La société civile, à travers ses laboratoires d’idées et ses associations, peut seule aider à générer des idées novatrices et des processus politiques positifs et efficaces. Á travers un travail en commun avec les Palestinien(ne)s de Cisjordanie et les citoyen(ne)s arabes de l’intérieur, aujourd’hui très désinvesti(e)s du camp de la paix, elle a la capacité de changer la donne.

Au premier rang de ces ONGs, Women Wage Peace, qui a entrepris cette année une fois encore une marche aux quatre coins du pays, mobilisant au lendemain des fêtes juives des dizaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants de toutes origines sociales ou ethniques et de toutes confessions (athées y compris), de nationalité israélienne et palestinienne, qui se rendront par étapes du 24 septembre au 10 octobre 2017 du nord au sud, de l’est à l’ouest du pays ; la fin en sera marquée par la construction d’une Soukkah géante à Jérusalem et une grande fête, avant la présentation à la séance inaugurale de la Knesseth d’un manifeste pour la paix revêtu des signatures recueillies en chemin.

Traduction, chapô et notes Tal Aronzon pour LPM

Photo : Des manifestant(e)s, dont des militant(e)s israélien(ne)s et palestinien(ne)s, lors de la marche de soutien à la paix pendant Soukkoth 2016. Crédit Reuters [DR].

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L’ARTICLE 

Tandis que les émissaires du président américain Donald Trump poursuivent leurs voyages au Moyen-Orient en cherchant un moyen de sortir de l’actuelle impasse du processus de paix israélo-palestinien [1], nombreux sont ceux et celles dans la communauté internationale qui repèrent ailleurs un potentiel de progrès.

Le postulat communément admis selon lequel les dirigeants israéliens et palestiniens d’aujourd’hui ne sont ni capables ni désireux d’apporter les  éléments nécessaires afin de percer une brèche [dans cette impasse] conduisent à mettre une nouvelle emphase sur le rôle que la société civile peut jouer pour faire progresser la résolution du conflit israélo-palestinien.

De récents documents internationaux ont mis en exergue à de nombreuses reprises la nécessité d’encourager les activités israélo-palestiniennes : par exemple le rapport du Quartette pour le Moyen-Orient à l’été 2016 [2] ; le communiqué final de la Conférence internationale pour la Paix au Proche-Orient, Paris janvier 2017 [3] ; et la résolution du Parlement européen de mai 2017 [4] concernant la question israélo-palestinienne.

Lors d’une conférence organisée par le groupe des socialistes et des démocrates au Parlement européen en juin 1917, divers orateurs ont déclaré que la façon optimale pour l’Union européenne de contribuer au progrès de la paix entre Israéliens et Palestiniens est de soutenir ces organisations qui luttent pour elle au quotidien.  Le rôle de la société civile pour promouvoir la paix est aussi au centre d’un groupe de travail dirigé par le gouvernement suédois qui fut moteur dans l’initiative de paix française ; ses conclusions ont été présentées dernièrement à Jérusalem, au cours d’un événement conjoint de l’Institut Mitvim, du Centre Israël-Palestine pour la Recherche et l’Information (ICPRI) [5] et de l’Alliance pour la Paix au Moyen-Orient (Allmep) [6].

L’importance attribuée aux activités des associations pour la paix est également mise en lumière par les procédures parlementaires cherchant dans  divers pays à augmenter l’aide financière internationale disponible pour ces organisations : par exemple, la récente décision du parlement britannique d’accorder 4,1 millions de dollars à des projets dans lesquels Israéliens et Palestiniens travaillent ensemble ; et la résolution américaine d’éviter de réduire le budget concernant de tels projets malgré d’importantes coupes imposées au State Department [7].

Le fait que la société civile revienne au devant de la scène est bienvenu. Cela survient après des années de désappointement, de fatigue et de désespoir quant au travail des organisations pour la paix, de par leur impact limité durant les deux décennies écoulées. Néanmoins, ces dernières années le tableau de la société civile a changé. Alors que par le passé les associations pour la paix s’occupaient pour l’essentiel d’animer le dialogue et de promouvoir la compréhension réciproque sur le terrain, il existe aujourd’hui des corps de nature différente, des organisations capables d’influer sur la [ligne] et la scène politiques. Les groupes de réflexion sont devenus plus banals et plus efficaces, et nombre d’associations travaillant sur le terrain adoptent des modes d’action plus politiques et plus engagés.

