Yediot Aharonot

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


L`immeuble de la Banque Mondiale à Jérusalem Est, qui abrite les pourparlers
de paix entre Yossi Beilin et de Yasser Abed Rabbo, parait coupe du monde
qui l`entoure, un peu comme le processus de paix que les deux hommes
s`entêtent à poursuivre. Dehors, la chaleur et le doux soleil israélien de
décembre, dedans, accrochées aux murs, des photos de blonds Norvégiens
faisant du ski. Dedans, règnent le calme, l`ordre et la propreté, dehors, un
long bouchon de voitures palestiniennes klaxonnant à tout va, bloquées a un
barrage de l`armée.

Pour la photo, nous sommes sortis sur la terrasse du cinquième étage, avec
les toits de Jérusalem Est pour toile de fond. Et la prochaine guerre avec
l`Irak, avons-nous demandé à Abed Rabbo, danserez-vous de nouveau quand les
missiles s`abattront sur nous? « Disons que le temps que les gens atteignent
leurs toits depuis le rez-de-chaussée, la guerre sera terminée. Ce sera une
guerre très courte. » Beilin approuva, dans un arabe begayant, et dit que
cette fois-ci, ce ne sera pas pareil.
[S]
L`accord que Yasser Abed Rabbo et Yossi Beilin sont en train de finaliser est né au lendemain de l`échec des pourparlers de Taba. C`etait une tentative désespérée, peut-être la dernière, de sauver ce qui avait été acquis à Camp David. Abed Rabbo : « quelques jours après Taba, j`ai dit à Yossi que si nous avions disposé d`un peu plus de temps, nous serions revenus avec en main un accord total et définitif. Aujourd`hui encore, je pense que jamais dans l`Histoire deux peuples n`avaient été aussi proches
d`un accord. »

Alors que tous les autres etaient rentrés chez eux pour écrire leur livre sur l`échec du processus de paix, Beilin et Abed Rabbo comprirent qu`ils désiraient poursuivre leur dialogue. Beilin : « Avec Abed Rabbo, j`ai eu de nombreuses conversations à caractère intellectuel. C`est un ex-communiste qui renie son communisme, et c`est un grand érudit. A Taba, j`ai vu en lui le partenaire avec lequel j`avais envie de parvenir à un accord. Il parlait très ouvertement des erreurs palestiniennes. Après Camp David, il était très en colère, et exprimait des vues tres sincères sur l`échec des Palestiniens. »

« A Taba, nous avons parlé très longuement, et nous avions le sentiment que nous vivions un moment historique, bien que certains politiciens aient considéré que les pourparlers de Taba n`avaient rien de sérieux. Même Barak, qui nous avait envoyés à Taba, les a qualifiés, plus tard, d`exercice de simulation. Mais les élections sont arrivées, et Barak a été écarté. Quelques jours après la défaite, nous nous sommes rencontrés au Media Center Al-Qouds, et nous avons compris que Sharon ne reviendrait jamais à Taba, mais tout au plus, à un cessez-le-feu. Nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire pour mettre fin au conflit, sachant en particulier qu`entre
septembre et avril, la perception de la pertinence du processus de paix avait disparu. »

Ils commencèrent à se rencontrer, et leur premier constat fut que le diable était dans les détails. Ils décidèrent d’élaborer un document final, tres détaillé, qui ne laisserait aucune place aux interprétations. « Les chiffres, les cartes, les pourcentages, tout y est. Nous avons décidé d`en revenir à la creation d`un modèle définitif, global, qui traiterait de tous les détails de l`accord, avec présentation de cartes. »

(…)

Le processus qu`ils ont entamé touchera prochainement à sa fin, après les
élections israéliennes, quand Beilin et Abed Rabbo publieront le document
auquel ils seront parvenus, en espérant que des chefs d`Etat l`adopteront et
l`utiliseront comme un outil de première importance dans toute négociation future. Beilin pense qu`Amram Mitzna doit adopter cet accord, et qu`il lui servira bien davantage que n`importe quel slogan électoral. Mais il est aussi conscient du fait que Mitzna doit prendre une certaine distance par rapport à lui s`il veut obtenir des voix centristes. De son côté, Abed Rabbo s`intéresse de très près à la politique israélienne, et comme tous les leaders palestiniens, il ne cache pas son soutien à la candidature d`Amram
Mitzna au poste de Premier ministre.

