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Haaretz, 7 janvier 2004
par Arthur Herzberg[[ Arthur Herzberg est un dirigeant important de la communaute juive americaine, et auteur d’un livre recemment publie : « »The Fate of Zionism: A Secular Future for Israel and Palestine. »]]
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
En pleine 1ère guerre mondiale, le premier ministre de la France, Georges
Clémenceau, exprima son exaspération croissante face aux mauvais résultats
obtenus sur le front en déclarant que « la guerre était une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires ». Près de 40 ans après la grande victoire de la guerre des Six jours de 1967, les Juifs du monde entier sont sur le point de clamer haut et fort : Israël est une chose trop sérieuse pour que son avenir soit laissé aux mains des politiciens diviseurs qui composent son gouvernement.
Il est fondamental de noter que la communauté internationale n’a jamais
confié les intérêts juifs en Terre sainte aux soins exclusifs de ceux qui y
vivent. A l’origine de la revendication des Juifs au droit à établir une
présence nationale sur la terre de leurs ancêtres sous les auspices du droit
international, il y a la Déclaration Balfour de novembre 1917. Or, le
gouvernement britannique adressa ce document, non au dirigeant de facto du
mouvement sioniste mondial en Grande-Bretagne, le Dr Haim Weizman, mais a
Lord Rothschild of England, personnalité importante de la diaspora.
A l’époque, vivaient en Palestine 50.000 Juifs et un demi million d’Arabes.
Néanmoins, le gouvernement britannique déclara que le besoin qu’éprouvaient
les Juifs d’avoir leur propre foyer, et que le lien très ancien entre ce peuple éparpillé de par le monde et la Terre Sainte, méritaient la considération la plus extrême. La Déclaration Balfour demandait à ce que soit créée une « Agence juive » internationale pour promouvoir ce lien. Jusqu’aujourd’hui, soit bien après sa création en tant qu’Etat souverain en 1948, Israël a toujours considere comme acquise, sans jamais la remettre en cause, l’obligation des Juifs du monde à aider à construire cette entité nouvelle. Israël attend des intitutions de la diaspora qu’elles supportent un fardeau particulier, à la fois economique et politique, afin de défendre Israël.
Le problème est qu’il n’existe aucun mécanisme permettant aux Juifs de la
diaspora de faire entendre de manière efficace des opinions que le gouvernement en place en Israël n’a pas envie d’entendre. Les hommes politiques israéliens disent depuis des décennies que leur objectif est de contrôler tout organisme censé représenter l’opinion juive et qui pourrait se montrer critique. A gauche comme à droite, tous les premiers ministres ont attendu des « dirigeants de la diaspora » qu’ils s’alignent politiquement sans jamais exprimer de désaccord.
Ce n’est un secret pour personne que quelqu’un au gouvernement israélien
opposera son véto à toute élection à un poste de responsabilité, quelque part dans l’establishment juif, de quelqu’un qui aurait des opinions indépendantes[[Sur ce point, l’auteur semble s’avancer quelque peu, adoptant peut-être un point de vue americano-centré. Entre autres contre-exemples, le Dr Nahum Goldman, ancien président du Congrès juif mondial, et Me Theo Klein, ancien président du Crif. (ndt)]]. L’un des moments dont je suis le plus fier est le jour, il y a une trentaine d’années, où Abba Eban et moi, soupçonnés avec raison d’être des « colombes », avons été traités d' »antisémites fonctionnels » dans un article d’un néo-conservateur. Le fait d’être en désaccord avec la ligne du gouvernement de Menahem Begin, selon laquelle le destin d’Israël était de contrôler la Cisjordanie, n’était pas critiqué dans le cadre d’un débat politique, mais était qualifie d' »antisémitisme juif ».
On devrait assister de moins en moins à ce genre d’absurdités. La grande
division est en train de prendre corps, tout simplement parce qu’il est clair que l’actuel gouvernement d’Israël ne dit pas la vérité. Les propres chiffres du gouvernement nous montrent qu’au cours des dix dernières années, depuis que les accords d’Oslo devaient mettre un terme à la colonisation pour avancer vers la paix, la population juive en Cisjordanie et dans la bande de Gaza a doublé! On ne peut en aucun cas attribuer ce phénomène à une croissance naturelle : le taux de natalité israélien, en-dessous de trois par famille, ne peut produire une telle augmentation en dix ans.
Natan Sharansky, ministre chargé des affaires de la diaspora, s’est récemment attaqué, dans des discours aux Etats-Unis comme ailleurs, aux étudiants juifs dans les campus et aux professeurs juifs qui ne soutenaient pas les positions israéliennes. Sharansky attribue cet échec à un manque d’information de leur part, et il propose que cela soit corrigé par une meilleure éducation au sionisme. Mais quel sionisme veut-il inculquer à ces étudiants et à ces professeurs? Se propose-t-il de leur inculquer le sien, qui lui a fait déclarer que, contrairement à une promesse faite au gouvernement américain, il allait financer la construction de 650 nouveaux logements en Cisjordanie afin d' »épaissir » la présence juive dans certaines colonies? Natan Sharansky n’ignore sans doute pas qu’il existe actuellement des appartements vides dans ces endroits-là. En construire de nouveaux, c’est un défi lancé à la figure des Palestiniens, qui perçoivent cela comme la preuve de l’intention d’Israël de réduire leur contrôle sur ce qu’ils
considèrent comme leur terre. Cette politique, pour parler sans détours, est une invitation à perpétuer le conflit.
Ceux qui aiment Israël sont-ils prêts à défendre l’annexion continue et galopante de la Cisjordanie, qui paraît n’avoir pour seul objectif clair que de réduire la portion de terres sur lesquelles pourront vivre les Palestiniens à moins de la moitié du territoire de la Cisjordanie? Est-ce là le sionisme qui, selon l’actuel gouvernement d’Israël, peut etre défendu par des gens intelligents, sur les campus? Ce qui ne va pas, ce n’est pas le manque de passion à défendre Israël : il est moralement et politiquement impossible de défendre la pression incessante à laquelle sont soumis, chez eux, les Palestiniens, et qui leur rend la vie de plus en plus difficile.
En ce moment, la communaute juive américaine est déchirée entre son amour
pour Israël et son degoût pour la politique israélienne. Nous, qui aimons Israël, avons le devoir de dire ce en quoi nous croyons. Depuis plus d’un siècle, nous avons aidé et soutenu l’entreprise sioniste. Nous avons longtemps vécu dans l’idée que les gouvernements israéliens, de droite comme de gauche, ont tenté de nous inculquer : ce sont eux qui déterminent la politique, et nous avons le privilège de dire amen. Ce non-sens a aujourd’hui fait faillite.
Il y a plus de deux siècles, les colons américains se révoltaient contre le
gouvernement anglais avec le slogan « pas d’impôt sans représentation ». Une
révolte des Juifs est en train de fermenter. Son slogan doit être : Nous ne pouvons laisser la politique d’Israël etre faite par des politiciens sectoriels qui défendent chacun leur pré carré. Nous avons besoin d’hommes d’Etat, qui pensent aux intérêts supérieurs d’Israël, à sa place dans le monde, et à ses traditions morales les plus profondes.