L’article qui suit fait partie d’une serie d’articles d’opinion sur
l’initiative de paix arabe, diffusee par Common Grounds Service
[->http://www.sfcg.org/cgnews/middle-east.cfm]
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
par Shimon Shamir[[Shlomo Shamir est président de l’Institute for Diplomacy and Regional Cooperation a l’universite de Tel-Aviv, et ancien ambassadeur d’Israël en Egypte et en Jordanie.]]
Le débat sur la question de savoir s’il existe réellement une solution au conflit entre Israéliens et Palestiniens dure depuis longtemps. Une école de pensée prévaut chez de nombreux hommes politiques, observateurs et universitaires, selon laquelle il n’y a aucun moyen de combler le fossé qui sépare les aspirations des deux peuples. Des spécialistes en science politique font savoir à leurs opinions que l’idée même que tout conflit international peut être resolu est illusoire.
Il n’existe aucune méthode absolue pour réfuter cette thèse, et pourtant, il semble que certains développements depuis trois ou quatre ans tendent à pointer vers la direction opposée. Dans des contextes politiques différents, et mûs par des acteurs différents, un certain nombre de projets d’accord israélo-palestinien sont apparus pendant cette période, projets auxquels des parties tres importantes des deux sociétés pourraient souscrire. Les plus notables sont les « paramètres » de Clinton, sur lesquels des accords ont été obtenus à Camp David et à Taba, l’initiative saoudienne, la déclaration de principes d’Ayalon-Nusseibeh et le pacte de Genève, et la feuille de route du Quartette. Ces developpements permettent d’envisager un accord de paix crédible qui serait constitué d’un mélange de tous ces éléments.
Un tel accord ne satisferait pas les exigences maximalistes des deux parties, mais il répondrait de facon réaliste à leurs intérêts et à leurs objectifs fondamentaux. Les Israéliens qui croient que leur formidable avantage militaire leur permettra d’imposer aux Palestiniens des termes qui iraient au-delà des principes des plans cités plus haut prouvent qu’ils n’ont rien appris. Les Palestiniens qui entretiennent l’espoir que des attentats suicides et le terrorisme en général leur apportera davantage que lesdits plans se laissent tout simplement mener par leurs illusions.
On peut donc dire qu’alors que par le passé, le problème était de savoir comment concevoir un plan de paix, aujourd’hui le sens commun laisse les deux parties avec une seule question : comment y arriver? Dans un soudain moment d’inspiration, Ehud Barak avait déclaré que « la solution au conflit israélo-palestinien existe déjà, la seule question est de savoir combien de gens se feront encore tuer avant qu’elle soit appliquée ».
Parmi les différents plans de paix mentionnés plus haut, l’initiative saoudienne du prince Abdallah occupe une place particulière. Cette initiative a de nombreux mérites. Elle émane d’un Etat arabe prestigieux, qui a son influence dans la définition de la légitimité arabe. Elle a été proposée de manière unilatérale par un gouvernement libre des contraintes qu’entraîne une implication dans les hostilités israélo-arabes. Elle appelle à un accord total, qui signifierait la fin du conflit. Du point de vue israélien, il est d’une importance capitale que l’initiative (qui s’adresse directement au peuple israélien) reconnaisse le droit d’Israël à la sécurité et à être accepté par ses voisins arabes. Par dessus tout, elle appelle, pour la première fois, à établir des « relations normales » entre Israël et les Etats arabes. Elle souscrit ainsi au concept de normalisation, frappé d’anathème par les Arabes, y compris par des pays ayant signé un accord de paix et de normalisation avec Israël. Cs derniers considèrent cette normalisation comme un instrument de pénétration et de domination israéliennes, tandis qu’aux yeux des Israéliens, elle demeure le test absolu de la sincérité des ouvertures de paix.
Tout cela se réfère davantage à l’initiative saoudienne d’origine plutôt qu’à la résolution finale du sommet arabe de Beyrouth, où les formulations saoudiennes avaient été rognées. Cela n’avait d’ailleurs pas surpris outre mesure les observateurs habitués à la dynamique de groupe des sommets arabes, qui évoluent en général vers des positions plus dures, mais cela explique partiellement la froideur de la réaction israélienne à l’initiative. L’exigence présentée par la déclaration de Beyrouth qu’Israêl accepte un droit au retour inconditionnel pour les réfugiés palestiniens, qui remplaçait une formulation plus vague dans le document saoudien, avait franchi une ligne rouge aux yeux des Israéliens.
Pour les Israéliens, colombes comme faucons, un afflux de réfugiés qui bouleverserait l’equilibre démographique va à l’encontre de l’essence même d’une solution à deux Etats qui appelle (tout comme le plan de partition des Nations Unies de 1947) à la création d’un Etat juif à côté d’un Etat palestinien. Ce principe ressort d’une position israélienne intangible, tout comme un Etat palestinien, les frontières de 1967 et la souveraineté sur la Jérusalem arabe constituent pour les Palestiniens des positions intangibles. La Déclaration de Beyrouth a donc ignoré le fait que la faisabilité d’un accord de paix israélo-palestinien dépend d’une capacité à négocier qui respecte les lignes rouges de chaque partie.
D’autres facteurs expliquent egalement l’impact limité de l’initiative saoudienne sur l’opinion israélienne, sans même parler de l’extrême droite, qui panique devant toute offre de paix arabe. La credibilité de l’initiative a souffert du fait qu’elle a été perçue comme étant née dans le contexte d’un dialogue américano-saoudien, et qu’elle s’adressait davantage à Washington qu’à Jérusalem. Par-dessus, tout, est arrivé l’attentat suicide de Natanya, qui a tué vingt fidèles lors d’une cérémonie de Paque. Cet acte terroriste brutal a choqué même ceux des Israéliens qui s’étaient habitués aux attentats suicides, créant ainsi une atmosphère qui les rendait peu réceptifs aux messages arabes.
Néanmoins, l’initiative saoudienne demeure un signal fort sur la route
tortueuse qui mène à la fin du conflit. Avec les autres plans de paix, elle a généré une foule de potentialités. Ce dont ont aujourd’hui besoin les Israéliens et les Palestiniens pour developper ces potentialités, ce sont des dirigeants visionnaires et courageux. Ces dirigeants doivent être capables de démanteler les colonies du côté israélien, et de soumettre les organisations islamistes radicales du cote palestinien. Ils doivent être capables de faciliter un processus politique fructueux en mettant fin au cycle des violences et en agissant pour changer la situation sur le terrain. Peut-être leur tâche la plus vitale sera-t-elle au niveau des consciences : surmonter la méfiance, les idées preconçues et les fixations idéologiques. Ils doivent trouver un moyen de sortir du paradoxe logique israélien (pas de recompense au terrorisme) et du « piège au sacrifice » palestinien qui consiste en une escalade d’exigences et de sacrifices pour justifier les précédents.
Ce qui est en jeu n’est pas seulement la sécurité, le bien-être et l’avenir des Palestiniens et des Israéliens, mais la capacité de la région à diriger ses energies et ses ressources vers le progrès et le développement, fondés sur les principes rationnels du pluralisme culturel, des droits de l’homme, de la coopération économique et de l’ouverture au monde.