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The Washington Post,12 février 2005
« Cette fois, je suis optimiste »
par Eyad El Sarraj [[Eyad El Sarraj est psychiatre et militant pour les droits de l’homme à Gaza]]
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Gaza – Quelques jours après qu’Ariel Sharon et Mahmoud Abbas eurent déclaré
un arrêt des hostilités, je rencontrais quelques-uns des nombreux journalistes et commentateurs qui arpentent nos rues.
Ils ne donnaient pas beaucoup de chances à la paix. Le Hamas avait déjà tiré
des roquettes sur une colonie israélienne, par défi, et Sharon a démontré depuis longtemps qu’il est prêt à répliquer à n’importe quelle provocation, en redoublant de force. Comme nous tous ici, ces journalistes ont connu de nombreux cessez-le-feu, et des déclarations vite devenues nulles et non avenues. Quelques-uns avaient des collègues qui s’étaient fait tuer.
L’humeur était si sombre que, pédopsychiatre de profession, le sentiment
s’empara soudain de moi que je me trouvais en consulation, en train d’instiller une once d’espoir dans les cœurs d’adolescents traumatisés.
« Pensez-vous vraiment que le Hamas va stopper les actes de terrorisme? », me
demanda l’un des journalistes, « même s’il annonce qu’il n’est pas lié par l’accord? »
« Oui », répondis-je, à son évidente stupéfaction.
Cela fait de nombreuses années que j’observe le Hamas de près, depuis qu’il
est passé du statut de petit mouvement religieux islamique à celui d’une armée importante. Cela fait longtemps que je débats de politique avec ses leaders et avec ses membres. Cette expérience me porte à croire que le Hamas va bientôt se transformer en un parti politique qui envisagera sérieusement de parvenir au pouvoir par des moyens démocratiques.
Il y a de solides raisons à mon optimisme. La première est que le Hamas a, enfin, une raison positive d’en finir avec le terrorisme. Pendant des années, sa raison d’être a été l’action militaire. Mais le Hamas vient d’obtenir une grande victoire aux élections municipales dans la bande de Gaza, en remportant 70% des sièges des conseils locaux. Le Fatah, parti au pouvoir qui domine depuis longtemps le paysage politique, a subi une défaite sévère. Le Hamas dispose d’un avenir garanti s’il choisit d’abandonner la lutte armée.
De plus, ceux qui connaissent le Hamas de près ont noté en son sein d’importants signes de changement. Sur la base de certaines remarques de son
chef, Sheikh Ahmed Yassine, avant son assassinat l’année dernière, on peut en
déduire que le Hamas est aujourd’hui prêt à accepter une solution à deux Etats au conflit israélo-palestinien. Et, comme l’ont montré les récentes élections, le Hamas participe aujourd’hui pleinement au processus démocratique, processus qu’il qualifiait il n’y a pas si longtemps de conspiration occidentale, et même de péché.
Le Hamas devient plus organisé, plus sophistiqué, et plus confiant en lui-même. Par exemple, pendant la première intifada, le Hamas était prompt à accuser des gens de collaboration avec Israël et à les exécuter. Cela montrait une certaine forme d’insécurité. Le Hamas d’aujourd’hui ne désire plus tuer de compatriotes palestiniens, et demande à la place à l’Autorité palestinienne de faire respecter la loi.
Cette confiance en soi a grandi avec le soutien populaire dont il bénéficie, grâce à un large réseau de programmes sociaux, à son image d’incorruptibilité, à son adhésion aux valeurs morales musulmanes et, plus important, à son passé de lutte contre Israël. Il est important de comprendre qu’alors qu’aux yeux de beaucoup, les attentats suicides ont fait du Hamas un synonyme du terrorisme, certains Palestiniens considèrent cette tactique comme une manière de contrebalancer la terreur qu’Israël enfonce dans nos gorges. De nombreux Palestiniens abhorrent ls atrocités commises par le Hamas dans les rues de Jérusalem, mais ajoutent : « les Israéliens le méritent jusqu’à temps qu’ils arrêtent de tuer nos enfants ».
En résumé, le Hamas a gagné son soutien populaire, et ne veut pas le perdre,
comme il ne veut pas rater son rôle à jouer dans le futur de la Palestine. Et c’est la raison pour laquelle je crois qu’il coopérera avec Abou Mazen, nom que donnent les Palestiniens au président Abbas, par respect. Précisément parce que le Hamas dispose d’une forte base populaire, il reconnaît que la plupart des Palestiniens ont compris que la violence ne fait qu’inviter des représailles.
Les dirigeants du Hamas ont dit et répété qu’ils respectaient Abbas et le
processus démocratique qui avait conduit à son élection. Et, bien que de violents incidents se soient produits ces derniers jours, du fait de certains éléments qui voulaient en découdre, les dirigeants de l’organisation ont très vite amorcé un retrait dès que le président eut dénoncé ces attaques.
La réaction rapide d’Abou Mazen à la rupture du cessez-le-feu (en dehors de
s’être exprimé contre le Hamas, il a démis des généraux influents et déclaré
l’état d’urgence) reflète sa volonté d’aller au-delà de la phraséologie de la paix. Il montre de la conviction, du courage et de la détermination. Contrairement à feu Yasser Arafat, il ne considère pas la paix comme une tactique parmi d’autres, à côté de la lutte armée, pour faire accepter par Israël un Etat palestinien. Mahmoud Abbas partage cette ambition d’un Etat, mais pense que seule la paix peut le faire advenir.
Il est également populaire en Israël, les sondages le montrent, et de ce côté-là du conflit aussi, je trouve des raisons d’être optimiste. Pour illustrer cet optimisme, j’ai conclu mes remarques aux journalistes en racontant une petite histoire.
Il y a peu, j’étais arrêté à la frontière de Gaza, avec quelques collègues. A l’intérieur du poste de frontière se tenait un soldat israélien, et son visage apparaissait régulièrement à intervalles de quelques minutes, à travers une petite ouverture dans le béton. A ma grande surprise, il s’adressa à moi et me demanda :
« Vos amis disent que vous êtes psychiatre. Puis-je vous poser une question? »
« Oui », répondis-je prudemment.
« J’ai un problème, docteur. J’habite une colonie près de Hebron, et je voudrais m’en aller ».
Je cachai ma surprise et jouai au psychiatre, écoutant calmement ce jeune homme au visage poupon et à la barbe naissante ;
« Mes parents veulent que je reste, mais je sais que cela ne mènera qu’à
davantage de morts. Je ne me sens pas bien là-bas, mais je ne veux pas fâcher mes parents qui se sont sacrifiés pour moi ».
Après un moment, je dis :
« Je pense que le mieux est de parler de vos sentiments avec votre père et avec votre mère. Cela serait le mieux pour les convaincre de votre décision. Mais je voudrais vous dire autre chose, mon ami. »
Le soldat se mit à sourire alors que je poursuivais :
« En choisissant de me parler de vous, vous me faites sentir fier de l’humanité, et confiant en son avenir ».
Il tendit le bras à travers le trou pour me serrer la main, en disant :
« J’ai confiance en vous ».
Nous nous faisons confiance, dis-je aux journalistes, nous le devons s’il doit y avoir un progrès. Je crois avec force que dans un avenir proche, nous pourrons inclure le Hamas dans [cette dynamique de] confiance, avec prudence et espoir.