article en anglais sur le site de Dar al hayat
Dar al Hayat[[Dar al Hayat est un quotidien en langue arabe base a Londres]], 29 fevrier 2004
par Avraham Burg[[Avraham Burg a ete president de la Knesset de 1999 a 2003. Ancien president de l’Agence Juive, il est actuellement depute travailliste.]]
Trad. : Gérard Eizenberg
Nombreuses ont été les tentatives de faire la paix dans la région, et qui
ont echoué. La paix avec les Egyptiens n’a jamais été totale, mais elle a
donné des résultats : pas de guerre, pas de sang sur la frontière commune.
Avec la Jordanie, la frontière internationale est sûre, et les accords de
cessez-le-feu le long de la frontière avec la Syrie existent depuis un quart
de siècle. Mais avec Palestiniens, nos plus proches voisins, sur le plan
politique comme sur le plan géographique, nous avons echoué. Les raisons en
sont mulitples. Les responsables de cet échec sont connus. Et pourtant, des
deux côtés et depuis très longtemps, ces mêmes responsables échappent a la
reprobation publique. Dans cet article, je souhaite exposer brièvement les
principales raisons de l’échec de la précédente initiative de paix (Oslo),
et les conclusions qu’il faut en tirer pour faire réussir la suivante :
Genève.
Rappel : après 20 années (1967-1987) d’association entre conquérants et
vaincus, les Israéliens et les Palestiniens, les Palestiniens nous
informèrent qu’ils n’avaient pas perçu la lumière qu’était censée leur
apporter une occupation « éclairée », et qu’ils n’avaient plus envie de
poursuivre cette association. A cette annonce, ils donnèrent un nom, inconnu
jusqu’alors dans le vocabulaire du Moyen-Orient : l’intifada. La première
intifada surprit Israël, et le monde entier.
Cette intifada révélait l’intensité de la violence et du désespoir. De cette
même intifada naquirent les accords d’Oslo. Dans le secret des antichambres,
hors la vue du public, leurs initiateurs concoctèrent une Declaration de
Principes qui surprit le monde, et nous aussi, et Oslo devint un réel fait
politique. Immédiatement, sans prêter attention aux détails ni aux
répercussions, les deux sociétés, israélienne et palestinienne, firent leur
l’option de l’espoir. 80% des Israéliens, et la même proportion de
Palestiniens, dirent « oui » à l’accord, un « oui » précieux qui pavait un
chemin et marquait une direction : celle d’une séparation digne et
mutuellement acceptée entre deux peuples étroitement liés. Mais, comme
toujours dans notre région, personne ne se prépare pour le jour d’après.
Nous payons par du sang et des lames, des victimes et de l’argent, les
disputes sur le passé, sans faire le moins du monde attention à ce que le
lendemain nous prépare. Nous sommes liés par des liens de mort à toutes le
générations qui nous ont précédés, et ne sommes pas prêts à créer des liens
de vie au nom de ceux qui viendront après nous. Ainsi, nous avons négligé de
traiter des lendemains d’Oslo. Nous nous sommes réjouis de la surprise que
nous apportait le présent, mais échoué à faire advenir des accords qui
créeraient les conditions d’un avenir prometteur.
Nous, Israéliens comme Palestiniens, avons négligé ce qui était le plus
sensible, le plus douloureux, pour l’autre. Israël n’a pas compris combien
les colonies étaient comme un fil de fer barbelé, enfoncé dans la chair et
dans l’esprit de la renaissance palestinienne. Tout Palestinien ou
Palestinienne d’accord avec Oslo se disait « j’accepte que la paix soit un
compromis ». Un compromis est quelque chose d’incomplet et d’imparfait, mais
un compromis honorable est meilleur qu’une passion qui ne pourra jamais se
réaliser. Nous faisons la paix et nous nous attendons à ce que, de l’autre
côté, le message soit reçu et que les colonies – symbole le plus visible et
le plus douloureux d’une occupation « éclairée » et discriminatoire – soient
évacuées et disparaissent du paysage de la future Palestine. Israël n’a pas
écouté. Entre Oslo et aujourd’hui, les colonies se sont multipliées, en
nombre, en prix, en douleur, sous Rabin, Peres, Netanyahou, Barak, et bien
entendu, sous Sharon.
