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Ha’aretz, mercredi 5 janvier 2005

Abbas ou rien !

par Danny Rubinstein
(trad. Tal Aronzon pour La Paix Maintenant)


D’ici dimanche, jour fixé pour les élections à la présidence de l’Autorité
palestinienne, la campagne va probablement s’échauffer. Au quartier général
de campagne de Mah’moud Abbas à Jérusalem Est, l’équipe prépare sa visite en
fin de semaine à la mosquée El Aqsa [[L’une des deux mosquées de la célèbre esplanade, dite « des Mosquées » par les uns, et « Mont du Temple » par les autres…]]. Ce moment devrait marquer l’apogée rhétorique d’un candidat dont nul ne doute qu’il sera élu, la seule question étant par combien de voix. Le Q.G. de Wadi Joz a reçu la semaine dernière des tee-shirts à l’effigie d’Abu Mazen en compagnie de feu Yasser Arafat, ainsi que des casquettes, des foulards et des insignes aux couleurs du drapeau palestinien.

Du point de vue du gouvernement israélien, Mahmoud Abbas s’exprime durement
lors de ses apparitions publiques, attaquant même parfois d’estoc et de pointe. Il insiste sur la question de Jérusalem et celle des droits des réfugiés, appelle à la libération des prisonniers et va jusqu’à faire l’éloge des shahids (martyrs). Aux yeux des Palestiniens, le tableau est tout autre, parfois même opposé.

La dessinatrice palestinienne Oumiya Djouha a publié la semaine dernière
dans l’organe officiel de l’Autorité palestinienne, Al H’ayyat Al Djedida, plusieurs caricatures représentant Abbas tel qu’il est perçu par différents publics. Dans le regard des Israéliens, premier dessin, Abbas paraît comme un malheureux nain à côté de la gigantesque figure du Premier ministre Ariel Sharon ; dans le second, vu par les yeux des gouvernants arabes, il porte une pancarte proclamant qu’il a été élu par 99.99% et une canne ferrée ; aux yeux d’une partie des Palestiniens, il apparaît comme l’épigone d’Arafat, portant le keffieh noir et blanc [[Le foulard drapé des hommes du désert, dont Arafat a fait un symbole national.]] ; dans la dernière vignette, la plus importante, Oumiya Djouha explique qui est le vrai Mahmoud Abbas – et le peint en vieille grand-mère tricotant des pelotes multicolores.

Nul n’aurait osé présenter ainsi Arafat. Mais il semble que ce soit vraiment l’image de Mah’moud Abbas dans la rue palestinienne. L’impression qui ressort de tout ce qui s’écrit et se dit de lui parmi les Palestiniens est celle d’un brave homme, affable et porté au compromis.

Un journaliste de Jérusalem-Est rapporte que sa famille a carrément éclaté de rire en voyant une photo de Mahmoud Abbas ainsi légendée : « Bienvenue au héros. » Abbas, un héros ? Pourtant, ils voteront pour lui. Pourquoi ? « Parce que le monde entier le veut. L’Amérique, les pays arabes, l’Europe, Israël… Vous le voulez, vous l’aurez, et on verra bien ce qui adviendra », dit-il.

Tel est le sentiment dominant en Cisjordanie et à Gaza, et il ne peut conduire qu’à une seule conclusion : Abbas est considéré comme un leader acceptable bien qu’il paraisse faible (quelle que soit la dureté de quelques propos de-ci de-là) du fait des positions qu’il continue de prendre contre l’usage de la violence par le soulèvement palestinien. Si le gouvernement israélien n’arrive pas à nouer le dialogue et à trouver un accord avec lui, il n’y aura aucune chance d’y parvenir avec quelque autre dirigeant palestinien que ce soit. Pas dans un futur prévisible, en tout cas.

Ce sentiment est renforcé par les propos et les actions du candidat indépendant, le Dr Mustafa Barghouti. Celui-ci a passé la semaine dernière ce qu’il appelle un « accord historique » avec le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), dont les dirigeants ont donné consigne à leurs membres de voter Barghouti. En théorie, le FPLP vient en second en termes d’importance au sein de l’OLP ; dans la pratique, c’est une petite organisation marxiste dont l’heure est venue et repartie, et même l’appel à voter Barghouti lancé depuis Damas par son dirigeant historique, Georges Habache, n’aura que peu d’impact.

Ce qui importe, c’est que le pacte entre Barghouti et le FPLP rejette les accords d’Oslo, la feuille de route, le plan de désengagement – en bref, adopte une position résolue de refus tous azimuts. Même ceux qui comptent pour peu la puissance de Mustapha Barghouti pensent qu’il peut engranger jusqu’à 20% des voix. L’une des rumeurs qui circulent prétend qu’à la dernière minute le Hamas donnera pour consigne de voter Barghouti, le mettant tout près de combler le fossé.

L’alternative aux positions défendues par Abbas, ce sont celles de Mustafa Barghouti, tel est le tableau final. En d’autres termes, si nous ne réussissons pas avec Mahmoud Abbas, il n’y aura plus personne.