Le chapô de La Paix Maintenant
En juillet 2014, quand un adolescent palestinien fut capturé à Jérusalem-Est et brûlé vif dans les forêts de Jérusalem — en guise de représailles après la découverte des corps de jeunes garçon juifs enlevés au sortir d’une yeshivah du Goush Etzion et recherchés près de deux mois durant dans une ambiance d’hystérie programmée — ce fut le brasier qui, pour Sayed Kashua, réduisit en cendres une vie de (trop) bonne volonté. Une vie à vouloir s’intégrer, une vie à se demander qui il était vraiment et qui il voulait être… Sa chronique hebdomadaire dans le Ha’Aretz en témoigne amplement.
Sur le point de partir aux États-Unis avec femme et enfants pour une année sabbatique, il plia bagages avec un mois d’avance pour, il l’explique ici, y chercher refuge. La gauche, et même ses amis arabes d’Israël — à commencer par Oudeh Basharat, homme politique, écrivain, et lui-aussi chroniqueur au Ha’Aretz — l’accusèrent de déserter. Il se reposa la question au terme de chacun de ses engagements dans une université américaine ou une autre, mais rien n’y fit, le bien-être de ses enfants primait.
En ce petit matin d’octobre, lorsqu’on apprit la victoire de Trump, ma première pensée fut pour Sayed Kashua tombant de Charybde en Scylla… Qu’allait-il cette fois décider? Peu après, il écrivait : « Et si nous partions, tout simplement ? ai-je dit à ma femme. Tant qu’à trembler, autant vaut la maison ! » La question, on le lira, reste ouverte…
La chronique de Sayed Kashua
De mes trois enfants, celui du milieu a pleuré la nuit des élections. C’était tôt dans la soirée, bien avant que le résultat final fut connu. Il avait vu à la télévision que Trump menait et s’était mis à pleurer, parce qu’il savait d’ores et déjà que celui-ci haïssait les musulmans et qu’il avait appris en être un dans son école américaine. «Ne t’inquiètes pas, mon chéri», le consolai-je. Sur le moment, j’ai voulu lui dire que le système électoral américain est différent, et que même si Trump était maintenant en tête, cela ne présageait en rien du résultat éventuel. Mais pour quelque raison – instruit par l’expérience des dernières élections en Israël et conscient du pouvoir exercé sur les masses par le fascisme – je lui dis seulement que cela ne changerait rien. Ça n’a pas vraiment d’importance qui est élu, le système restera identique et nous ne sentirons pas la moindre différence. J’ai menti à mon fils en une tentative de me tromper moi-même, soulignant que nos voisins seraient égaux à eux-mêmes et que si on nous avait accueillis avec chaleur, ce faisceau de relations n’allait pas changer du fait de tel ou tel président: «Tes amis seront toujours tes amis, et tes profs seront toujours tes profs.»
Les résultats réels ont continué à tomber. Nous attendions la Floride – c’est toujours la Floride qui décide. Une amie a envoyé un message, elle allait suivre les résultats sur l’écran géant du syndicat des étudiants, ce serait un moment palpitant. J’ai suggéré à ma fille de m’accompagner ; nous avons roulé jusqu’au campus et nous sommes joints à une table d’amis où se trouvaient deux femmes, l’une juive, l’autre égyptienne; et des hommes venus d’Amérique du Sud, du Liban et d’Arabie Saoudite. Nous avons suivi les résultats, nous soutenant les uns les autres en notant qu’au bout du compte les deux candidats n’étaient guère différents. Pourtant, nous espérions qu’une avance de Clinton n’allait pas tarder à apparaître sur l’écran. Entre-temps, nous plaisantions sur une possible déportation vers nos pays d’origine. «Dieu merci, j’ai un passeport israélien», ai-je dit; «Bibi me manquait».