Beilin : « Mitzna n`a absolument rien à voir avec ce plan. Il est vrai qu`il lui fournit une occasion de présenter un plan détaillé avant les élections, et c`est à lui de voir. Mais la vérité, c`est que nous avons commencé cette négociation il y a bien longtemps, et que Mitzna n`a pu en aucune manière en faire partie. »

 Q : Est-ce que tout cela est bien pertinent? L`écart entre Sharon et Mitzna
semble tel qu`il fait de cet accord quelque chose de non pertinent.

 Beilin : « Je pense que Mitzna a une chance. Je ressens un mouvement dans sa
direction depuis son élection [comme candidat]. Pour l`instant, le public ne
tient pas Sharon pour responsable de la situation, et cela, c`est notre défi
en termes de communication électorale : nous devons, dans cette campagne,
trouver le lien évident entre la situation économique, l`état de nos
relations avec les Palestiniens, et Sharon. Il y a quelque chose qui ne va
pas dans le fait qu`on dissocie Sharon d`avec la situation. Mitzna fait
preuve de cohérence dans toutes ses prises de position politiques, qui, soit
dit en passant, sont identiques aux miennes : un accord définitif, et si
cela ne réussit pas, une séparation unilatérale. »
(…)

 Q : Pourquoi vous, les Palestiniens, soutenez-vous Mitzna?

 Abed Rabbo : « Le plus important, pour moi et pour le camp de la paix palestinien, c`est
de voir enfin un camp de la paix fort du côté israélien. Ces deux dernières années, ce camp a disparu, principalement parce que le Parti travailliste a décidé de renoncer à son idéologie et de participer à une coalition avec Sharon. Nous n`avons trouvé personne au Parti travailliste qui soit prêt à parler avec nous de ce qui avait été acquis à Taba. Pendant deux ans, les travaillistes ne se sont pas occupés de faire avancer la paix. Sa direction a oublié tous les sujets dont nous parlions avec elle, et toutes les
avanceés que nous avions obtenues. »

 Q : Sharon a déjà soulevé le fait qu`en soutenant Mitzna, vous tentiez
d`influencer les élections en Israël.

 Abed Rabbo : « Nous sommes sincères, et nous ne pensons pas que soutenir un partenaire qui démontre son intérêt pour l`avancement du processus de paix constitue une ingérence dans les élections. Nous espérons que ces élections apporteront de
nombreux changements, et qu`enfin, soit élu un partenaire désireux de parvenir à un accord assez vite. Ce sont les Israéliens qui s`ingèrent réellement dans nos élections, en nous empêchant de les organiser alors qu`elles étaient prévues pour le 20 janvier. C`étaient des électionsvalidées par la communauté internationale. J`ai conçu et mis en oeuvre les réformes au sein de l`Autorité palestinienne. J`ai conçu un plan sur 100
jours, qui devait culminer avec les deuxièmes élections démocratiques depuis 1996. Israël nous en a empêchés. Ca, c`est de l`ingérence. J`espère que les résultats des élections en Israël seront positives, pour le peuple israélien comme pour le peuple palestinien, en ce qu`elles désigneront un partenaire qui voudra, après trois ans sans négociation, signer avec nous la paix. »

