De l’Assemblée générale de l’ONU, où Bibi Nétanyahou affichait une caricature de bombe toute mèche allumée, à ces temps de campagne électorale où il compte haranguer l’électeur/trice de Tel-Aviv, Jérusalem ou des implantations depuis la tribune du Congrès américain, les sempiternels discours du Premier ministre démontrent à l’envi le mécanisme ici mis à nu par Ze’ev Sternhell: entre lamento et brutalité virile, «la menace existentielle s’est faite pilier de la politique israélienne». [Tal pour LPM]
Depuis toujours, la société israélienne a mis la force au pinacle. Dans le reniement des exils du passé s’incarnait avant toute chose le mépris de la vulnérabilité des Juifs. Le pays fut conquis à la force du poignet par l’exploitation calculée de la faiblesse des Arabes, et l’État fut fondé dans l’ouragan de la guerre.
La guerre des Six Jours fut perçue non seulement comme une continuation de la guerre d’Indépendance, mais aussi comme la preuve de notre capacité à faire de la force un outil politique permanent et le fondement de la légitimité de notre position au sein de l’ensemble moyen-oriental. La paix avec l’Égypte rendit la conduite de la première guerre du Liban possible dans des conditions royales, en exonérant en bonne part le sommet de la hiérarchie des limites qu’il lui fallait s’imposer en conséquence de la guerre de Kippour.
L’éviction du Fatah du Liban dans les années 1980 a formé pour Israël la base de son droit à contrôler les territoires conquis en juin 1967, et à exploiter jusqu’à la lie la faiblesse des Palestiniens. Telle fut, au départ, la clef de la séduction exercée par la colonisation sur beaucoup de gens au sein même de la gauche.
C’est pourquoi, quel que soit le gouvernement qui sortira des élections, les chances qu’Israël entame des négociations sérieuses avec le monde arabe sont proches de zéro. Dans le cas contraire, il y a beau temps qu’une réponse eût été faite à l’initiative de paix arabe unie de 2002.
Que les Palestiniens soient sans défense n’est pas pour Israël une raison de leur accorder une gratification: la colonisation, l’oppression et le maintien des Palestiniens dans des conditions d’apartheid continueront tant qu’il ne sera pas fait conjointement usage par l’Union européenne et les États-Unis de pressions politiques et économiques massives à son encontre.
Mais le culte de la force n’est que l’un des aspects de la réalité: le sentiment d’être des victimes toujours pourchassées constitue l’autre. Le lamento israélien, institutionnalisé dans toute sa laideur, et l’usage dégradant par les officiels de la mémoire de la Shoah, font de l’attention accordée à la menace existentielle un pilier de la politique israélienne. Il en allait déjà de même avant l’apparition du nucléaire iranien, et c’est dans ce contexte que se firent la quête et l’édification de la puissance militaire israélienne. Certes, le potentiel arabe global constitue un danger réel, voire existentiel, au nom duquel le jeune État bénéficia dans les années 50 de la coopération de la France – les États-Unis fermant les yeux – afin de produire, selon des sources étrangères, une force de frappe israélienne non-conventionnelle.
La sérénade permanente de la menace existentielle donne en effet l’une des raisons du comportement d’Israël, mais elle ne peut l’expliquer tout à fait. Tout être sensé se demande comment Benyamin Nétanyahou, ce champion du lamento, se permet de provoquer le principal pourvoyeur d’armement du pays, et notre unique et ferme défenseur au Conseil de sécurité. Les Sheldon Adelson et autres grands financiers juifs qui le soutiennent seraient-ils là les seuls à jouer un rôle?
C’est pourquoi il est difficile de croire que la puissance militaire appartienne à la seule catégorie des moyens de défense dont nous disposons. Il s’agit également d’un outil politique, d’une allusion donnant à entendre au monde qu’on ne doit jamais pousser Israël dans ses retranchements, parce qu’il pourrait, en situation extrême, réagir et mettre le feu à la région entière, du Golfe persique aux frontières du Pakistan.
Une autre question surgit alors: quels sont exactement ces intérêts vitaux que la puissance militaire israélienne dissimule, et qui les définit? Font-ils également référence aux «territoires libérés de la patrie» [1] et à la colonisation juive en ces lieux? Et qu’adviendra-t-il ici si le gouvernement tombe aux mains des Bennett, Elkin et autres Levin? [2]
Que se passera-t-il si les forces armées ne sont plus dirigées par des gens comme ceux qui, dans un passé pas si lointain, ont contribué à bloquer la dangereuse aventure iranienne dont Nétanyahou était prêt à prendre le risque, mais par un chef d’état-major et un directeur du Mossad serviles et soumis, tels les actuels procureur général et contrôleur [des comptes] de l’État? [3] Qui viendra alors nous sauver d’eux?
NOTES
[1] Territoires “libérés” est l’épithète dont la droite israélienne et le monde des colons affublent les territoires pris en 1967 – et définis comme “occupés” tant sur la scène internationale que par une part hélas de plus en plus faible de l’opinion israélienne. Les mots, on le sait, mènent eux aussi la guerre. [NdlT]
[2] Trois dirigeants à la droite de la droite de la droite… dont les propos pyromanes ont contribué à exacerber les tensions à Jérusalem, et pourraient faire passer par comparaison le reste de l’échiquier pour modéré ou centriste quant à la droite, et pour de dangereux gauchistes quant aux travaillistes et au Meretz – sans même parler du diable arabe… [NdlT]
[3] Allusion aux péripéties légales de la famille Nétanyahou concernant des accusations d’usage privatisé de l’argent public. Les faits allégués – du détournement de la consigne de bouteilles payées par le contribuable, au mobilier de jardin défraîchi de l’une des villas du couple interverti avec son semblable tout juste acquis pour la résidence officielle du Premier ministre – sont parfois si ridiculement mesquins, qu’à défaut d’un procureur général et d’un contrôleur d’État qui font traîner l’enquête jusqu’au lendemain des élections, ils devraient faire le bonheur des chansonniers. [NdlT]