Ha’aretz, 9 février 2007
Trad. Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Difficile de ne pas être choqué en voyant le début du film d’Ari Sandel, « West Bank Story ». Pour ceux qui sont habitués à voir les images de soldats israéliens tirant sur des Palestiniens, ou sur des assaillants masqués lançant des roquettes Qassam sur des villes israéliennes, la tentative de rendre le conflit israélo-palestinien en 20 minutes de chansons, de danses et de gags paraît étrange.
Une comédie musicale? Un West Side Story en Cisjordanie, avec mur de séparation et cocktails Molotov?
Mais ce qui semblait à première vue un honteux mélo se révèle très vite être une expérience rafraîchissante. L’humour, la musique, les danses et les références au film hollywoodien de 1961 multi-oscarisé en font une satire désopilante. Et le choc entre tragédie régionale et mélo provoquent la catharsis.
La semaine dernière, l’Académie américaine du cinéma, elle aussi enthousiasmée par cette approche originale du sujet, a nominé le film aux Oscars, catégorie courts-métrages.
La comédie musicale se déroule en Cisjordanie, avec deux restaurants fast food spécialisés dans le falafel et le houmous.: « Kosher King », tenu par des colons juifs de Cisjordanie, et « Houmous Hut », tenu par des Palestiniens. Fatima, la jolie caissière, et David, le gentil soldat, tombent amoureux malgré la rivalité entre leurs deux familles. Mais l’histoire d’amour, scandée de sérénades et d’oeillades, mène à la destruction des deux restaurants. A la fin du film, les deux familles sont obligées de travailler ensemble pour satisfaire l’appétit de houmous des habitants.
Des Juifs et des Arabes qui dansent
« Je me suis toujours intéressé à la politique, et principalement au conflit du Proche-Orient », dit Ari Sandel, réalisateur et co-scénariste, actif dans plusieurs organisations, dont La Paix Maintenant. « A l’université, j’ai étudié l’islam et le judaïsme, et j’ai visité de nombreux pays, Israël, la Palestine, le Maroc, la Jordanie, la Turquie, l’Egypte, la Jordanie et Dubaï. J’ai vu plus de 100 documentaires sur le conflit, et j’ai trouvé que pour la plupart, ils étaient soit pro-israéliens, soit pro-palestiniens. Ils regorgent d’informations passionnantes, mais presque tous sont déprimants et dénués de tout espoir. J’ai voulu faire un film qui donne au spectateur le sentiment que l’espoir existe, parce que je crois vraiment que la paix est possible, qu’elle peut arriver. »
Même s’il se rend en Israël tous les ans, Sandel, dont la mère est américaine et le père israélien, ne manque jamais de souligner qu’il a pris soin de garder l’équilibre dans son film. « J’ai voulu créer un film qui ferait trois choses : attirer l’attention, faire rire les gens et présenter une position positive et équilibrée pour soutenir la paix. Il était très important pour moi de faire attention à maintenir l’équilibre et l’égalité entre les deux parties, parce que la plupart des films ne montrent qu’un seul côté du conflit, et que les spectateurs qui s’identifient à l’autre côté ont le sentiment que le film est biaisé. »
Les employés des deux restaurants portent donc des uniformes ridicules, et il y a un nombre égal de gags sur les deux côtés. Par exemple, quand elle accueille les clients, la caissière palestinienne tire en l’air à l’arme automatique. Et quand les Israéliens projettent de construire un mur de séparation entre les deux restaurants, les Palestiniens éclatent de rire : « Des juifs dans le bâtiment? C’est la meilleure! »
Sandel a choisi la comédie musicale parce, dit-il, « c’est une façon d’abstractiser le conflit, d’en éliminer la souffrance afin que les gens puissent laisser tomber leurs défenses et s’identifier avec les personnages des deux côtés. Je savais que des danses et des chansons rendraient le film plus léger, plus accessible. C’est beaucoup plus facile de voir des Juifs et des Arabes danser ensemble que les voir se battre. La danse est tellement loin de ce que les gens ont l’habitude de penser sur les Juifs et les Arabes. »
Youval Ron, compositeur israélien qui habite Los Angeles, a écrit la musique en y mêlant musiques israéliennes, palestiniennes et jazz. Sandel fait remarquer qu’il a choisi des comédiens israéliens pour jouer les personnages israéliens, et des comédiens palestiniens pour jouer les employés du Houmous Hut. D’ailleurs, lorsque cela chauffe dans les scènes, les personnages des deux côtés abandonnent l’anglais pour s’insulter dans leurs langues respectives.
Demandé à Dubaï
« West Bank Story » a été montré pour la première fois il y a deux ans au festival du cinéma de Sundance, catégorie courts-métrages. Le site web du film [ [ ]] indique que depuis, il a été montré dans 111 festivals, raflant au passage 23 prix. Sandel raconte qu’entre autres, il a présenté son film au festival de Dubaï, et que de nombreux Palestiniens l’ont approché et lui ont demandé une copie pour la montrer à leurs familles dans les territoires.
A la question de savoir s’il a déjà préparé un discours pour la cérémonie des Oscars, Sandel rit. Le film a été financé avec des bouts de ficelles, beaucoup ont travaillé bénévolement, et il faudrait tous les remercier. « Aux Oscars, on n’a droit qu’à un discours de 60 secondes. Si nous gagnons, il faudra que je parle très vite. »