 Beilin : « L`ingérence est un jeu qui se pratique depuis des années. Je n`oublierai jamais comment, au cours de la campagne de 1981, Begin a invité Sadate pour une rencontre à Sharm-al-Sheikh. Les lois électorales interdisaient de diffuser la rencontre à la télévision, et donc, on n`a pu voir aux informations que la main de Sadate serrant celle de quelqu`un d`autre. Sans montrer Begin. Le même soir, la rencontre était diffusée à la télévision, dans les spots du Likoud. Des anneés plus tard, j`ai demandé à
Bouthros-Ghali pourquoi Sadate avait accepté cette rencontre, alors qu`il savait parfaitement qu`il s`agissait de faire des images de propagande. Il m`a révélé qu`il y avait eu un debat au sein de la direction égyptienne, et que plusieurs dirigeants avaient même dit que selon eux, seuls les travaillistes étaient capables de mener à bien l`accord de Camp David, mais que Sadate avait tranché en faveur de la rencontre. Sadate voulait terminer avec Begin ce qu`ils avaient commencé ensemble à Camp David, et le considérait comme un vrai gentleman. Je ne doute pas une seconde que ceux qui veulent voir la paix au Moyen-Orient soutiendront Mitzna. Les Palestiniens sont très intéressés par quelqu`un comme lui. Maintenant, il s`agit de savoir la forme de ce soutien. Si moi et mes camarades allons nous promener dans les rues de Ramallah en demandant aux gens de voter Abed Rabbo, c`est une ingérence grossière. Mais
si nous demandons que soit élu un partenaire qui entamera avec nous un processus sérieux, c`est tout à fait légitime. »

 Q : Sharon a établi un lien très clair entre le terrorisme et l`élection de Mitzna.

 Abed Rabbo : « je crains de dire ce que je vais dire, car cela ne va pas vraiment servir le camp de la paix palestinien auquel j`appartiens, mais la vérité, c`est que les attentats perpétrés par des extrémistes palestiniens sont conçus au départ, et essentiellement, pour servir les intérêts de Sharon. Les auteurs des attentats veulent que cet homme reste à son poste. »

 Beilin : « le Parti travailliste doit se préparer à ce que lien entre Mitzna et le terrorisme soit le point central de la propagande du Likoud. Ouzi Landau [ministre de la sécurité intérieure, un des durs du Likoud, ndt] a dit récemment que Sari Nusseibeh n`était que l`autre visage du terrorisme. Il a dit cela juste après la declaration commune Nusseibeh-Ayalon. Certains, parmi la droite israélienne, disent explicitement qu`ils préfèrent le Hamas, parce que, de leur point de vue, le Hamas dit la vérité quant a ses
intentions de détruire Israël, contrairement aux dirigeants hyprocrites de l`Autorité palestinienne, qui jouent un double jeu. »

 Abed Rabbo : « je pense que dire que le Hamas est le vrai visage des Palestiniens découle d`un racisme israélien, qui veut faire du Palestinien un démon et un éternel ennemi. La vérité, c`est que dans les rues palestiniennes aussi, certains me disent que Yossi Beilin n`est que l`autre visage d`Effie Eitam (ministre des infrastructures, Parti national religieux, extrême droite, ndt). Ces extrémistes aspirent à la guerre sainte éternelle. Leur motivation est transparente : quand le conflit prendra fin, toute leur
idéologie volera en eclats. » J`entends sans cesse ce genre de propos sur Beilin. Et certains jours, je n`entends que cela. Quand je dis ce que je dis, je perds en popularité,
parce qu`il y a encore une différence essentielle entre vous et nous : nous sommes une nation sous occupation, nous vivons toutes sortes d`exactions, et que nous devons rester unis contre l`aggression de l`occupation, et c`est pourquoi le sentiment est très lourd chez les Palestiniens, et qu`il est difficile d`accepter ce que je dis. »

(…)

Le principe au centre du plan est le retour aux frontières de 67, avec corrections de frontières et échanges de territoires. Les Palestiniens se chargeront d’une solution symbolique au problème des réfugiés, sans qu’il soit precisé dans l’accord que l’Etat palestinien renonce au droit au retour. Abed Rabbo revèle qu’il sera, dans tous les cas, procédé à un référendum auprès des Palestiniens du monde entier, afin qu’ils approuvent une solution qui, dans les faits, leur dénie le droit au retour. De son
côté, Israel renoncera à contrôler le Mont du Temple, sans que cela soit précisé formellement.

 Q : Abed Rabbo, avez-vous réellement l’intention de renoncer au droit au retour?

