Lior Amihaï, directeur général de Shalom Akhshav
Tandis que les citoyens israéliens suivent l’évolution de la guerre, le gouvernement mène tranquillement et résolument une politique qui conduit à l’abîme s’agissant de l’un des fronts dont on parle le moins. Parallèlement à la question des otages, de la guerre dans la bande de Gaza et au nord et des dizaines de milliers d’évacués, l’accent a été mis au cours de l’année écoulée sur la mission principale du gouvernement : l’annexion des territoires et la transformation d’Israël d’un État juif et démocratique en un État juif messianique.
C’est là le résultat de l’accord politique qui permet l’existence de ce gouvernement à droite toute : les ultra-orthodoxes reçoivent l’exemption de la conscription, Netanyahu et le Likoud accèdent aux pleins pouvoirs (tout en détruisant la démocratie) et la droite messianique reçoit l’annexion sur un plateau d’argent. Alors que la destruction de la démocratie et la question du recrutement des ultra-orthodoxes reçoivent plus ou moins une réponse de la Cour suprême, et mobilisent une population courageuse et déterminée, l’annexion des territoires progresse à un rythme fulgurant, sans presque aucune opposition ni lutte publique, et les résultats sont effrayants.
Appliquer la souveraineté israélienne aux territoires occupés sans accorder des droits égaux aux Palestiniens fait d’Israël un pays non démocratique. Transformer Israël en un État d’apartheid a des conséquences dévastatrices pour l’État, au-delà du préjudice causé aux Palestiniens et de l’aspect moral, principalement quant à la sécurité, à l’économie et aux relations extérieures du pays.
Les chercheurs en charge du suivi des colonies au sein de Shalom Akhshav ont documenté la création de 43 avant-postes illégaux depuis le début de la guerre. À titre de comparaison, au cours d’une année moyenne, les colons établissent environ six avant-postes, alors que cette année, ils ont établi un nouvel avant-poste presque chaque semaine. Malgré leur illégalité, pas un seul n’a été évacué. Au contraire, des soldats les gardent malgré l’insuffisance en effectifs de l’armée.
Les avant-postes illégaux sont intimement liés aux phénomènes de violence de la part des colons et de déplacement des bergers et agriculteurs palestiniens de leurs terres, un phénomène que le chef du Shin Bet (Service de sécurité intérieure) n’a pas hésité à qualifier de « terrorisme juif ». Cependant, sous couvert de la guerre, l’armée a mobilisé des colons pour assurer la garde des colonies et des avant-postes, et le ministre Itamar Ben Gvir a veillé à ce que la police leur distribue des armes. Les résultats ne se sont pas fait attendre : l’organisation de défense des droits de l’homme « Betzelem » a documenté depuis le début de la guerre que 19 communautés palestiniennes ont été complètement dépossédées de leurs terres, 12 ont été partiellement expulsées et des dizaines d’autres se sont retrouvées soumises à des attaques routinières de colons.
L’établissement d’avant-postes n’est qu’un aspect de ce qui se trame. Parallèlement à ce phénomène, environ 9 000 unités de logement ont été royalement promues dans les colonies, y compris la création officielle de cinq nouvelles colonies. De plus, depuis le début de l’année, plus de 24 000 dunams (1 dunam = 1000 mètres carrés) – soit une superficie égale à celle d’Herzliya – ont été expropriés en utilisant la méthode dite des « terres d’État » qui vise à justifier la saisie de terres aux Palestiniens en Cisjordanie et leur transfert en fonction des besoins des colonies. La superficie des terres expropriées cette année est supérieure au total de toutes les terres ainsi expropriées depuis 2000.