L’impact politique croissant des organisations de la société civile se voit à  [l’aune] de leurs interventions à la Knesseth, de leur implication diplomatique et de leur coopération avec les groupes de réflexion et ONGs à l’échelon tant régional qu’international. En agissant de la sorte elles introduisent des idées nouvelles dans le discours public ; avancent de nouveaux paradigmes pour la paix ; apportent  des conseils sur des questions relatives au processus et à son contenu ; soutiennent les initiatives internationales pour la paix ; empruntent des chemins de traverse en usant de leur propre diplomatie avec des acteurs régionaux ; produisent des analyses et des recommandations concernant les évolutions dans la région ; interviennent dans des comités parlementaires et autres forums publics ; élargissent et approfondissent les connaissances des politiciens sur des questions portant sur le processus de paix et les incitent à agir.

Parvenir à avoir un impact politique exige des ressources financières [7] qui assurent l’équilibre des associations et permettent une planification à long terme, de même qu’une programmation pérenne plutôt que des projets au coup par coup. Quoiqu’il en soit, cela nécessite aussi un changement de mode de pensée et une série de talents professionnels différents de ceux généralement répandus dans les ONGs actives sur le terrain. Dans ce contexte, les laboratoires d’idées jouent un rôle de la plus grande importance. Ils rapprochent le niveau politique du travail de terrain, comme le savoir universitaire de la planification politique. Ils peuvent partager leurs connaissances, leurs outils et leur expérience du monde politique avec les organisations de terrain qui visent à élargir leur cercle d’influence. Le travail politique et le militantisme de base ne se contredisent pas, ils ont tous deux leur importance et chacun d’eux apporte une contribution unique.

L’action politique et le militantisme de base pour la paix devraient fonctionner, autant que possible, en étroite coopération avec les Palestiniens et en impliquant de plus en plus les citoyens palestiniens d’Israël, aujourd’hui absents du camp de la paix israélien [8]. Compte-tenu des difficultés grandissantes rencontrées dans la coopération israélo-palestinienne – barrières physiques ; mouvement anti-normalisation [9] ; soupçons et indifférence – de nombreuses ONGs se recentrent sur leur propre société. Si le militantisme interne est important voir vital dans la création d’une base de soutien pour la paix et la formation d’un leadership qui la désire, la coopération au-delà des frontières est fondamentale pour réduire la distance croissante entre les deux camps, renforcer la confiance réciproque et échafauder des propositions politiques qui répondent aux besoins des deux parties. C’est faisable tout de suite, et efficace, même en période de tensions et de crise, comme l’a montré l’étude exhaustive récemment publiée par le directeur de recherche de Allmep, Ned Lazarus.

Ceci a aussi son importance politique. L’actuelle Knesseth comprend des membres qui ont par le passé participé à des activités israélo-palestiniennes conjointes de la société civile. Cela a exercé une influence positive sur leur travail parlementaire en faveur de la paix. La jeune génération n’a de nos jours pas l’occasion de connaître ses voisins palestiniens, tant à titre personnel qu’au niveau politique ; cela pourrait placer la question palestinienne plus bas encore dans l’ordre de priorité des futurs dirigeants.

Les efforts diplomatiques afin de promouvoir la paix israélo-palestinienne sont impératifs, et essentiels – particulièrement au vu du scepticisme et de l’indifférence qui vont croissant quant au processus de paix. La société civile ne peut apporter à elle seule la paix. Mais les avancées politiques du camp de la paix sont un atout pour les émissaires et les négociateurs en charge des tentatives officielles.

Les groupes de réflexion et les ONGs se taillent une autre fonction à l’appui de la paix et peuvent aider à générer de nouveaux savoirs ; à formuler des idées novatrices ; à soutenir les processus de planification politique. Ce potentiel devrait être repéré, utilisé et aidé par la communauté internationale, car il recentre l’attention sur le rôle de la société civile dans la promotion de la paix.

