir une option très réelle. Cela dépend beaucoup de vous.
Notes
1] Dr Saëb Erekat, “Le sommet de la paix à Paris va rééquilibrer le pouvoir entre Israël et la Palestine”: [
[2] «Feuille de route pour la paix» adoptée par un quartette diplomatique réuni le 30 avril 2003 pour tenter de mettre un terme au conflit israélo-palestinien. Le quartette (ou quatuor) était composé de l’Organisation des Nations unies, de l’Union européenne, des États-Unis d’Amérique et de la Fédération de Russie. Cette feuille de route était destinée à aboutir, par étapes, à un règlement permanent du conflit israélo-palestinien sur la base du principe de l’existence de deux États.
[3] En l’occurrence, Yasser Arafat.
[4] Engagements pris par Nétanyahou en 2009 dans son “discours de Bar-Ilan, donné à l’occasion d’un colloque pour la paix tenu sur le campus de cette université tel-avivienne.
[5] Listant, en décembre 2000, les compromis mutuels que les deux partenaires du processus d’Oslo devraient faire afin de parvenir à un accord définitif. Le cabinet israélien les adopta officiellement “sans réserves”, et Arafat de même… mais un communiqué de la Maison-Blanche fit état début janvier de réserves réciproques.
[6] Des réserves que l’on peut avec l’auteur penser proches de celles suscitées depuis 2003 par les ”Accords de Genève” – des protocoles signés au premier chef par Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, approuvés par Arafat et rejettés,par Sharon – malgré un vaste soutien international, de Gorbatchev à Carter en passant par Boutros Gali. L’esplanade des Mosquées versus le renoncement au droit au retour des réfugiés, si ce compromis est loin de faire l’unanimité parmi les Palestiniens, que dire de l’évacuation des colonies pour la “droite israélienne” alors au pouvoir, et plus encore pour l’extrême-droite religieuse ou non aujourd’hui à la manœuvre?