Le 29 juin dernier, la Cour suprême a ordonné à l’Etat de soumettre dans les 45 jours sa position sur la question de la légalité de la déclaration de la maison familiale des Sumarin comme « bien absent ». Après quoi, la Cour suprême se prononcera sur la poursuite de l’audience en appel contre la décision d’expulsion de la famille Sumarin, expulsion basée sur la loi – fondamentalement discriminatoire – dite « des biens des absents ».
Avant l’audience, le JNF avait soumis à la Cour sa réponse dans laquelle, outre des revendications légales, il cherchait à diffamer la famille devant la Cour (voir ci-dessous).
Traduction : Bernard Bohbot pour LPM
Auteur : © 2022 Peace Now, 22.6.22
Photo : Vue aérienne de la maison des Sumarin
Mis en ligne le 9 juillet 2022
La Paix Maintenant : « Le JNF est exposé ici dans toute sa cruauté, appliquant des méthodes trompeuses contre une famille dont le seul péché est que leur maison est située dans une zone qui intéresse l’organisation de colons Elad. Dans les années 1990, le FNJ était impliqué dans le crime de vol de propriétés par l’abus de la Loi sur les propriétés des absents. Mais même aujourd’hui, alors que le tribunal a rejeté leurs demandes il y a des années, le JNF continue à demander l’expulsion de la famille de manière cynique et cruelle. Le JNF a depuis longtemps oublié les objectifs pour lesquels il a été fondé et s’est transformé en Fonds national des colons« .
Il y a environ deux ans, 34 lauréats du prix israélien et 125 intellectuels, universitaires et artistes du monde entier se sont adressés au FNJ pour lui demander de ne pas expulser la famille Sumarin et de respecter son droit à vivre une vie normale dans sa propre maison. Cependant, le JNF insiste pour poursuivre la procédure d’expulsion.
Contexte : Le procès d’expulsion contre la famille Sumarin
La famille Sumarin a été victime d’un système vicieux mis au point par des fonctionnaires du gouvernement Likoud dans les années 1980, avec des organisations de colons et le Fonds national juif, selon lequel les colons et le FNJ ont pris l’initiative de déclarer des propriétés de Silwan « propriétés d’absents », puis ces propriétés ont été transférées au FNJ et, du FNJ, aux colons. Cette méthode a été révélée et arrêtée par le gouvernement Rabin, qui a mis en place une commission d’enquête sur la question (la « Commission Klugman »). Toutefois, les biens eux-mêmes n’ont pas été restitués aux Palestiniens.
Et c’est ainsi que la méthode a fonctionné dans le cas de la famille Sumarin :
En 1987, le gardien des propriétés des absents a déclaré la maison de la famille Sumarin comme propriété des absents, à l’insu de la famille Sumarin. Le gardien a basé cette décision sur une déclaration sous serment qu’il a reçue à l’initiative de la JNF et des colons, selon laquelle le propriétaire, Haj Mussa Sumarin, l’oncle de la famille Sumarin qui vit dans la maison, était absent.
Il s’est avéré par la suite que Haj Mussa Sumarin n’était pas absent, et qu’il a vécu à Silwan jusqu’à sa mort en 1983 ( une vérification rapide dans le registre de la population n’a même pas été faite), mais cela n’a pas empêché le gardien des propriétés des absents d’insister et de déclarer à nouveau la propriété comme « propriété des absents » parce que les fils de Haj Mussa étaient absents. Cette déclaration a également été faite sans vérifier si les fils étaient réellement absents et s’ils étaient les seuls héritiers de Mussa. La propriété a ensuite été transférée du gardien à l’Autorité de développement et, de là, au JNF. Le JNF a signé un accord confidentiel avec l’association Elad, selon lequel l’association fournira une représentation légale dans le procès d’expulsion et, en retour, recevra la maison.
Le procès contre la famille Sumarin a été intenté pour la première fois par le FNJ, par l’intermédiaire de sa filiale Heimanuta, en 1991. Après avoir perdu – et fait appel, puis perdu à nouveau – le FNJ a intenté un nouveau procès en 2005. Cette fois, ils ont réussi à gagner devant le tribunal de première instance et le tribunal de district. À présent l’affaire est portée devant la Cour suprême. Depuis plus de 30 ans, la famille Sumarin se bat pour empêcher son expulsion, et aujourd’hui, le danger d’expulsion est plus proche que jamais.
Il convient de mentionner que la maison Sumarin est une propriété stratégique située à quelques dizaines de mètres de la mosquée Al-Aqsa et à côté de laquelle les colons de l’association Elad ont établi le centre d’accueil « City of David ». L’acquisition de cette propriété permettra à l’association Elad de compléter une zone de contrôle massive à l’entrée de Silwan, d’étendre les fouilles archéologiques et de réduire davantage la présence palestinienne dans cette zone sensible.
Voici l’enchaînement des événements au cours des 30 années qui se sont écoulées depuis le premier procès intenté par le JNF en 1991 :
Années 1950 – Haj Mussa Sumarin construit sa maison à Silwan.
