La visite en France de Reuven Rivlin, président de l’État d’Israël, aura été l’occasion de braquer les projecteurs sur un personnage important au plan protocolaire mais plus encore à celui des symboles et des valeurs. Certes, son pouvoir politique est faible face à celui du Premier ministre. Cependant, s’agissant de la désignation de celui qui sera le chef du gouvernement, ses prérogatives peuvent être plus conséquentes. En effet, s’il est de tradition pour le président de l’État de confier la formation du gouvernement au chef du parti qui a le plus d’élus à la Knesset, il n’est pas pour autant obligé de respecter cette pratique car, dans les faits, il doit confier cette tâche à la personnalité qu’il juge en mesure de constituer un gouvernement. Le président de l’État peut donc être un acteur important du processus relatif à la composition du gouvernement, notamment lorsqu’un parti ne détient pas la majorité absolue des sièges ou que le leader du parti majoritaire est suffisamment contesté pour que la formation d’un gouvernement soit compromise.
En ce sens, la décision, prochaine semble-t-il, du procureur général Avishaï Mandelblit de rendre publiques ses conclusions quant à une éventuelle inculpation de Benyamin Netanyahu avant le scrutin du 9 avril pourrait avoir des répercussions majeures. D’une part le parti donné gagnant dans les sondages perdrait un nombre conséquent de sièges (25 au lieu de 30) tout en restant le premier parti. D’autre part, plusieurs leaders des autres partis ont annoncé qu’ils ne siégeraient pas dans un gouvernement dirigé par l’actuel Premier ministre s’il devait être inculpé, ce dernier ayant annoncé qu’il ne démissionnerait pas. La marge de manœuvre de Reuven Rivlin s’en trouverait accrue, mais nous frisons là la politique fiction…
Sur un autre plan, celui des valeurs, Reuven Rivlin fait figure d’opposant au Premier ministre bien qu’appartenant à la même famille politique, la droite révisionniste. En ce sens, rien d’étonnant, s’agissant du conflit israélo-palestinien, que ses positions restent fort éloignées de celles du camp de la paix, ce que l’on a parfois tendance à oublier tant il se différencie de B. Netanyahu et de la droite extrême qui le soutient dans la remise en cause des orientations qui ont été celles d’Israël depuis sa création.
La veille même de son arrivée en France, R. Rivlin s’est élevé contre un respect déclinant de l’État de droit en Israël : « le respect pour l’État de droit s’est affaibli au cours des années » a-t-il déclaré. » La loi est dorénavant considérée comme artificielle, restrictive, pénible« . Outre sa réprobation des attaques lancées contre le procureur général, il a pris position à plusieurs reprises contre des tentatives de mise au pas de la Cour suprême. Le président Reuven Rivlin a fermement dénoncé la loi de l’État-nation comme étant « mauvaise pour Israël et mauvaise pour le peuple juif ». On ne compte plus ses déclarations et ses gestes symboliques s’agissant de la citoyenneté pleine et entière des Arabes israéliens et de l’impérieuse nécessité de parvenir à une égalité de droits. Dans son rapport à l’argent, on ne trouve aucune exubérance dans l’utilisation des deniers publics; il est plus proche du « bel Israël » que du « bling-bling » qui semble prévaloir depuis plusieurs années chez nombre de responsables politiques.
L’année 2019 sera décisive pour Israël, dans ses relations avec les Palestiniens mais aussi dans son rapport à lui même, dans le type de société qui prévaudra. Même si la droite reste la première force du pays, elle peut et doit se retrouver dans une configuration qui ne lui permette pas de faire ce qu’elle veut, de reléguer dans une chambre noire la Déclaration d’Indépendance pour lui substituer des textes qui divisent, hiérarchisent, excluent et qui, comme l’a dit Reuven Rivlin, alimentent « un phénomène global qui vise à couper court à toute discussion, un phénomène qui cherche à construire une réalité dans laquelle il n’y a que deux possibilités : soit tu es avec moi, soit tu es un traître, un ennemi « .
On ne peut pas ne pas penser à Amos Oz pour lequel le mot « traître » est un nom « qui donne de l’honneur à celui qui le porte » et qui ajoutait : « Je vois de plus en plus de fatigue chez les Israéliens et les Palestiniens, la majorité, car les fanatiques, eux, ne sont jamais fatigués. »
Sans relâche, nous continuerons à apporter notre soutien à ceux qui œuvrent sur le terrain sans fatigue ni fanatisme.
Ilan Rozenkier
23 janvier 2019