 « Personne ne peut renoncer à ses rêves, mais ici, il faut faire preuve de réalisme. Notre solution implique un retour aux frontières de 67, et le partage de Jérusalem entre les deux peuples. Personne ne peut se permettre de ne pas prendre en compte l’importance de Jérusalem aux yeux des Israéliens et des Palestiniens. Pour les réfugiés, après avoir présenté notre plan, nous organiserons un référendum auprès de tous les réfugiés palestiniens, pas uniquement ceux qui se trouvent dans les territoires, mais ceux du monde entier, et obtenir leur assentiment. Je suis certain que, bien que cela constitue le problème le plus complexe du côté palestinien, ils adhèreront à la solution équilibrée que nous leur présenterons. L’édification de l’Etat palestinien ne doit pas annihiler la volonté des Israéliens d’un Etat israélien démocratique. »

 Q : juif et democratique?

 « Bien entendu. »

 Q : et, parallèlement, Israël doit renoncer au Mont du Temple?

 « Il est clair que la solution sera équilibrée, et par extension, les
concessions aussi. »

 Q : quelle est votre ligne rouge dans ces discussions?

 « Je veux voir naître un Etat palestinien indépendant dans les frontières de 67, sans aucune colonie. Nous ne voulons pas régner sur des colonies. Dans l’Etat palestinien, nous n’accepterons pas d’entité avec ses propres lois, Peut-être dans le futur, quand les frontières seront ouvertes, sera-t-il possible d’envisager une présence juive dans l’Etat paslestinien, et réciproquement.

 Q : Beilin, vous êtes l’auteur de l’idée l’annexion de blocs de colonies par Israël. Avez-vous changé d’avis?

 « En un rien de temps, le monde nous dira qu’au 20ème siecle, ce n’est pas possible, une minorité ne peut régner sur une majorité. Je ne renonce pas à l’idée, mais il faut comprendre que le plan Clinton constitue une base. Personne ne reviendra vraiment aux lignes de 67, et il y aura des échanges, comme il a été proposé. »

 Q : Vous êtes un particulier, qui représente une minorité en Israël. L’accord que vous élaborez n »est-il pas privé, ou naïf, ou inutile?

 Beilin: « C’est une question intéressante. Je suis en effet un particulier, mais j’ai derrière moi un groupe de personnalités israéliennes. Ce que nous faisons, c’est préparer une vraie conférence au sommet. S’il y a une surprise et que mon parti l’emporte (Y. Beilin a entre temps quitté le Parti travailliste, ndt), il sera possible, à l’aide du plan, de parvenir très vite à un accord de paix.

 Q : Vous menez des discussions de paix, alors qu’a l’extérieur règne une
atmosphère impossible. Ou exactement voyez-vous un « nouveau Moyen-Orient »?

 Beilin : « Nous pensons qu’il est possible d’éduquer le peuple par le papier, et non
par des déclarations publiques. Quand nous revèlerons le document, je pense que le public acceptera l’accord. Yassez Abed Rabbo fait l’hypothèse que le plan sera accepté par le public palestinien. »

 Q : sur quoi se fonde-t-il?

 Abed Rabbo : « J’ai un mandat de la direction palestinienne pour formaliser les discussions avec Beilin. Sincèrement, nous ne faisons pas un séminaire intellectuel, nous n’échangeons pas des impressions. Nous menons des discussions sérieuses, et c’est la raison pour laquelle j’ai insisté pour recevoir un mandat de la part de la direction palestinienne. »

 Q : Ce qui est sûr, c’est que Beilin ne dispose pas d’un pareil mandat, ni de la part du
gouvernement Sharon, ni de l’opinion.

