Ha’aretz, 11 février 2005
Victoire sans vainqueurs
par Zeev Schiff
Trad. : Charlie Szlakmann pour La Paix Maintenant
Israéliens et Palestiniens ont des raisons de se soupçonner mutuellement, et
de craindre que les promesses et accords conclus lors du sommet de
Sharm el-Sheikh cette semaine ne seront pas mis en oeuvre, comme cela
s’était produit après les deux sommets précédents qui s’y étaient déroulés.
Le première rencontre, internationale, s’était tenue le 13/3/96. La
seconde, qui fut conduite par l’hôte, le président Moubarak, et par le
président américain Clinton, avait eu lieu le 4/9/99. Des accords détaillés
y avaient été conclus, portant sur la libération de prisonniers, la
confiscation d’armes illégales, l’édification d’un port à Gaza et autres. De
tout cela, rien n’était sorti. La différence fondamentale que présente ce
troisième sommet est l’absence de Yasser Arafat, le leader qui ne voulait
pas en finir avec la violence. S’il avait été en vie, cette rencontre
n’aurait pas eu lieu.
Chaque partie fera maintenant entendre des proclamations de victoire. Malgré
les déclarations de Mahmoud Abbas -selon lesquelles l’intifada armée a causé
de graves dommages aux Palestiniens-, il se dégage une nette majorité dans
l’opinion palestinienne, selon les sondages de Khalil Shkaki, en faveur de
ceux qui sont convaincus que seule la violence a contraint Ariel Sharon à
décider d’effectuer un retrait et un démantèlement des colonies, et que
seule la violence l’a amené à renoncer à dominer un autre peuple.
Au sein de Tsahal, on est convaincu que seule la pression militaire et les
succès dans la prévention du terrorisme-suicide ont contraint les
Palestiniens à stopper l’intifada. Au bout du compte, Israël peut considérer
que ce nouveau round du conflit s’est soldé par une victoire. Mais il doit
se rappeler qu’il n’a pas défait la partie palestinienne.Bien qu’il s’agisse
d’un conflit limité face à un adversaire plus faible, les limites de la
force d’Israël sont apparues une fois de plus. Ces limites ont été réelles
malgré l’appui général de Washington, et malgré les lourdes erreurs commises
par les Palestiniens. La prise de conscience des limites de la force est
apparemment le facteur qui a entraîné Sharon et la majorité des Israéliens à
prendre la décision de raccourcir les lignes de front face aux Palestiniens.
En d’autres termes : mettre en ouvre un retrait d’une manière ou d’une
autre.
Les Palestiniens ont échoué dans leur tentative d’entraîner les Etats arabes
dans un conflit militaire, mais l’implication profonde du Hezbollah et des
Iraniens dans le terrorisme des territoires est évidente. Les Palestiniens
ont échoué dans leur stratégie d’entraîner l’interposition d’une force
internationale sur place, mais Israël a été obligé d’accepter la Feuille de
route, qui implique une intervention internationale importante.
Du point de vue militaire également, les choses ne sont pas évidentes.
Israël a certes dominé la force armée palestinienne, a obtenu des gains
impressionnants en ce qui concerne la prévention du terrorisme, et a de fait
reconquis la Cisjordanie. Malgré cela, Israël a subi quelques échecs
opérationnels importants. Il n’a pas réussi à mettre fin à la menace des
fusées Qassam, a échoué à stopper le trafic d’armes et de munitions en
direction des territoires, y compris le passage de matériaux nécessaires à
la fabrication d’explosifs, en provenance d’Israël. A cela il faut ajouter
les circuits financiers clandestins des organisations terroristes.
Les deux peuples ont payé un lourd tribut de sang au cours du récent round
de violences. La probabilité de l’achèvement définitif du conflit n’est pas
très élevée, mais il existe une chance de cessez-le-feu prolongé. Israël
doit tirer les leçons des erreurs qui ont été commises après les accords
d’Oslo, y compris le réexamen des critères qui lui paraissaient intangibles.
En cas de non-respect des accords, il doit veiller à ce que la faute ne
retombe pas sur lui.
L’opinion palestinienne subira elle aussi des secousses. Entre autres, il y
aura sûrement plus de partisans du Hamas qui s’intégreront aux appareils du
pouvoir local, à l’occasion d’élections.
Israël verra que l’issue de la confrontation au sein du camp palestinien
entre extrémistes et pragmatiques dépend également de la façon dont lui-même
agira.