Plus de 14 000 citoyens arabes de Jérusalem ont vu leur droit de résidence révoqué depuis l’annexion de la ville du fait qu’ils s’en étaient trouvés absents durant plus de sept années. 

La décision adoptée ce mardi par la Cour suprême récuse une pratique qui les traite comme des immigrants dans leur propre cité. Il est difficile de ne pas songer aux vieilles différences entre droit du sang germanique qui perdure en Alsace-Lorraine et droit du sol romain, refondu sous forme de code Napoléon, comme en France.  

En Israël-Palestine et quelques autres régions limitrophes, cest le droit britannique hérité de la période mandataire qui fait loi en labsence de constitution palliée tant bien que mal par des lois fondamentales. Droit qui se veut coutumier et voit ses arrêts sempiler en une somme de jurisprudence parfois contradictoire.

 

HaAretz, le jeudi 16 mars 2017 

Par Nir Hasson

Traduction, châpo & notes, Tal Aronzon pour LPM 

Photo AP, juin 1967 : Des soldats contrôlent une Palestinienne à un check-point entre est et ouest de Jérusalem.  

 

La Dépêche de Nir Hasson

Lors d’un précédent arrêt, un juge de la Haute cour [1] avait donné ordre au ministre de l’Intérieur de rétablir les droits d’un Palestinien né à Jérusalem-Est auquel l’autorisation de vivre dans cette ville avait été refusée après qu’il en eut été absent de longues années.

Ce verdict récuse une politique gouvernementale qui dénie leurs droits à de nombreux Palestiniens nés dans la ville après qu’ils aient été au loin durant plus de sept ans.

Un groupe de trois magistrats a jugé que les résidents de Jérusalem-Est « ont de fortes affinités avec la ville », qui doivent être prises en considération s’agissant du droit de résidence.

Immigrants ou autochtones ?

Lors de l’annexion de Jérusalem-Est par Israël en 1967 seul le statut de “résident », lequel leur permettait de circuler à l’ouest de la ligne verte, fut attribué aux Palestiniens – mais non la citoyenneté israélienne.  [2]. En fait, l’État les traitait comme des immigrants plutôt que comme des autochtones.

Depuis 1967, le ministère de l’Intérieur a dénié leur statut à plus de 14 000 Palestiniens de Jérusalem-Est sous des prétextes divers. La pratique, adossée â un précédent verdict, fut de considérer leur droit de résidence dans la ville comme ayant “expiré” une fois la personne hors du pays pendant plus de sept ans [3].

Cette logique fut la plus communément citée par les autorités israéliennes afin de dénier les droits de résident aux Palestiniens [originaires] de la ville. Cela fut utilisé à l’encontre de familles ayant vécu en Cisjordanie ou d’étudiants ayant étudié à l’étranger et n’étant pas revenus avant le délai imparti [souvent à leur insu].

L’affaire Abdulhak

Né à Jérusalem il y a cinquante-huit ans, Akram Abdulhak en avait neuf lorsque l’annexion eut lieu, et partit aux États-Unis trois ans plus tard avec ses parents. Il alla à l’école là-bas, et obtint la nationalité américaine. En 1989, tentant de revenir en Israël, il découvrit que son statut légal avait “expiré” ; et le ministère rejeta sa demande de renouveler ses droits de résident.

Il épousa des femmes des territoires occupés à deux reprises et emménagea – illégalement – à Jérusalem. Il y a trois ans, un juge du tribunal du district de Jérusalem, David Mintz [4], repoussa l’appel d’Abdulhak à l’encontre de la décision du ministère lui déniant un statut légal en Israël.

En 2014 il interjeta appel devant la Cour suprême, et mardi [14 mars 2017] les juges Uzi Fogelman, Meni (Mena’hem) Mazuz et la présidente de la Cour, Myriam Naor, se prononcèrent en sa faveur et donnèrent ordre au ministère de rétablir son statut.

La portée de la sentence réside en ce que les juges ont accepté le principe plaidé par les avocats d’Abdulhak affirmant que les habitants de Jérusalem-Est ne sont pas des immigrants mais jouissent de droits liés à leur naissance dans cette cité.

Selon les experts, le verdict pourrait avoir des implications dans des cas similaires concernant des Palestiniens cherchant à revenir dans la ville.