D’un autre côté, les Palestiniens n’ont pas compris l’effet qu’avait sur
nous l’incitation a la haine. Tous les jours, nous tendions l’oreille vers
les voix qui s’élevaient des mosquées et des écoles, et nous tremblions. Si
c’est ce à quoi ressemble la nouvelle conscience palestinienne, cela
signifie qu’ils ne créent aucune nouvelle génération, au-delà des
checkpoints et du conflit. Ils n’investissent pas dans la purification des
ames de la haine et de la psychologie de la vengeance. Une nouvelle
génération est dans la rue, pleine de désespoir, de volonté de vengeance, de
colère et d’hostilité. Voilà ce qu’était la vie alors : l’Oslo politique à
la une des journaux, les colonies et l’incitation a la haine dans la rue.
Les ames des deux peuples n’avaient pas fait leur la chance qui leur avait
été offerte. La collision n’était qu’une affaire de temps, et l’échec etait
écrit sur le mur.
Et quand survint la collision, comme un terrible accident de trains, deux
personnes étaient absentes, qui auraient pu l’empêcher; Itzhak Rabin,
sacrifié sur l’autel d’Oslo, et Yasser Arafat, qui avait renoncé au dernier
moment, préférant poursuivre le conflit avec Israel dans un dialogue de sang
et de terreur, et ayant quitté la table des negociations.
Depuis lors, depuis trois longues et maudites années, le mal règne sur le
Moyen-Orient. « Il n’y a personne à qui parler, et rien à discuter ». Et, en
l’absence de partenaire et de partenariat, on a sorti les glaives, et donné
à la mort le permis de s’en donner à coeur joie dans les rues. Après trois
années de bain de sang et de larmes, les deux parties se sont rendu compte
que le conflit ne pouvait être résolu par la violence. Des individus peuvent
crier vengeance, être assoiffés de sang, mais des dirigeants ne peuvent se
permettre de détruire leurs peuples par des politiques cycliques de
vengeances, représailles et vengeances. Les dirigeants ont trahi leurs
peuples. Ils ne nous ont pas apporté la securité, et ne nous ont pas
rapprochés de la paix. D’un seul coup, le moment est arrivé où les deux
nations, les deux sociétés civiles sur lesquelles repose le système
politique, ont ressenti « l’usure du désespoir ». Elles n’en peuvent plus
d’être désespérées, alors qu’elles connaissent la solution et ce qu’elle
peut apporter.
Heureusement, a ce moment, Genève nous attendait. Deux hommes, Yossi Beilin,
mon ami, collègue et partenaire, et Yasser Abed Rabbo, n’avaient pas
renoncé, ni quand Barak s’est trompé, ni quand Arafat s’est trompé. Ils se
sont dit : si nous, qui sommes si proches d’une vision de la paix, ne sommes
pas capables de bâtir un pont, personne ne le sera. Lentement, par le
travail et la patience, le camp de la paix émerge à nouveau. Trois ans plus
tard, nous avons réussi à conclure un accord. Pour la première fois, nous
plaçons face aux deux communautés l’image finale. Pendant des années, à
travers tous les accords, l’image finale n’était que du vent, sans réel
contenu : « prix douloureux », « compromis historique », « décisions terribles ».
Ces mots vides de sens permettaient aux dirigeants d’éluder leur
responsabilité historique. Les accords de Genève constituent la vraie image.
Ils sont ce à quoi ressembleront les relations entre vous et nous, le jour
où les gouvernements sauront s’élever au même niveau de responsabilité que
les artisans du pacte de Genève.
Les principes de Genève sont simples, et n »anmoins frappants. Je ne veux pas
d’une victoire au prix d’une insulte et d’une humiliation à l’égard de mon
ancien ennemi et futur partenaire. Je veux un accord qui respecte la dignité
de tout ce qui est précieux et sacré pour l’autre. Et j’attends de sa part
la même attitude. Genève est un accord de respect mutuel, non d’affrontement
mutuel. Il est impossible d’éluder la vérité qui se trouve au coeur de
Genève. Chacune des parties a de merveilleux rêves, des rêves de grande
patrie, de droits historiques, de dimensions religieuses antiques. Mais un
accord politique n’est pas un lieu où l’on réalise ses rêves. Au contraire.
