Liat Schlesinger : « Les études démontrent constamment que la majorité des Israéliens soutiennent les positions de centre-gauche comme la solution à deux États, les politiques économiques socio-démocrates, les transports publics le jour du shabbat et le maintien de l’égalité et de la démocratie comme noyau de la société israélienne. »
Traduction : Bernard Bohbot pour LPM
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Forward, 6 mai 2019, Liat Schlesinger, Opinion
Les élections israéliennes ont prouvé ce que tout le monde savait déjà : l’électorat israélien a radicalement changé. Cependant, ce n’est pas tout à fait vrai.
Les études démontrent constamment que la majorité des Israéliens soutiennent les positions de centre-gauche comme la solution à deux États, les politiques économiques socio-démocrates, les transports publics le jour du shabbat et le maintien de l’égalité et de la démocratie comme noyau de la société israélienne.
Et pourtant, la droite est prête à contrôler la prochaine coalition gouvernementale israélienne. En d’autres termes, il y a une dissonance entre l’opinion publique israélienne et la manière dont vote l’électorat israélien.
Pour assurer l’avenir d’Israël et rediriger le pays de la dangereuse direction de droite qu’il a prise, le camp libéral et démocratique doit combler cet écart et traduire le soutien aux politiques libérales en véritable pouvoir politique.
Ce n’est pas aussi impossible qu’il n’en a l’air. Tout d’abord, malgré le drame électoral, rien n’a sensiblement changé dans la politique israélienne. La division des blocs reste fondamentalement la même. L’élection a prouvé que les Israéliens restent politiquement divisés, contrairement à l’idée reçue selon laquelle la population israélienne est clairement campée à droite.
Les élections ont démontré qu’au-delà de la volonté de gouverner, le Likoud n’a rien d’autre à offrir que l’adoration de Netanyahu et le maintien du statu quo qui inclut les missiles de Gaza – comme nous venons de le voir – ainsi que le versement d’argent pour la protection du Hamas. Il n’est pas étonnant qu’il n’ait pas publié son programme de parti depuis des années. De plus, l’élection a montré que le cri « tout sauf Bibi » a encore une fois échoué.
De même, malgré une campagne concertée ciblant les Israéliens ordinaires depuis des années, la droite des colons n’a une fois de plus pas réussi à sortir de son secteur étroit. La Nouvelle Droite et Zehut n’ont pas franchi le seuil des votes et, avec la Droite Unie, ont obtenu à peine moins de 10% des voix. En fin de compte, le secteur de la droite religieuse, qui se considère comme le chef de file d’une révolution idéologique en Israël, n’a obtenu que cinq mandats dérisoires.
Les ministres Ayelet Shaked et Naftali Bennett, qui seront bientôt au chômage, étaient certains que de nombreux Israéliens appuieraient leurs objectifs d’annexion de la Cisjordanie et d’affaiblissement de la Cour suprême et des services sociaux. En réalité, le soutien à cette idéologie existe à peine au-delà de la frange religieuse sioniste.
Tout cela signifie qu’il y a suffisamment de place pour que le centre-gauche puisse faire une percée. Pour ce faire, le centre-gauche doit formuler des positions claires et crédibles et se manifester dans le domaine politique. Cela implique la construction d’une identité politique forte et incisive au fil du temps. Cela veut dire également qu’elle ne doit pas flirter avec la droite toute l’année en n’offrant aucune alternative tangible, puis espérer qu’un ou deux mois de campagne brillante nous sauveront.
Le centre-gauche doit également cesser de répéter comme un perroquet le discours de droite selon lequel les gauchistes ne sont pas assez juifs, et de délégitimer implicitement ou explicitement les citoyens palestiniens d’Israël, notamment à la Knesset.
Surtout, ils doivent repousser l’argument post-Rabin selon lequel il y a des » extrémistes des deux côtés « , comme s’il y avait une similitude quelconque entre les terroristes juifs et les militants de la gauche.
Cela exige également de ne pas renoncer à la seule solution qui offre la sécurité à Israël – deux États – et de rejeter les solutions « créatives » comme l’annexion ou l’État unique. Après tout, la quasi-totalité de l’establishment de défense israélien soutient la solution des deux États et l’atténuation de la crise humanitaire à Gaza. Il a aussi déterminé que le plan de la droite d’annexer les territoires avec 4,7 millions de Palestiniens entraînera une catastrophe et la fin d’Israël comme État juif et démocratique.
Plus important encore, les accusations pesant sur Netanyahu ne renverseraient son gouvernement que si elles s’accompagnaient d’une véritable remise en cause de sa vision du monde. Trois anciens chefs d’état-major qui promettent effectivement d’être comme Netanyahu, mais moins corrompus et plus hommes d’État, ne suffisent pas. Les électeurs de droite préfèrent la vraie version à une pâle imitation. Ils sont prêts à pardonner à Netanyahu tous ses péchés – corruption, incitation – afin de battre la gauche.
Bleu-Blanc ne s’est pas confronté aux doctrines de Netanyahu. Ses dirigeants ont choisi de ne rien dire de substantiel dans l’espoir d’attirer des électeurs de la droite modérée. Mais ce faisant, ils ont réduit le débat à la question : qui est le plus à droite et qui l’est le moins. Du coup, c’est la droite authentique qui l’emporte. Lorsque les candidats n’offrent aux électeurs aucune bonne raison de quitter leur base et n’essaient pas de les persuader de soutenir leurs idées et de changer de gouvernement, mais qu’ils ressemblent simplement à une version plus propre d’une autre personne, les électeurs ne changent pas de parti.
La conclusion indubitable que l’on peut tirer de cette élection est la nécessité pour le camp progressiste d’Israël de construire une identité politique claire et différenciée, d’affirmer qui nous sommes, ce que nous défendons et ce que nous ne défendons pas. La communauté juive américaine a besoin de le savoir aussi.
Le moment est venu de s’engager dans ce programme et de le poursuivre jusqu’aux prochaines élections. La plupart des Israéliens ont des opinions libérales et modérées ; ils attendent un dirigeant et une infrastructure politique fiers de leurs opinions et qui ne succombent pas à l’intimidation de la droite. Les roquettes en provenance de Gaza soulignent que le statu quo n’est pas seulement insoutenable, il est mortel.
L’AUTEUR
Liat Schlesinger est directrice exécutive de Molad, le centre pour le renouveau de la démocratie israélienne.
Les opinions et opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du Forward