Le chapô de La Paix Maintenant
L’affaire Azaria a agi en puissant révélateur des fractures de la société israélienne, comme l’ont relevé de nombreux articles publiés dans les media du pays, de Ha’aretz au Jerusalem Post en passant par Yedioth A’haronoth, en versions électroniques ou papier.
Ceci après bientôt six décennies d’occupation, dont la violence va s’aggravant tandis qu’une politique de colonisation “sauvage” ou “légale” hypothèque chaque jour un peu plus la solution à deux États – seule issue à notre sens à la fois réaliste et juste, réaliste parce que juste.
L’éditorial d’Ilan Rozenkier dans la dernière Lettre d’information de La Paix Maintenant le souligne ici : « Personne ne sort jamais indemne de l’occupation, ni l’occupé ni l’occupant ». À l’heure où l’urgence se fait plus pressante que jamais, il refuse tout fatalisme et appelle Israël, au nom même de son devenir et de ses valeurs, à se libérer des Territoires.
L’éditorial d’Ilan Rozenkier
Ainsi donc le jugement a été rendu et le soldat Azaria, qui avait tiré – on s’en souvient – sur un terroriste palestinien déjà au sol et hors d’état de nuire, a été reconnu coupable d’homicide. La juge a vertement critiqué la défense du soldat, affirmant qu’il avait tiré sur le terroriste de Hébron parce que, selon lui, « les terroristes méritent de mourir » et non parce qu’il pensait que ce terroriste présentait un danger pour lui-même et ses camarades.
Si on ne peut que se féliciter de ce verdict, on ne doit pas pour autant sous-estimer le soutien au soldat d’une grande partie de l’opinion publique qui considère que la sécurité prime et que la fin justifie les moyens. La démocratie israélienne est sans aucun doute capable de se confronter aux manifestants, même violents, solidaires de ce soldat qui n’a pas respecté les consignes de ses supérieurs.
Plus dangereux est le soutien dont il a bénéficié de la part de ministres et députés de tous bords. Habituellement, il est demandé à l’armée de ne pas se mêler de politique. Cette fois, ce sont les politiques qui se mêlent des affaires de l’armée. La peine n’a pas encore été prononcée que le ministre de l’Éducation, le chef du gouvernement, des députés de l’opposition (triste spectacle !), quelques dizaines de minutes après l’énoncé du verdict, réclament à corps et à cris une grâce. Comme s’ils ignoraient que celle-ci ne peut intervenir qu’une fois le processus judiciaire achevé (énoncé de la sanction, procédure d’appels menée à son terme…), que les politiques ne sont pas habilités à formuler cette demande, que l’accusé doit exprimer des remords.
Paradoxe, Avigdor Lieberman, dorénavant ministre de la Défense, fait figure de modéré face au Lieberman qui tenait des propos incendiaires dés le début de l’affaire. Pragmatisme ? Cynisme ? Chacun jugera… alors qu’au plus haut sommet de l’État, les comportements irresponsables se multiplient. Ce sont eux qui mettent en danger la démocratie et l’éthique. Ces « responsables » osent se réclamer du judaïsme pour justifier leur extrémisme alors qu’ils lui font encourir le risque d’un délitement de ses propres fondements. Espérons qu’une fois de plus, le président de l’État et la Cour Suprême seront à la hauteur des enjeux.
Ce centre mou et cette droite extrême, non seulement n’apportent pas leur soutien à l’armée dans sa capacité à gérer l’affaire, dans son discernement à décider d’une sanction équilibrée, mais ils entérinent une politique du « tout est permis » qui a déjà abouti à la mort de dizaines de Palestiniens dans des circonstances qui mériteraient éclaircissement. Lorsqu’une foule hurle à l’intention du chef d’État-major (Gadi Eizenkot) « Gadi Gadi, fais attention à toi, Rabin se cherche un compagnon… », lorsqu’une garde rapprochée doit être attribuée à un député du Camp sioniste qui s’est opposé à une grâce éventuelle et fait l’objet, lui et sa famille, de menaces de mort, comme c’est également le cas pour les juges, alors il est plus que temps de prendre des mesures, répressives pour certaines, mais surtout de s’interroger lucidement. Jusqu’à quand la société israélienne demandera-t-elle l’impossible à ses enfants, les confrontant à des situations inextricables dont il ne peuvent sortir que victimes et à jamais marqués même s’ils parviennent à « s’en sortir » ?
En fait personne ne sort jamais indemne de l’occupation, ni l’occupé ni l’occupant. Le slogan de Shalom Akhshav, au tout début de l’occupation, à une époque où il était, chez beaucoup, de bon ton parler de « territoires libérés », se confirme une fois de plus, sans triomphalisme aucun de la part de ceux qui sont attachés au devenir d’Israël et à ses valeurs.
« Il faut se libérer des Territoires ». Plus vite cela se fera, dans la sécurité et pour la sécurité, mieux ce sera.