[[Yossi Alpher, israélien, est co-éditeur de bitterlemons.org and
bitterlemons-international.org. Il est l’ancien directeur du Jaffee Center
for Strategic Studies à l’Université de Tel-Aviv et ancien conseiller
principal du Premier Ministre Ehud Barak.]]

Bitterlemons 36, le 26 septembre 2004

Traduction Kol Shalom (La Lettre des Amis Belges de Shalom Akhshav)

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Les réfugiés palestiniens qui abandonnèrent leurs demeures en 1948 furent victimes d’une guerre déclenchée par le monde arabe pour empêcher la création d’un Etat juif. Certains des réfugiés fuirent de leur propre initiative ; d’autres furent, pour employer une terminologie actuelle, l’objet d’un nettoyage ethnique. L’Etat
d’Israël naissant menait, lui, une guerre pour sa propre survie. Il n’est redevable d’aucune excuse envers qui que ce soit pour son comportement en 1948.

La résolution 194 des Nations Unies fut adoptée en 1949 avec pour but de résoudre rapidement le nouveau problème des réfugiés, par le biais d’un retour et de compensations. Si vous revenez au texte, vous verrez qu’il fait appel à un certain degré d’équilibre : si les réfugiés acceptent de « vivre pacifiquement avec leurs voisins israéliens », alors il « leur sera permis [de revenir] aussitôt que possible ».
Cette formulation a pleinement légitimé et habilité Israël à insister, des années durant, sur le fait que la résolution 194 était inapplicable parce que, en pratique, nous sommes encore et toujours en guerre.

Le Mouvement national palestinien, pour sa part, a détourné la résolution 194 en la bruyante revendication posant, comme condition préalable à la paix, qu’Israël reconnaisse le « droit au retour » des réfugiés – expression ni explicite ni implicite dans cette résolution. Les Palestiniens radicaux prétendent qu’Israël doit permettre à des millions de réfugiés de submerger le pays, ce qui aurait pour résultat de compromettre son statut d’Etat juif et de contredire la Résolution
181, qui créait explicitement des « Etats juif et arabe » sur la Palestine mandataire. Les Palestiniens modérés insistent sur le fait que des voies peuvent être trouvées pour garantir à Israël que seule une petite part des réfugiés rentreraient actuellement. Mais eux aussi insistent fortement pour qu’en fin de compte Israël reconnaisse le « droit  » au retour de tous les réfugiés.

En d’autres termes, pour les Palestiniens modérés, un statut final acceptable pour un accord de paix inclurait un retour relativement symbolique de, disons, quelques dizaines de milliers de réfugiés joint à un compromis interprétatif de la 194 qui pourrait être compris par le mouvement national palestinien comme une reconnaissance israélienne de culpabilité, ou de faute, ou de honte pour avoir, en premier lieu, provoqué le problème des réfugiés. Bien des Israéliens saisissent ceci comme la revendication d’une prime de compensation psychologique aux
Palestiniens sous forme de reconnaissance israélienne qu’Israël serait « né dans le péché » – les Palestiniens seraient « les bons » et Israël « le mauvais » de 1948. Il ne s’agit en rien de cela quant à la 194. Il ne s’agit en rien de cela quant à Israël. Ce n’est pas et ne peut en aucun cas être le fondement de la paix.

Cette panoplie de revendications palestiniennes repose sur un remarquable exploit arabe relatif aux réfugiés depuis plus de 50 ans. La résolution 194 a été dénaturée, non seulement dans le discours arabe, mais aussi en ce que seuls les réfugiés palestiniens se sont vus gratifiés de leur propre Agence de l’ONU, l’UNWRA (Agence des Nation Unies pour les Actions de Secours), alors que le reste des réfugiés dans le monde a affaire au Haut Commissaire de l’ONU pour les Réfugiés. Ultérieurement, des règles ont été édictées par l’UNRWA, pour assurer que le statut de réfugié soit transmis de génération en génération, pour l’éternité. Donc le problème des réfugiés palestiniens croît de manière exponentielle au fil des ans. Avec une cinquième génération de réfugiés palestiniens sur le dos, auxquels s’ajoutent les mariages mixtes entre réfugiés et non réfugiés, il nous est vraisemblablement garanti que ce problème ne sera jamais résolu puisque, virtuellement, tous les Palestiniens seront bientôt habilités
à réclamer le statut de réfugiés et celui du « retour ». Nulle part ailleurs au monde un problème de réfugiés n’a été traité, ou plutôt maltraité de la sorte.

Certains Palestiniens reconnaissent l’absurdité des revendications palestiniennes sur le droit au retour. Mais dans l’opinion palestinienne dominante, des générations ont été éduquées sur le concept qu’Israël finira par reconnaître le droit au retour et rapatriera ceux des réfugiés qui le désirent. D’où il ressort que la question des réfugiés est peut-être devenue le principal obstacle à la paix et le
plus difficile à franchir.

Je puis concevoir une proposition de compromis possible qui pourrait, tant bien que mal, jusqu’à un certain point, être efficace pour obtenir un accord sur la question des réfugiés. Israël réitérerait son rejet catégorique du droit au retour. Mais, dans l’esprit de la résolution 194, il s’offrirait à rapatrier ceux des réfugiés
d’origine, c’est-à-dire les Palestiniens qui ont eux-mêmes quitté le pays en 1948, qui désireraient passer leurs dernières années en Israël et sont prêts à le faire dans un esprit de paix. Aucune famille étendue – seulement les réfugiés d’origine eux-mêmes, tous ceux d’au moins 56 ans d’âge, dont le nombre se situerait dans une fourchette comprise entre quelques milliers et quelques dizaines de milliers.

Les Palestiniens pourraient interpréter et, espérons-le, interpréteront ceci comme un geste humanitaire qui rencontre le coeur de leurs griefs. Les Israéliens pourraient affirmer rester fidèles à l’intention originale de la résolution 194, sans en aucune manière valider le discours palestinien sur 1948 ou l’interprétation
palestinienne de la 194, tous deux incompatibles avec l’esprit d’une
authentique solution à deux Etats et d’une réconciliation entre les deux peuples.

Si nous ne pouvons invoquer un compromis de cette nature relatif à la 194 et au droit au retour, nous resterons éloignés, je le crains, d’une sortie négociée de ce conflit.