NOTES

[1]   Rappelons que l’émissaire spécial du président Trump pour le Moyen-Orient, l’ex avocat d’affaires Jason Greenblatt, et David Friedmann, le nouvel ambassadeur en Israël, sont tous deux des proches du président US, et des Juifs orthodoxes aux positions ouvertement annexionnistes et publiquement sceptiques (pour dire le moins) quant à la solution à 2 États.

[2]   Créé en 2002 en réponse à l’escalade, le Quartette pour le Moyen-Orient – composé des États-Unis, de la Russie, de l’Union européenne et des Nations unies – a pour vocation de trouver une solution au conflit. Ici cité, son rapport de juillet 2016 dénonce la colonisation.  Pour en savoir plus

[3] Communiqué final de la Conférence internationale pour la Paix au Proche-Orient, ou encore Initiative pour la paix, organisée par la France à Paris en janvier 2017 en l’absence de B. Nétanyahou et Mahmoud Abbas délibérément non-conviés. 75 pays et organisations négocient finalement au consensus un appel aux deux parties à rappeler leur attachement à la solution à 2 États.  Pour en savoir plus

[4]  La résolution ici mentionnée du Parlement européen, adoptée en séance plénière le 18 mai 2017, réaffirme que la seule voie pour résoudre le conflit israélo-palestinien est la solution à 2 États.

[5] Situé à Jérusalem-Est et exemple d’organisation duale israélo-palestinienne, l’ICPRI est co-dirigé et co-présidé par Gershon Baskin (dont on peut lire le blog, “Encountering Peace” sur le Jerusalem Post).  Pour en savoir plus

[6] On peut lire la présentation qu’en donnait Dov Lieber le 12 avril 2016 dans le Jerusalem Post sous le titre :  “L’alliance pour la paix veut aller plus loin que le partage d’un plat de houmous”.

[7]  Le ministère US des Affaires étrangères.

[8] Après l’Indépendance, tandis que David Ben-Gourion détient le pouvoir d’une coalition l’autre, la méfiance prévaut vis-à-vis des Palestiniens restés à l’intérieur des lignes figées par l’armistice. Les Druzes, persécutés dans la plupart des pays environnants prêtent en majorité allégeance au nouvel État, de même que certaines tribus bédouines. Les uns comme les autres seront intégrés dans des unités d’élite de Tsa’hal, où leur connaissance du terrain et leur accent en arabe seront pleinement utilisés. Certains chrétiens feront de même, mais d’une manière générale et qu’ils résident dans des villes, des bourgs ou des villages, ils seront tenus en lisière, soumis à un couvre-feu et à l’obligation d’obtenir pour circuler des laissez-passer. Séjourner à Tel-Aviv, par exemple, où beaucoup sont maçons ou travaillent dans les services leur est interdit dès la nuit tombée (la situation actuelle et bien connue des Palestiniens de Cisjordanie). En 1956, lorsqu’éclate la guerre dite de Suez, un ordre de confinement strict est donné … qui aboutira à l’exécution des hommes de Kafr Kassem, situé dans le Triangle en bordure de la ligne verte, revenant le soir du travail sans avoir été prévenus. Des lampistes paieront pour avoir aveuglément accompli les ordres et la législation évoluera mais … le regard porté sur les Palestiniens de l’intérieur reste le même : citoyens du nouvel État, ils sont perçus au pire comme une cinquième colonne, au mieux comme une force électorale d’appoint. Et s’ils votent mal, les conséquences sont énormes : la grande cité d’Oum al-Fa’hm, qui s’entêtait à voter Raka’h (communiste et nationaliste arabe) au temps de Ben-Gourion ne vit remplir par l’État aucune de ses fonctions, qu’il s’agisse de forer des égouts ou paver les chaussées, par exemple ; comme on sait, elle est aujourd’hui aux mains des islamistes, ces derniers ayant comblé les manques au plan des services, de l’assistance sociale, du réseau éducatif, etc. L’adhésion aux valeurs du camp israélien de la paix suppose la confiance réciproque et d’une certaine façon, le coche a été raté il y a bien longtemps, aussi bien par la gauche que par la droite israélienne.

[9]  Auquel est en butte l’Autorité palestinienne, laquelle jouant sa survie caresse l’idée de normaliser les relations avec l’État hébreu.