 Beilin : « le retrait du Liban est un très bon exemple. Quand je l’ai déclaré publiquement, la première fois, l’idée ne bénéficiait que de 18% d’opinions favorables. Et la retrait du Liban est devenu un des facteurs essentiels de la victoire de Barak. »

 Abed Rabbo : « Moi aussi, je me heurte très souvent à la question, qui est Yossi Beilin, et qui il représente. On me critique beaucoup sur le processus que je mène avec lui. Mais, nous le croyons profondément, le jour viendra où l’opinion comprendra qu’il est impossible de continuer ainsi, et utilisera la démocratie pour désigner un partenaire qui tendra à une solution définitive. Voila pourquoi nous avons choisi de nous engager dans un processus aussi compliqué, aussi détaillé. Maintenant, je propose de cesser de perdre du temps. Nous sommes convaincus que le temps est venu où deux parties sérieuses devront s’asseoir ensemble et comprendre que notre plan est la solution historique, avec laquelle les deux côtés peuvent vivre. »

 Beilin : « Soit dit en passant, je pense que notre plan obligera Sharon à dévoiler son
propre plan. Je l’entends dire que sa solution sera très rapide et douloureuse. Douloureuse, c’est sûr, pour l’un des côtés seulement. Nous entendons cela mois après mois, et, je le regrette, cette propagande reviendra tous les ans. J’espère que Bogey Ayalon (chef d’état major, ndt), qui a dit aux Etats-Unis qu’il fallait évacuer les colonies, ne démentira et restera fidèle à son idèe (Ayalon a dementi depuis avoir tenu ces propos, ndt). J’espère aussi que lorsque Sharon dit qu’il y aura un Etat palestinien, il se montrera cohérent. Il est légitime, en politique, d’avoir recours à certains stratagèmes, mais nous deux avons été élevés avec l’idée que la politique est liée aux valeurs. Il y a des limites à la tactique en politique. Un homme politique doit s’en tenir à ses valeurs, même aux moments les plus terribles. Ceux qui ne connaissent que la tactique ne sont pas de vrais leaders. »

Aujourd’hui, Yasser Abed Rabbo est considéré comme très proche de Yasser Arafat au sein de la direction palestinienne. Il a fait un long chemin depuis l’époque où il militait au FPLP de Hawatmeh, jusqu’aux positions pragmatiques qu’il défend aujourd’hui. Il fut l’émissaire spécial d’Arafat pendant tout le temps où Ehoud Barak tenta de parvenir à un
accord. Barak essaya d’ailleurs de le récuser, sous pretexte qu’il était trop extrémiste. Il voulait l’échanger pour un partenaire plus facile, par exemple Abou Mazen. A Camp David, Abed Rabbo, avec Saeb Erekat, fut l’un des négociateurs essentiels du côté palestinien. Il en a surtout voulu à Barak pour avoir refusé de rencontrer Arafat, tout le temps que dura le sommet. « La seule fois où ils se sont rencontrés, Barak n’a parlé que de la nourriture et du climat. C’est sérieux, ça? » a-t-il raconté plus tard.

(…)

 Q : Que s’est-il passé à Camp David?

 Abed Rabbo : « ce qui a détruit Camp David, c’est le fait que la conférence n’a absolument pas été préparée. J’ai été surpris de lire les livres des conseillers de Barak, qui racontent que Barak tenait vraiment à une préparation préliminaire, avant les pourparlers. C’est ridicule. C’est nous qui avons supplié pour qu’il y ait une préparation de 15 jours, Barak ne l’a pas permis. Je suis persuadé que s’il y avait eu à Camp David un plan détaillé, résultat de négociations préliminaires, y compris des accords sur
les détails, et des principes mis sur la table, nous n’aurions pas perdu un temps précieux à profiter du soleil sans rien faire qu’à attendre un sauveur. Nous avons attendu un an, calmement, parce que Barak avait décidé de se consacrer à l’option syrienne. Contrairement à ce qu’aime dire Barak, nous n’étions pas contre l’option syrienne. Nous pensions qu’il était possible de mener les deux processus de front. »

 Beilin : « exact. L’expérience est ce qui a manqué à Barak. Ses déclarations
d’aujourd’hui sont incroyables. Je l’ai entendu critiquer Sharon parce qu’il avait dit avoir l’intention de rencontrer Arafat. Dans le principe, ce qu’il aurait fallu, c’est un plan Clinton avant la conférence, et non après. »

 Q : Parlez-vous avec lui? L’avez-vous mis au courant de votre initiative?

