Haaretz, 1er mars 2002
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Yasser Arafat a offert a Ariel Sharon un cadeau rare. Le terrorisme palestinien, sous la direction d’Arafat, a reduit au silence les critiques contre le 1er Ministre. Quand les terroristes se font sauter par vagues, le camp de la paix ne se precipite pas pour manifester. Sharon aurait pu utiliser cette periode pour lutter efficacement contre le terrorisme, tout en s’occupant de la paix : apporter la paix et la securite, ainsi qu’il l’avait promis.
Mais il a amerement decu. Non seulement ses partisans de droite, mais aussi
ceux qu’il avait trouves, a sa grande surprise, au centre et a gauche. Ces derniers lui avaient donne la victoire, soit en votant pour lui, soit en ne votant pas pour Barak, avec l’idee qu’il devait etre clair pour les Palestiniens qu’ils n’obtiendraient pas par la force ce qu’ils n’avaient pas obtenu dans les negociations avec le gouvernement Barak.
Tous les sondages montrent que la plupart des Israeliens ont continue a
soutenir le gouvernement Sharon, tres fortement pendant les periodes riches
en attentats, moins pendant les courts moments de repit. Cette unite israelienne, sombre et marquee par le desespoir, qui a recemment montre qu’elle commencait a craquer, a constitue une des principales forces d’Israel dans sa tentative de contrer les efforts palestiniens de l’epuiser par un terrorisme meurtrier.
La deception des Palestiniens vis-a-vis du « camp de la paix » a donc eu son
utilite. Les dirigeants palestiniens ont appris que ceux des Israeliens qui
soutenaient le compromis et la reconciliation faisaient preuve d’un instinct
un peu particulier. Ils ne sont pas prets a faire des concessions quand en meme temps, ils craignent pour la vie de leurs enfants a la pizzeria du coin. Et ils ont une limite : la plupart, sinon tous, ne sont pas prets a accepter le « droit au retour » des refugies en Israel, ou toute formule habile qui apparaitrait comme une maniere douce de faire passer une mise en oeuvre de ce droit.
Si l’on se place dans la perspective des fondations du conflit israelo-palestinien, la premiere annee de Sharon a son poste a contribue, d’une maniere absolument tragique, a accelerer la maturation du conflit. Selon une theorie avancee pendant la premiere intifada par le Dr Richard Haas, qui dirige actuellement la planification politique du Departement d’Etat des Etats-Unis, les deux parties devaient murir avant qu’un compromis ait la moindre chance d’etre trouve.
Nous avons aujourd’hui la preuve que de nombreux Palestiniens (mais pas
Arafat) sont davantage prets que par le passe a accepter des compromis. La
majorite de l’opinion israelienne (mais pas Sharon, ni les leaders d’extreme
droite) est prete a appliquer la formule « la terre contre la paix ». L’opinion palestinienne est aux prises avec ses contradictions : les enquetes conduites par le Dr Khalil Shikakli montrent que la plupart des Palestiniens, tout en soutenant les attentats contre Israel, seraient en faveur d’un accord de paix impliquant l’etablissement d’un Etat palestinien.
Les conditions locales et internationales sont plus favorables que jamais :
l’Egypte, la Jordanie, et recemment, l’Arabie Saoudite, sont interessees par
un accord entre Israeliens et Palestiniens qui stabiliserait leur regime. La
communaute internationale pourrait contribuer a l’application d’un tel accord, sans les obstacles que l’URSS y mettait par le passe.
Dans de telles conditions, tous ceux qui, en Israel, sont en faveur d’une solution incluant la fin de l’occupation et la creation d’un Etat palestinien a cote d’Israel doivent se demander que faire, a l’aube de la deuxieme annee de Sharon, qui commence la semaine prochaine. D’un cote, le terrorisme palestinien n’a pas cesse, et Arafat l’anti-conformiste fait tout ce qu’il peut pour detruire toute possibilite de pragmatisme politique. D’un autre cote, Israel a souffle sur les braises, et son dirigeant, piege par ses propres fixations, a gache sa premiere annee ; il a utilise la force, souvent de facon excessive, sans donner aux Palestiniens (ni aux Israeliens) quelque chance que ce soit d’eclaircir leur horizon politique. Son discours a la nation, la semaine derniere, n’a fait que mettre en lumiere son defaut de volonte, ou de capacite, de donner sa chance a une approche politique.
Arafat, comme Ceausescu et les gens de son espece, appartient aux poubelles
de l’histoire. On ne peut qu’esperer que les Palestiniens s’en rendront compte le plus rapidement possible, et rejetteront un dirigeant qui ne leur a apporte que misere et destruction. Mais meme si les Palestiniens tardent a le faire, les Israeliens ne peuvent attendre que Sharon sorte de son coma.
Il y a un an, j’avais propose que tous ceux qui etaient degoutes par l’election de Sharon adoptent le principe suivant : le juger sur ses actes a venir, non sur ses actes passes. Un an plus tard, il est clair que Sharon n’est pas de Gaulle, ni de Klerk, ni meme Menahem Begin. Ceux qui ont reve d’un de Gaulle se sont reveilles avec la migraine.
Sharon a montre aux Palestiniens le visage le plus brutal d’Israel. Il n’y a plus aucun souci : les Palestiniens ne considereront plus les Israeliens comme des gens faibles et pusillanimes. Mais Israel se doit de donner de l’espoir a ses voisins. Et Sharon ne montre aucun signe de cette sorte. Il a dispose d’une chance historique et l’a manquee. Il restera dans l’histoire comme une note en bas de page. Il n’est aucun besoin de compter encore 1000 morts, palestiniens et israeliens : Sharon est l’homme de l’annee derniere.