Les attendus

Uzi Fogelman [5] observa que « lorsqu’il incombe au ministre de l’Intérieur d’examiner une demande de renouvellement de permis de résidence d’un [ancien] ressortissant de Jérusalem-Est, il doit considérer les circonstances particulières concernant ces impétrants qui – au contraire des immigrants en quête de statut – ont de fortes affinités avec les lieux où ils vivent : en tant que personnes nées dans la région, et où parfois même leurs parents et grands-parents étaient nés, ils y ont joui d’une vie familiale et communautaire depuis des années ».

Meni Mazuz  [6] nota quant à lui : « Dans de telles circonstances le requérant devrait être vu comme quelqu’un qui a renoué ses affinités avec Israël et – au contraire de ceux qui ont conquis leur certificat de nationalité suite à immigration – a suffisamment de quoi justifier sa requête de renouvellement de son statut de résident. »

Myriam Naor, elle, entérina ces décisions, ajoutant cependant que chaque cas suppose d’être jugé en fonction de sa valeur propre  [7].

 

Les Notes de la Rédaction

[1]  La Haute Cour de Justice, ou Cour suprême (Beït haMishpat haGavoah / Beït haMishpat haElyon), statue en dernière instance en Israël – comme en France la Cour de cassation. Mais elle y a infiniment plus de prestige, peut-être hérité de la tradition juive antique, où les juges étaient supérieurs aux rois. À l’ère moderne, dans un pays qui leur attribue parmi les salaires les plus élevés de l’État pour assurer leur indépendance ; où leurs noms sont familiers aux citoyens ; et où ils restent accessibles jour et nuit à tout un chacun sur un simple appel pouvant déclencher une intervention immédiate en cas de besoin, ils représentent un puissant contre-pouvoir. Les arrêts de la Cour ne sont guère appréciés, c’est un euphémisme, des membres actuels de la coalition gouvernementale, en particulier des ultra-orthodoxes et de l’extrême-droite, dont elle a souvent contré les ambitions : fondée à se saisir dans l’instant de tout cas selon son bon vouloir, elle a statué sur des acquisitions plus ou moins forcées ou des confiscations de terrains et biens immobiliers privés, voire d’annexions de terres dites d’État dans les Territoires ; sur des atteintes à la démocratie, avec diverses législations ou décrets concernant des associations israéliennes ou internationales opérant en Israël et/ou en Palestine, etc.

Composée de 15 juges nommés par une commission comprenant, outre le président ou la présidente de la Cour et des magistrats, un représentant du gouvernement – en l’occurrence l’actuelle ministre de la Justice, Ayelet Shaked (membre du Foyer juif de Naftali Bennett) – en situation de maîtriser, après ses attaques incessantes et inusitées contre la Cour accusée presque à chaque décision de « gauchisme », la procédure de renouvellement de quatre magistrats en fin de carrière (la retraite est fixée à 70 ans, et Myriam Naor, l’actuelle présidente, quittera elle-même ses fonctions en septembre 2017). Après une lutte acharnée entre la présidente de la Cour, à la voix habituellement prépondérante, et la ministre de la Justice, à la présence jusque-là symbolique, quatre nouveaux juges ont donc été désignés mercredi 22 février, dont un présenté par les trois juges de la Cour ayant voix à la commission, le juge arabe chrétien de la cour du district de Tel-Aviv Georges Karra, spécialiste des affaires criminelles  connu pour avoir envoyé le président à l’ombre pour harcèlement sexuel ; les autres, soutenus par Ayelet Shaked, sont comme elle des ultra-orthodoxes nationalistes, tels David Mintz de la colonie de Dolev et Yaël Willner,  spécialiste des Affaires civiles et militante acharnée de la femme à la maison ;  enfin le président du Tribunal du district de Haïfa, Yossef Elron, est lui aussi un conservateur bon teint. A eux trois, ils représentent « un changement radical » pour cette instance, qui devient « plus conservatrice, plus religieuse, plus à droite » selon le quotidien populaire Yédioth A’haronoth.

[2] Israël fait une distinction entre citoyenneté [Ezra’hout] et nationalité [Léom]. Tous les ressortissants d’Israël sont de citoyenneté israélienne, mais de nationalité juive, druze, circassienne, bédouine, arabe ; cette distinction, autrefois visible sur les papiers d’identité, figure toujours sur les registres de l’état-civil… avec l’inclusion, depuis l’immigration massive de citoyens de l’ex-Union soviétique, d’un grand nombre de non-juifs sur les listes “juives”, au nom tout d’abord de la réunion des familles, puis de l’absence de catégories ad hoc.