1983 – Haj Mussa Sumarin décède, et son neveu Mouhamad Sumarin et sa famille, qui vivaient avec Haj Mussa dans la maison et prenaient soin de lui, héritent de la maison.
1987 – Le JNF et KKL complotent pour déclarer la maison comme propriété des absents, le gardien des propriétés des absents accepte et transfère ensuite la propriété de la propriété au JNF à l’insu des Sumarins.
1991 – Le FNJ (Heimanuta) dépose une plainte pour expulsion contre la famille Sumarin (plainte civile, 5980/91).
1994 – Le juge Yehudit Tzur décide que la déclaration de la propriété en tant que « propriété absente » a été faite illégalement, et que la demande d’expulsion est donc rejetée. Il s’est avéré que la personne déclarée « absente », Mussa Sumarin, a vécu toute sa vie à Silwan jusqu’à sa mort au début des années 1980.
1996 – Dans le cadre d’un appel interjeté par Heimanuta sur le verdict (appel civil 21/95), le tribunal de district a estimé que l’enregistrement de la déclaration de la propriété en tant que « propriété absente » était valide (parce que les fils de l' »absent » Mussa Sumarin vivaient à l’étranger et qu’ils sont considérés comme des absents), mais a renvoyé l’affaire devant le tribunal de première instance pour déterminer si la famille Sumarin a des droits sur la propriété en vertu d’un accord ou d’une autorité pouvant annuler les droits de Heimanuta sur la propriété.
1999 – La Magistrate Court (juge Rafi Strauss) a décidé que la famille Sumarin avait un droit sur la propriété en vertu d’une autorisation que la famille a obtenue du propriétaire initial et d’un contrat d’achat signé entre le propriétaire et le père de famille. Les appels de Heimanuta ont ensuite été rejetés.
1999 – La famille Sumarin a déposé une demande auprès du tribunal de district pour déclarer la propriété du bien, mais elle a été rejetée.
2005 – Heimanuta est revenu et a déposé une nouvelle plainte pour expulsion contre la famille Sumarin (plainte civile 12797/05). L’affaire a duré de nombreuses années et, le 20 septembre 2019, le tribunal de première instance a accepté la poursuite et a décidé que la famille Sumarin devait quitter sa maison.
2020 – Le 30 juin 2020, le recours de la famille Sumarin auprès du tribunal de district a été rejeté. La famille a déposé une demande de recours auprès de la Cour suprême.
2021 – La question principale de l’appel est de savoir si la décision de 1999 selon laquelle la famille avait la permission de rester chez elle peut être annulée aujourd’hui, après des changements de circonstances, ou non. La Cour suprême a décidé de demander l’avis du Procureur général sur cette question.
2022 – En janvier de cette année, le gouvernement a envoyé le procureur général pour soutenir l’expulsion de la famille et faire valoir qu’en raison d’un changement de circonstances depuis la décision de 1999, il est désormais possible d’annuler cette décision pour permettre l’expulsion de la famille.
La réponse cruelle et froide du JNF diffamant la famille Sumarin
Avant l’audience à la Cour suprême en juin 2022, le JNF a soumis sa réponse au tribunal dans laquelle, en plus des revendications juridiques, il cherche à diffamer la famille devant le tribunal. Dans cette réponse, le JNF demande à soumettre à nouveau des revendications qu’il avait déjà cherché à soulever dans une procédure précédente, mais qui avaient été rejetées. Leur intention est de dépeindre la famille Sumarin comme une famille manipulatrice, bien établie et possédant de nombreuses propriétés, qui tente de tromper le tribunal. De cette façon, le JNF cherche à convaincre le tribunal que l’expulsion ne portera pas préjudice à la famille. Le JNF fait valoir qu’il a pu trouver des documents indiquant que l’un des membres de la famille Sumarin possède une autre propriété à Silwan. Ainsi, selon le JNF, la famille Sumarin a un endroit où aller, et elle ne sera pas « jetée à la rue » si elle est expulsée de sa maison.
La vérité est que le fait qu’un membre de la famille possède une propriété quelque part ne signifie pas que « la famille » en est propriétaire et a un endroit où aller. De plus, même s’il était vrai que la famille possède d’autres propriétés, cela ne rend pas plus morale la dépossession de la famille de sa maison. Le FNJ tente de prendre possession d’une propriété qui appartient aux Sumarin. La seule façon dont ils ont réussi à la prendre « légalement » est grâce à l’utilisation manipulatrice d’une loi discriminatoire (la loi sur les propriétés des absents) qui a été détournée par les colons et leurs amis du gouvernement dans les années 1980, ce qui a conduit à une enquête criminelle et à une commission d’enquête spéciale du gouvernement.
Ajoutant l’insulte à l’injure, le JNF affirme également dans sa réponse que les Sumarin « ne devraient pas avoir le droit d’obtenir des compensations » car la famille Sumarin, selon le JNF, utilise illégalement leur maison depuis des années. La question des compensations n’était pas à l’ordre du jour dans cette affaire, mais le JNF a dû montrer clairement à quel point il est cruel et froid.