La guerre a gravement affaibli l’économie israélienne mais les colonies n’en ont pas ressenti les conséquences. Le budget de l’inutile Bureau pour les Implantations ( dirigé par la ministre Orit Strock ) a augmenté pendant la guerre de 167 millions de shekels à 665 millions de shekels grâce aux transferts effectués par la Commission des Finances de la Knesset des « fonds de la coalition » (fonds destinés à tenir les promesses faites aux partis politiques lors de la formation de la coalition gouvernementale). De plus, après la coupe budgétaire qui a affecté tous les ministères, des projets spécifiques dans les colonies ont obtenu 400 millions de shekels supplémentaires. Cette année, pour la première fois, le gouvernement a directement transféré 75 millions de shekels vers des avant-postes illégaux. Et enfin, n’oublions pas la décision, déjà publiée en avril de cette année, sur l’accord entre le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, et la ministre des Transports, Miri Regev, portant sur un plan quinquennal totalisant sept milliards de shekels pour les routes interurbaines dans les territoires. Le but de ces routes est de relier les colonies et les avant-postes situés au plus profond des territoires occupés à l’État d’Israël et de les transformer en banlieues proches de Jérusalem et du centre du pays. Dans les enregistrements révélés par Shalom Akhshav, on entend Smotrich affirmer explicitement que son objectif est d’annexer la Cisjordanie sans provoquer la colère de la communauté internationale.
Pour la première fois, des mesures concrètes ont également été prises en vue de l’annexion officielle et légale des territoires. Ainsi l’armée a-t-elle transféré certains de ses pouvoirs sur les territoires à un ministère du gouvernement (le ministère de la Défense). En outre a été créé un « ministère de l’Annexion », dirigé par Smotrich en tant que ministre auprès du ministre de la Défense. Il dispose ainsi d’un vrai ministère -« Administration des implantations»-, avec un directeur général, des fonctionnaires et des avocats travaillant à la mise en œuvre du projet destructeur de l’annexion.
La liste est encore plus longue. Il y a eu aussi les visites du ministre Ben Gvir sur le Mont du Temple, dans l’espoir d’entraîner Israël dans une guerre de Gog et Magog avec le monde musulman, l’affaiblissement délibéré de l’Autorité palestinienne par le ministre Smotrich, contrairement à la position de l’armée, risquant de créer un front supplémentaire, ce qui pourrait ainsi susciter une opportunité militaire pour accélérer les processus d’annexion.
Israël est en voie de devenir un État messianique qui contrôle toute la région entre le « fleuve à la mer ». Ironie amère que les trois questions les plus importantes pour le public israélien, la sécurité (et en tête la question des otages), la démocratie et l’économie – soient les principales victimes du coup d’État annexionniste.
Alors que la guerre se déroule dans la bande de Gaza et dans le nord, ce gouvernement persévère dans a principale mission : l’annexion des territoires. Les succès militaires, aussi grands soient-ils, contre le Hezbollah, le Hamas ou l’Iran, ne sauraient aveugler le public et l’empêcher de voir les dangers inhérents au concept stratégique dont l’objectif est l’annexion. Il faut se demander si nous sommes prêts à sacrifier notre sécurité au nom de l’annexion. Sommes-nous prêts à renoncer au profit de l’annexion aux accords politiques, sécuritaires et économiques avec les pays arabes? Voulons-nous pour toujours une occupation militaire directe de millions de Palestiniens dans la bande de Gaza et en Cisjordanie à côté de centaines de points de colonisation israéliens?
La solution à deux États offre une réponse à bon nombre des échecs du concept d’annexion. Elle permet de conclure des accords politiques avec les pays arabes qui donneront lieu à une coopération économique et surtout sécuritaire contre l’Iran et les organisations terroristes. Cette solution rétablira également le statut d’Israël en tant qu’égal parmi les nations et mettra fin aux atteintes à l’encontre des Palestiniens que génère leur occupation militaire directe.
Il est temps de se réveiller et d’agir. Il faut exiger des élus qu’ils mettent un terme à l’annexion et qu’ils favorisent une solution de paix. Notre voix doit se faire entendre à chaque occasion, sur les réseaux sociaux, lors des manifestations et dans les urnes. Ne laissons pas le gouvernement nous entraîner dans l’abîme. Il est plus que temps de lutter pour notre avenir, pour l’État juif et démocratique dont nous rêvions. Nous devons arrêter l’annexion et sauver Israël.
*Tribune libre publiée dans Ha’aretz le 14/10/2024
Traduit de l’hébreu par Dory (Groupe WhatsApp « Je suis Israël »)
Illustration : B. Smotrich et O. Strock lors d’une réunion du groupe parlementaire du Sionisme religieux (Olivier Fitoussi)
Mis en ligne le 27 octobre 2024