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Ha’aretz, vendredi 5 novembre 2004
Trad : Tal Aronzon pour La Paix Maintenant
Ramallah comme El-Bireh n’ont rien changé à leur rythme, cadencé la nuit dernière encore par le jeûne du Ramadan plutôt que par les bulletins de santé allant s’aggravant de Yasser Arafat. En ville, la vie quotidienne suivait son cours, loin de la crise politique provoquée par son absence.
Comme de coutume pendant le Ramadan, les rues sont restées vides entre 17h et 18h – heure de l’iftar, le repas qui casse le jeûne.
Hormis une poignée de journalistes, personne n’a quitté la table familiale pour aller à la Muqata essayer de démêler la vérité des diverses rumeurs concernant l’état d’Arafat. Les employés de la Muqata et l’équipe d’Arafat n’étaient pas là non plus – les portes de fer restaient closes, sauf pour qui travaillait là.
Nul ne sortit donner les nouvelles venues de France. Était-ce parce que l’on savait qu’il n’y aurait pas de citoyens venant clamer leur douleur aux portes de ce qui fut, ces trois dernières années, la résidence-prison d’Arafat ? Après dix-huit heures, les rues s’emplirent de nouveau, les cafés traditionnels tout d’abord, puis les magasins. Aucune atmosphère de deuil n’était sensible.
« C’est vrai, les gens ne se sentent pas liés à Arafat », confirme le Dr. Saleh Abd Al-Jawad, du département de Sciences politiques à l’université Bir-Zeit. Le téléviseur, chez lui, était éteint. « L’absence de monde à la Muqata la semaine dernière, au moment du départ d’Arafat pour Paris, et aujourd’hui, constituent une sorte de sondage d’opinion. C’est la façon qu’ont les gens de montrer leur mécontentement face au fonctionnement de l’autorité palestinienne et d’Arafat. Son prestige ne s’est maintenu que du fait de son emprisonnement dans la Muqata et des perpétuelles attaques d’Ariel Sharon à son encontre. »
La semaine dernière, Al-Jawad a remarqué des groupes de gens discutant sur le campus, dans les rues, sur les marchés, et supposé qu’ils parlaient de l’état d’Arafat. mais, écoutant de plus près, il s’est rendu compte qu’ils parlaient de tout autre chose.
À côté de l’apathie, cependant, des inquiétudes se font jour concernant la façon dont la nouvelle direction va se structurer et son impact sur la vie des gens ; ces inquiétudes ne portent pas seulement sur la sécurité, mais sur le caractère même du régime. « Depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, des puissances étrangères ont pesé sur les dirigeants palestiniens, dit Al-Jawad. J’ai peur que les États-Unis, Israël et des forces réactionnaires ne mettent ici au pouvoir des dirigeants de république bananière. »
Le seul moyen d’empêcher cela serait l’organisation d’élections permettant la mise en place d’un pouvoir légitime. Israël et les États-Unis auraient du mal à s’opposer à une telle direction. Mais Abd Al-Jawad est préoccupé par l’existence, au sein du Fatah, d’éléments qui pourraient saboter les élections afin de préserver leurs intérêts économiques et politiques, souvent liés à Israël.
Autre sujet d’inquiétude, la faiblesse de celui qui se pose en héritier : « Qu’Abu Mazen [Mahmoud Abbas] soit l’alternative est symptomatique. Il veut améliorer la vie des gens, c’est vrai, et il fait partie des pères fondateurs du Fatah, mais la libération nationale n’est pas à son programme. Il est âgé, malade et n’aime guère le pouvoir – ni ses bénéfices, ni ses tracas. Je suis convaincu qu’il pense qu’Israël et les États-Unis ont toutes les cartes en main, et que les Palestiniens doivent faire avec ce jeu, » dit encore
Al-Jawad.
L’appauvrissement de larges catégories de la société palestinienne les a écartés de tout intérêt pour la vie politique ; ils sont trop occupés à survivre.
« Le découpage des territoires palestiniens a permis l’ascension de dirigeants dont les capacités se limitent à l’échelon local », déplore Al-Jawad.
La vie qui continue à Ramallah, comme si de rien n’était, tient apparemment de cette même désaffection du politique.