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Haaretz, 25 janvier 2005
Ne traitez pas Mahmoud Abbas de collaborateur
par Nazir Majali [[Nazir Majali commente les affaires israéliennes pour plusieurs chaînes de TV arabes, et pour Al Sharq al Awsat, quotidien saoudien en langue arabe basé à Londres. ]]
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Les menaces d’Israël envers Mahmoud Abbas ont semblé atteindre leur objectif. C’est très certainement ainsi que cela est perçu en Israël : Israël a présenté les trois options militaires à sa disposition (opération limitée, opération plus large, et opération totale), et le cabinet de sécurité a tranché en principe pour un plan consistant à s’emparer des zones du nord de la bande de Gaza, d’où les roquettes Qassam avaient été tirées, et ce si le président de l’Autorité palestinienne ne prenait pas de mesures rapides pour mettre fin aux tirs contre les localités israéliennes. Puis, le nouveau dirigeant de l’Autorité palestinienne a pris le taureau par les cornes et fait tout ce qui était en son pouvoir pour satisfaire Israël. Il a déployé sa police, menacé les divers groupes radicaux, et donné l’ordre à la police de stopper tout tir en direction des localités israéliennes, même si cela impliquait de tirer.
Mais, à la vérité, l’erreur ne pourrait pas être plus grande.
Mahmoud Abbas est connu pour ses positions claires et tranchées, non seulement contre les Qassams, mais contre toute forme de violence dans la lutte contre Israël. Cette position est connue depuis le début de l’intifada, et il n’a pas hésité à l’exprimer publiquement. Elle ne résultait pas alors (pas plus qu’aujourd’hui) d’une forme de naïveté, mais d’une lecture rationnelle de la situation, de la prise de conscience que la lutte armée ne servait plus les intérêts des Palestiniens et d’une considération envers le peuple d’Israël, mais non des actions du gouvernement israélien et de ses menaces.
Ceux qui, en Israël, connaissent Mahmoud Abbas, à droite comme à gauche, peuvent témoigner que depuis vingt ans, il a adopté une ligne politique nouvelle et courageuse, qui a influencé directement la pensée et le comportement en Palestine. Il a découvert un autre Israël, qui désire la paix ; il se tient au courant de tout ce qui se passe en Israël, lit les traductions de sa presse, et étudie les sondages qui y sont publiés. En tant que dirigeant pragmatique, il a pris la décision délibérée de choisir le chemin de la paix, avec pour objectif de libérer son peuple du joug de l’occupation et de parvenir à un accord qui lui garantira [le respect de] ses droits dans le cadre d’un Etat indépendant. Et, quand il a rencontré des obstacles placés par Israël, il n’a pas cédé, et n’a jamais changé de position. Même lorsqu’il a été forcé à démissionner de son poste de premier ministre, quand il subissait les critiques les plus violentes, quand des coups de feu ont été tirés sur sa maison de Ramallah, il s’en est tenu à ses positions, devenues des principes.
Aujourd’hui, après avoir remporté des élections modèles de démocratie, il a le programme et le pouvoir pour promouvoir ses principes. Et, de fait, il n’a pas attendu une minute, et a commencé immédiatement à agir. Mais il l’a fait à sa façon, et, tout comme le premier ministre israélien prend des décisions controversées et tente de les faire passer sans plonger la société israélienne dans la guerre civile et dans le sang, de même Mahmoud Abbas, en dirigeant responsable et avisé, tente d’adopter une voie qui ne divisera pas le peuple palestinien et qui atteindra ses objectifs sans verser le sang. Inutile d’ajouter que cela ne fera que le renforcer aux yeux de l’opinion publique palestinienne.
Mais le gouvernement israélien a décidé qu’il valait mieux faire passer ce que fait le dirigeant palestinien comme une réussite israélienne. Peut-être pour cause d’ego sur-dimensionné, peut-être pour des considérations de politique intérieure, ou peut-être par désir de voir échouer un homme qui dirige son peuple d’une manière qui inspire l’admiration de la communauté internationale, ce qui, pour quelque raison que ce soit, n’est pas bien vu à Jérusalem.
Quoi qu’il en soit, le fait d’essayer de présenter les actions de Mahmoud Abbas comme résultant des pressions israéliennes peut avoir des répecussions négatives, et peut-être destructrices, pour tout le processus. Mahmoud Abbas n’est pas un collaborateur d’Israël, et ne doit pas être considéré comme tel. C’est un dirigeant qui a accepté d’assumer le rôle historique consistant à régler le conflit entre les deux peuples, et il le fait avec une profonde connaissance de l’état d’esprit de la rue palestinienne, et sans ignorer les besoins d’Israël. Par conséquent, il s’agit d’un partenaire qui ne doit être ni abandonné, ni mis dans l’embarras, ni harcelé, ni bien entendu menacé. Son succès est de l’intérêt d’Israël pas moins que de celui des Palestiniens. Et la même chose est vraie de son échec.