Un accord politique est un lieu ou des rêveurs se rencontrent et
déterminent, pour eux-mêmes, par un accord, les limites à l’interieur
desquelles leur rêve devient possible.
En tant que juif, je ne renoncerai jamais à mon rêve d’un retour de Dieu
dans son sanctuaire, dans le troisième Temple. Mais, jusqu’à ce qu’il
retourne, je n’ai pas à exercer ma souveraineté sur les lieux du sanctuaire
de Dieu. J’ai prié pour des lieux qui ont été, au cours de l’histoire,
perses, arabes, romains, mamelouks, croisés, turcs, britanniques et
jordaniens. Il ne m’est pas difficile d’en appeler à mon « Dieu de toutes les
nations », même si la souveraineté sur les lieux du sanctuaire est
palestinienne : mon rêve spirituel, et la souveraineté politique d’un autre,
dont je respecte la foi et qui respecte la mienne.
Pour ma part, je sais combien taraudante et douloureuse est la prière du
coeur palestinien pour un retour aux villes et villages dont il a été exilé,
à cause du cours des guerres et de l’Histoire. Le rêve du retour a toujours
été la colonne vertébrale qui a porté les chances d’une résurrection
palestinienne. Cette chance est arrivée, elle est là, et vous ne devez pas
la manquer. Genève est une chance de résurrection et d’indépendance. Il est
temps de dire adieu aux rêves et de construire du possible. J’attends
de chacun de mes collègues palestiniens qu’il sache et reconnaisse qu’une
prière est une chose, et que la réalisation en est une autre. Personne ne
peut ôter à un individu son désir d’un droit au retour. C’est son droit,
dans son coeur. Mais dans les faits, cela n’arrivera pas, comme le Temple,
qui demeurera du domaine du rêve, jusqu’à ce qu’une autre Histoire se
produise. Parce que Genève dit aux deux parties : seul celui qui sait
laisser ses rêves au domaine du rêve aura la capacité de créer pour ses
enfants un avenir bien plus beau. Et quiconque insiste pour vivre dans ses
rêves finira par vivre un cauchemar sans fin. La plus fière des mères de
martyrs est une mère de chair et de sang, et je veux lui offrir la vie de
ses enfants dans ce monde-ci, les sourires et la joie de petits-enfants à
venir au lieu de souffrances et d’enterrements, de voiles noirs et de
lamentations sans fin pour un enfant qui s’est suicidé et a assassiné tant
d’innocents, hommes, femmes et enfants, sur l’autel de la vengeance et de la
stupidité.
Dans l’équation du désespoir du Moyen-Orient, Genève a replacé l’espoir. Et,
soudain, tout le monde s’est reveillé. 40% de soutien en Israël, et en
Palestine. L’opposition bornée d’extrémistes des deux bords persiste, parce
qu’ils savent que l’espoir de Genève constitue l’alternative à l’extrémisme
religieux, qui nous tue au nom de la vie eternelle. La communauté
internationale s’est réveillée et nous soutient, car Genève est l’espoir
pour la région et pour le monde entier, espoir de stabilité politique et
d’un avenir fait de paix et de respect mutuel.
Pour moi, les prochaines étapes sont très claires. Genève doit faire partie
intégrante d’une formule internationale, comme les résolutions 242 et 338.
Genève doit être la déclaration politique que les citoyens des deux côtés
adressent à leurs dirigeants. Non une clôture d’illusions, non le terrorisme
et ses fous, non une séparation unilatérale, non des mots vides de sens
tenus par des dirigeants d’un autre âge qui n’ont plus d’avenir ici. Genève
vient contre tout ce terrible désespoir. Genève, c’est le grand espoir.
Encore une fois, nous dirons oui à l’accord, et, cette fois, nous ferons
tout ce qui est en notre pouvoir pour qu’il réussisse.