Ha’aretz, 2 décembre 2008
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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Après la rupture du cessez-le-feu entre Israël et les Palestiniens, on évoque l’éventualité qu’Israël s’empare de nouveau de la bande de Gaza. Cette éventualité n’est pas souhaitable pour Israël, mais elle demeure néanmoins l’alternative principale à l’accalmie provisoire. Cela met en évidence la fossilisation de la perception qu’a chacun des côtés : la violence et les démonstrations de force sont le seul moyen de résoudre le conflit.
Ce qui est dit ici l’est du point de vue d’un adversaire honnête, quelqu’un qui vit de l’autre côté et qui est conscient de ce qui s’y passe ; quelqu’un qui est conscient des risques et des opportunités. Ce que nous, Palestiniens, voyons est une tentative par Israël de reformater sa domination sur la Cisjordanie et Gaza, avec pour objectif de les laisser sous le feu d’une attaque militaire. Résultat ; une occasion perdue de créer un climat qui faciliterait un accord. Les dégâts qu’entraînerait ce choix en termes politiques, économiques, humains, moraux et sécuritaires est évident. Il nuirait aux chances de parvenir à un accord, déjà complexe et difficile. Du point de vue palestinien, une reconquête de Gaza signifierait une montée des violences qu’ils connaissent tous les jours. Les victimes ne sont pas seulement ceux qui y perdent leur vie, mais aussi ceux qui, de plus en plus, perdent tout espoir.
Faisons l’hypothèse du pire, pour nous Palestiniens : Israël envahit Gaza et élimine l’infrastructure du Hamas, du Jihad islamique et d’autres, prenant ainsi le contrôle total de Gaza. Cela met ainsi fin aux tirs de roquettes, sans que l’armée israélienne ne perde un seul soldat. Mais, une fois la mission accomplie, les dirigeants israéliens politiques et militaires se heurteront à la question : et après ? Instruits par l’expérience, qu’attendent-ils ? Que va-t-il pousser sous les décombres à la suite d’un contrôle plus serré de leur part ?
On peut peut-être avancer l’argument que ces dernières décennies ont montré que les Palestiniens peuvent être vaincus, opprimés et même brisés, et que leurs mouvements nationaux peuvent être affaiblis par la force. Mais il est clair que leur identité nationale, elle, ne peut pas être détruite. Les Palestiniens ont surmonté de nombreux obstacles, souvent très difficilement. Il est un fait qu’ils continuent d’exister en dépit des difficultés et des tentatives plus que centenaires de les opprimer et de les faire disparaître.
Israël n’a pas besoin de preuve supplémentaire de l’échec de l’option militaire. Et les Palestiniens, qui se considèrent comme l’éternelle victime de l’occupation, doivent se réveiller de leurs rêves, qui sont au-delà de leurs capacités.
Les capacités militaires d’Israël et leur limite, ainsi que l’absence de capacités militaires des Palestiniens, doivent mener les deux côtés à la conclusion qu’il n’existe pas de solution militaire au conflit. Bien entendu, cela doit être répété et souligné au côté qui use le plus de l’option militaire. Ainsi, il n’y a pas d’autre choix que rechercher une alternative qui paraît intentionnellement ignorée : la coexistence, à un certain prix. Malheureusement, il n’y a aucun signe aujourd’hui de concessions sur le front des illusions ni de la création d’un front plus national/réaliste.
Israël, fort d’un côté mais craintif de l’autre, a besoin d’une perspective nouvelle pour définir ses problèmes et les moyens pour les résoudre, perspective fondée sur l’humilité et sur la compréhension d’une sage utilisation de la force. Cette perspective nouvelle doit reconnaître à la fois l’autre et les droits de l’autre ; rechercher le vrai partenaire au lieu de le délégitimer, de tenter de le détruire, de l’humilier, de le changer ou d’en déterminer ses caractéristiques. Israël n’a pas non plus essayé de laisser les Palestiniens vivre dans leur espace, fondé sur un lien réel entre droits et réalité ; un espace qui ne soit pas dominé par une politique d’humiliation et de répression. Non seulement Israël n’a jamais exploré cette possibilité, mais cette possibilité est perçue dès le départ comme un problème. Quant aux Palestiniens, ils doivent revoir leur vision du monde, qui s’est révélée être un échec total dans l’optique de la résolution du conflit.
Le critique littéraire français Roland Barthes a dit que seul ce qui paraît évident peut provoquer un choc. Les échecs répétés d’un Israël fort appartiennent à cette catégorie. Les Palestiniens échouent également, à leur manière. Seule la violence est gagnante dans cette pièce de théâtre dont le sujet est le conflit entre deux peuples. Et Israël en est le premier responsable. Quiconque ne voit pas qu’un accord est de l’intérêt suprême d’Israël, de son propre point de vue, et qu’il est d’un intérêt tout aussi vital du point de vue palestinien, transforme l’évidence en un profond marécage historique. On entend à l’occasion les Israéliens dire que les Palestiniens sont les champions des occasions manquées. Quelqu’un devrait prévenir les Israéliens afin qu’ils ne deviennent pas les champions des occasions perdues.