 « Barak n’est pas au courant de nos rencontres. Il n’y croit pas. Barak pense que la tentative de faire la paix doit se faire selon la recette de Barak, et c’est tout. Il a essayé, a échoué, et maintenant on peut faire autre chose. Il est puéril de penser que ce combat peut se terminer après un seul round. »

(…)

 Q : Abed Rabbo, il semble que vous ayez perdu même la gauche israélienne. Même Yossi Sarid a dit qu’il était inutile de parler avec Yasser Arafat.

 « C’et nous qui choisissons nos dirigeants. Ceux qui aujourd’hui récusent nos dirigeants, je ne peux être certain que demain, ils respecteront nos droits et notre indépendance. Nous voulions que nos élections aient lieu. Nous nous sommes sentis encouragés quand nous avons vu la deuxième version de la Feuille de route américaine, qui parlait d’élections dans la première moitié de 2003. Nous ne sommes pas d’accord pour avoir une direction élue sous la pression, et sans démocratie.

 Q : aujourd’hui, apres deux ans, estimez-vous que l’intifada a été une erreur?

« Je ne suis pas un historien qui prépare une chronique nécrologique de l’intifada. Je pense réellement que les Palestiniens doivent se concentrer sur d’autres moyens de lutte. Je crois en la lutte populaire contre l’occupation. Il n’est pas nécessaire d’utiliser les attentats suicides ou la violence pour la violence. Et je ne dis pas seulement cela aux Israéliens, je le dis clairement à la télévision palestinienne et dans tous les médias. (…) Je pense que le Hamas utilise des méthodes dangereuses et contraires à l’intérêt palestinien. »

 Q : Mais vous ne contrôlez plus vraiment le Hamas.

 « C’est devenu très difficile, par rapport aux années précédentes. Cela vient de la destruction continuelle par Israël des appareils de sécurité palestiniens, et de l’Autorité palestinienne en général. Le comportement de Sharon et de l’armée pendant toute l’année écoulée a affaibli le camp des pragmatiques au sein des Palestiniens, et a renforcé tous les éléments violents. S’il y avait un accord pour mettre fin à la violence et faire sortir l’armée israelienne des villes, et pour essayer d’obtenir un vrai
cessez-le-feu, sans conditions préalables, comme les 7 jours dorés de Sharon, les choses seraient différentes. Si l’on commençait par là, nous pourrions remobiliser l’opinion palestinienne derrière cette politique. »

 Q : Mais, dans la rue palestinienne, les kamikazes sont considérés comme des
héros.

 « Je ne pense pas que les suicides suscitent un sentiment d’heroïsme. Je sais en revanche qu’il y a une profonde compassion pour ces jeunes Palestiniens qui se sacrifient. L’occupation israélienne a détruit toutes les valeurs morales de deux générations. Tant qu’Israël poursuivra la colonisation, cela provoquera la destruction morale et spirituelle des jeunes, israéliens comme palestiniens.  »

(…)

 Q : à la lumière de la Feuille de route américaine qui se profile à l’horizon, ne craignez-vous pas d’avoir un train de retard?

 Abed Rabbo : « Il n’y a aucune rapport entre la Feuille de route américaine et notre solution. La Feuille de route parle d’un accord final, mais n’entre pas dans les détails. Elle dit seulement qu’il y aura deux Etats pour deux peuples. Nous proposons un plan réaliste, complémentaire à la Feuille de route, et qui traite de tous les détails. De toute facon, je pense sincèrement que les Americains ne s’intéressent pas au sort des Israéliens et des Palestiniens. L’administration Bush ne voit que ses propres intérêts. L’administration Clinton penchait clairement en faveur d’Israël, mais au moins, elle a proposé une solution politique. Aujourd’hui, il est clair que dans l’administration Bush ont pénétré des éléments d’extrême droite, qui font en quelque sorte alliance avec l’extrême droite israélienne. Je doute qu’après la guerre en Irak, ils proposent une
solution équilibrée. C’est pourquoi je crois que nous ne devons pas attendre un signe des Etats-Unis, et inventer nous-mêmes une solution israélo-palestinienne originale, et maintenant. »