Elle a de nombreuses implications, en matière d’obligations militaires (obligatoires pour les hommes et femmes de nationalité juive et les hommes de nationalité druze ou circassienne, sur base volontaire pour les hommes de nationalité bédouine et
interdites à toute personne de nationalité arabe) ; comme en termes d’accès à l’instruction (y compris supérieure, gratuite pour qui a effectué son service, lourdement payante pour les autres) ; au logement (le droit de résider dans certaines agglomérations est parfois limité aux citoyens dits ”juifs”), etc. L’octroi d’un permis de séjour et de travail aux ”étrangers” est limité par la loi et par une décision gouvernementale, dont la durée ne peut excéder 27 mois. Après cette période, l’intéressé doit quitter le pays et ne peut revenir en Israël qu’après avoir déposé une nouvelle demande de visa.

[3] Une procédure du même type que celle visant depuis 1967, sans qu’ils en soient nécessairement avertis, les Palestiniens de territoires occupés  – lesquels pouvaient certes passer le pont Allenby vers la Jordanie mais étaient bloqués au retour s’il avait lieu après trois mois –  est appliquée pour les résidents de Jérusalem-Est, occupée et annexée par Israël. Citoyens israéliens de par leur naissance dans la ville (dite « une et à jamais capitale d’Israël »), ils perdent leur droit de rentrer s’ils séjournent durant plus de sept ans à l’étranger.

[4] David Mintz, jusque-là juge au tribunal du district de Jérusalem et habitant la colonie de Dolev, en Cisjordanie. Originaire du Royaume-Uni, il est arrivé en Israël dans sa jeunesse avant de passer le barreau et d’être ordonné rabbin. Il est connu pour ses positions annexionnistes, et vient d’être nommé à la Haute Cour de Justice.

[5] Uzi Fogelman : Né en 1954 in Israël, il obtient sa bagrouth, l’équivalent de notre baccalauréat, à la sortie de l’Aleph Municipal High School de Tel-Aviv ; puis, après son service dans le prestigieux corps du Na’hal, reprend des études de droit à l’université de Tel-Aviv, dont il sort diplômé. Procureur de 1982 à 2000, il passe quelques années avec sa famille aux États-Unis – dont il revient détenteur d’un Masters in Public Managment de Harvard ; professeur et bientôt tête du département de droit à Tel-Aviv, il et nommé en 2000 au Tribunal du district de Tel-Aviv, puis en 2009 à la Cour suprême.

[6] Meni (Mena’hem) Mazuz : Juriste et homme politique israélien, né le 30 avril 1955 dans l’oasis à forte population juive de Djerba, en Tunisie, Mena’hem Mazuz est le 5e d’une famille de neuf enfants et immigre en 1956 avec sa famille. Après son service militaire, il étudie le droit public et administratif à l’Université hébraïque de Jérusalem, puis intègre le ministère de la Justice. À partir de 1991, il intervient sur divers sujets liés aux accords avec la Jordanie et l’Autorité palestinienne. En 1995, il est nommé procureur général adjoint, puis procureur général en 2004, alors que le premier ministre de l’époque, Ariel Sharon, est poursuivi avec ses deux fils pour des irrégularités dans le financement de sa campagne électorale. Prenant le dossier à cœur, il obtient la mise en examen d’Omri Sharon.

[7] Myriam Naor : Née en 1947 à Jérusalem, la présidente de la Cour suprême quittera ses fonctions en septembre 2017, où elle atteindra l’âge de la retraite. Diplômée de la faculté de Droit de l’Université hébraïque, Myriam Naor fut l’assistante de Mosheh Landau à la Cour suprême, puis travailla sur des problèmes constitutionnels auprès du procureur général Mishael Cheshin, qu’elle suivit au ministère de la Justice. Juge à la Cour suprême depuis 2003, elle est issue d’une famille et liée à une belle-famille révisionnistes proches de Mena’hem Begin – et comme sa belle-mère, son mari ou son fils lui reste indéfectiblement fidèle.

La précision ici citée ne doit rien au hasard, prévenant toute généralisation de l’arrêt qui risquerait, sinon, d’être utilisé pour plaider le retour des réfugiés de 1947 dans un pays de droit coutumier.