Tandis que Binyamin Nétanyahou négocie, ses anciens amis et alliés politiques s’apprêtent à contrer la création d’un État palestinien.
Quels que soient le dépit des uns, l’impatience des autres – dont nous sommes, cela va sans dire – il importe donc de préserver aussi longtemps que possible le secret sur l’avancée des négociations, analyse ici Gershon Baskin.
Pas facile d’être Binyamin Nétanyahou. Des années durant, il s’est aligné sur des gens et des positions diamétralement contraires [à ce qu’exige] la réalité qu’il affronte aujourd’hui. Le moment est finalement venu de décider de l’avenir des relations israélo-palestiniennes.
Ces décisions dessineront également les relations israélo-américaines du futur, tout comme celles d’Israël avec l’Union européenne.
Plus important encore, ces décisions traceront l’avenir de l’État d’Israël et du peuple juif.
Les mêmes personnes et positions qui ressortissaient au camp politique et idéologique que Nétanyahou avait contribué à former se retrouvent brusquement dans l’autre camp et s’opposent à ce qu’il lui faut maintenant faire. Ce lundi, Tovah Lazaroff relatait dans le Jerusalem Post que «les chefs des colons avaient tenu dimanche après-midi à Jérusalem une réunion d’urgence contre la reprise des pourparlers israélo-palestiniens».
Ces derniers savent exactement de quoi ils ont peur. Ils ont vu l’un de leurs anciens idéologues et chefs les abandonner et vider la Bande de Gaza de ses colons.
Des mois durant, des gens proches du Premier ministre m’ont dit que Nétanyahou traversait une période de changement, une sorte d’évolution de ses positions, citant un dicton familier à Sharon: «Ce que vous voyez d’ici n’est pas ce que vous voyez de là-bas.»
Ce que Nétanyahou a vu c’est que, s’il n’agissait pas très vite, Israël pourrait bien descendre la pente savonneuse qui mène à un État binational. Et Nétanyahou ne veut certainement pas être le dirigeant sioniste qui mettra fin au sionisme en terre d’Israël.
Il semble qu’il s’intègre maintenant dans la tradition du sionisme pragmatique, ce qui ne peut s’entendre que comme le partage de la terre d’Israël entre un État juif et un État arabe sur «le territoire qui s’étend du fleuve à la mer» – 22 % pour eux, 78 % pour nous. Tels sont les termes du marché, et Nétanyahou déchiffre maintenant la partition: à lui de faire entrer Israël dans la valse d’une ère nouvelle, celle d’une authentique paix en mouvement.
Cependant qu’il négocie avec les Palestiniens, ses ex amis et alliés politiques vont s’organiser contre l’inévitable création d’un État palestinien à côté d’Israël. Nétanyahou fera tout ce qu’il peut pour retarder l’entrée en action de l’alliance des opposants à la paix. Il ne connaît que trop bien leur capacité à troubler l’ordre public, lancer des constructions illégales partout en Cisjordanie et monter l’opinion contre le Premier ministre.
Dans le scénario qui se déploie et selon lequel Nétanyahou fait réellement avancer les négociations avec les Palestiniens, il va se trouver dans son propre parti bon nombre de députés à la voix perçante pour s’exprimer contre lui et conspirer à sa chute.
Raison de plus pour mener les négociations sous le sceau du plus grand secret. Aussi longtemps que les deux parties voudront voir les négociations progresser et réussir, il les tiendront secrètes. Très peu de gens des deux côtés sauront vraiment ce qui sourd derrière les battants fermés. Aucun ministre ou presque au sein des cabinets israélien ou palestinien n’aura d’idée réelle de ce qui se passe, de même qu’aucun d’entre eux ou presque ne sait vraiment ce qui s’est dit à huis clos entre Nétanyahou et Kerry, Abbas et Kerry.
Nul doute que les politiques seront nombreux à parler d’un ton assuré des négociations, ouvertement ou anonymement, sans information fiable sur ce qui se passe vraiment. C’est ce que font les politiques, mais du fait qu’ils n’auront aucune nouvelle authentique, leurs déclarations resteront largement ignorées.
Le premier signe que les négociations vont à l’échec serait que de véritables fuites transpirent des portes closes. Aussi longtemps que l’on avancera, nous, le public, ne saurons rien – non plus que l’opposition à la paix en Israël et en Palestine. C’est la raison pour laquelle cette opposition va créer l’information afin de pouvoir agiter le drapeau de la mobilisation contre ses propres [ex] chefs. Je vois déjà les cortèges suivre les faux cercueils frappés des mots «La Terre d’Israël» et ornés de l’effigie de Nétanyahou portant le keffyeh d’Arafat (ou pire).
Non, il n’est pas facile d’être Binyamin Nétanyahou. Mais, là encore, il n’a aucune expérience en tant que Binyamin Nétanyahou “faiseur de paix”. C’est vrai, il va perdre ses vieux amis et alliés, mais songez juste à tous ceux, nouveaux, qu’il va gagner. Nétanyahou sera tout à coup le bienvenu, voire désiré, dans les capitales du monde entier.
Mais ce n’est pas tout. Soixante-dix pour cent des Israéliens, une nette majorité, veulent qu’Israël fasse la paix avec ses voisins. L’opinion publique n’en avait pas fait une priorité majeure, parce qu’elle avait compris qu’il n’y avait aucune entente en vue entre Nétanyahou et Abbas.
D’aucuns en faisaient porter le blâme à Nétanyahou, la plupart à Abbas, mais c’est de l’histoire ancienne, aujourd’hui virtuellement dépassée. Si l’opinion publique croit en l’existence dune véritable chance de paix israélo-palestinienne, Nétanyahou se verra pourvu du plus fort nombre de citoyens soutenant le Premier ministre depuis… à vrai dire, peut-être bien depuis David Ben-Gourion.
Tout ceci, bien entendu, est pure spéculation.
Nétanyahou a-t-il changé? Quelle est la profondeur du changement? Est-il vraiment prêt à accepter l’existence d’un authentique État palestinien à côté de l’État d’Israël? Se retirera-t-il d’implantations? Acceptera-t-il de partager Jérusalem? Et si les réponses sont positives, trouvera-t-il un partenaire palestinien désireux de faire les concessions nécessaires afin de parvenir à un compromis acceptable pour les deux parties? Toutes ces questions attendent réponses. Viendra le moment, dans un futur pas trop lointain, où nous découvrirons ces réponses.