Les fêtes de Pessah, de Pâques et du Ramadan sont derrière nous, ainsi que les commémorations du Yom haShoah et du soulèvement du Ghetto de Varsovie. Aujourd’hui, Israël pleure ses soldats tombés au combat pour l’indépendance du pays et sa défense, ainsi que les victimes du terrorisme (24 213 soldats et 4 255 civils).Puis, de la tristesse et du recueillement, en un instant, le pays basculera dans la joie et les réjouissances de la célébration des 75 ans de son indépendance.
Mais l’ambiance sera plus lourde qu’elle ne l’a jamais été, pas seulement de par ce qui est commémoré – la mort d’êtres chers – mais surtout de par les divisions et les clivages auxquels est confrontée la société israélienne suite au « coup d’état judiciaire » mené par la coalition actuelle. C’est la nature même de l’État qui est en jeu – État juif ET démocratique – et nombreux sont ceux qui ne peuvent se résoudre à cette mutation que d’aucuns qualifient de dégénérescence.
Au moment où le souvenir de ceux qui sont tombés au cours de l’histoire du pays se ravive, où les émotions s’exacerbent, la coalition n’a pas fait grand chose pour calmer les esprits. Les accusations de « gauchistes », « anarchistes », « traîtres »… lancées par des députés et autres leaders de la droite n’ont pas cessé. Il y a peu, lors d’une manifestation devant son domicile, Aharon Barak, 86 ans, ancien du ghetto de Kovno (Kaunas), ancien président de la Cour Suprême, opposé à la réforme, s’est vu insulté, vilipendé, incité à quitter le pays… De nombreuses familles endeuillées demandent aux politiques qui n’ont pas accompli leur service militaire de ne pas venir à titre officiel dans les cimetières. Aux autres, il est demandé de ne pas prononcer de discours politique.
Certes, la réforme a été mise en pause dans son volet officiel mais, dans les coulisses, elle se poursuit. Plus de 140 lois, déposées ou sur le point de l’être, dès la reprise des travaux de la Knesset, pourraient être adoptées rapidement et feraient progresser l’illibéralisme de l’Etat et ce, même si la pause dans l’adoption des lois emblématiques du « coup de force » juridique se prolongeait. S’agissant des territoires occupés, dont la prise de contrôle est l’un des objectifs essentiels de la réforme juridique, – l’autre étant de sanctifier la non incorporation des jeunes ultra-religieux et le bénéfice de budgets disproportionnés, outre bien entendu le blanchiment judiciaire de Netanyahu-, aucune pause dans leur grignotement n’a été perçue. Certes, les colonies sauvages d’Evyatar et de Homesh n’ont pas été (pas encore!) légalisées. Netanyahu a déclaré après l’abrogation partielle de la loi sur le désengagement, le mois dernier, très critiquée par l’allié américain, qu’il n’y aurait pas de nouvelles colonies. Mais il n’est pas nécessaire d’en créer de nouvelles. Il suffit de créer de nouvelles unités d’habitation dans des colonies existantes, d’y développer de nouveaux quartiers dont l’éloignement de la colonie-mère est tel qu’ils constituent en fait une nouvelle implantation.
Ainsi le gouvernement établit-il de fait une nouvelle colonie sur des terres occupées par l’avant-poste de Zayit Raanan qui ne compte que quelques caravanes. Il a en effet approuvé un plan de 189 unités de logement. Ce n’est officiellement pas une nouvelle colonie mais un quartier de la colonie de Talmon. La distance aérienne entre Zayit Raanan et Talmon est de presque 3 km. Ce quartier est plus proche de plusieurs villages palestiniens que de Talmon. L’établissement de la colonie fait partie de l’expansion de la présence israélienne dans la région de Cisjordanie à l’ouest de Ramallah dans le but d’empêcher l’expansion de la ville et d’autres villages palestiniens de la région, ce qui aura de nombreuses implications et entraînera de multiples difficultés pour les résidents palestiniens. Par ailleurs, on notera que les ministres des Finances et des Transports sont parvenus à un accord dont il découle que 25% du budget ira dans le développement des moyens de communication au profit des résidents des colonies, moins de 5% de la population. La « colonisation d’Israël par les territoires », comme le proclame Shalom Akhshav, ne connaît pas de pause.
Mais si obscurité il y a, elle n’est pas dénuée de points de clarté. Le plus notable d’entre eux est sans conteste la poursuite de la mobilisation populaire contre le délitement de la démocratie israélienne, aussi imparfaite soit-elle, ne serait-ce que parce qu’elle impacte différemment les différentes composantes de la population, notamment dans les territoires. Mais sans démocratie, il n’y aura pas d’avancée vers une issue politique au conflit israélo-palestinien. Sa sauvegarde est donc une condition nécessaire, même si pas suffisante, pour parvenir à ce que le nombre des victimes de part et d’autre ne progresse d’année en année.
C’est ce à quoi aspirent deux associations israélo-palestiniennes qui, pour la 18ème année, vont organiser une cérémonie conjointe du souvenir, cérémonie que nous soutenons. L’événement (24 avril) est coparrainé par le Forum israélo-palestinien des Familles Endeuillées et les Combattants pour les Paix. Ces organisations regroupent des Israéliens et des Palestiniens qui ont payé le prix le plus élevé dans ce conflit, la perte d’un être cher. Plutôt que de rechercher la vengeance et de propager la haine, ils reconnaissent la douleur de l’autre et aspirent à vivre en paix. Face à une réalité dénuée de perspective, ils instillent de l’espoir. Ne nous voilons pas la face : cette cérémonie n’est pas consensuelle. Parfois accompagnée de violences et parfois de questions parmi ceux-là mêmes qui adhèrent au principe mais considèrent que le jour – Yom ha Zikaron – est mal choisi. On peut comprendre cette position. Ceux qui soutiennent l’initiative insistent sur le fait qu’elle n’est pas alternative : l’horaire retenu permet de se recueillir sur la tombe de ses proches et le soir, venu, de trouver dans la solidarité qui s’exprime, un réconfort pour affronter son deuil.
Le ministre de la Défense a interdit aux Palestiniens, pour des motifs sécuritaires, de se rendre en Israël pour participer à cette rencontre. Il sait pourtant que les années précédentes, la Cour Suprême a récusé cette position et a autorisé la venue de Palestiniens. Heureusement, la conseillère juridique du gouvernement, Gali Beharve-Miara, a annoncé qu’elle s’oppose à la décision du ministre de la Défense : « Il n’y a pas lieu de s’écarter du schéma tracé par les décisions précédentes« . Chacun des Palestiniens invités devra faire l’objet d’un examen sécuritaire individuel. La cérémonie se déroulera et ceux d’entre nous qui ne pourront pas la suivre en direct (en anglais) sur la page Facebook de ces ONG pourront en visionner le replay. Nous diffuserons les liens en temps voulu et nous invitons nos amis à écouter les propos de haute tenue de David Grossman au cours de la cérémonie de 2018 (voir les liens ci-dessous).
Au lendemain des cérémonies du Souvenir, ce sera le Jour de l’Indépendance et là encore, la division sera apparente : rassemblements de protestation, absence de Y. Lapid aux cérémonies officielles, comme Netanyahu l’an passé… Rien ne sera réglé. Nous serons aux côtés de ceux qui continueront à se battre pour l’indépendance de la justice, la défense de la démocratie, la fin de l’occupation.
Il est temps et urgent de parvenir à l’âge de raison.
NB : le graphisme du logo évoque Lekh (Va-t-en ! Dégage!)… Coïncidence, prémonition, mauvais esprit?
Discours de David Grossman : Video sous-titrée anglais : https://fb.watch/k3qFX_b5sv/
Allocution en anglais : https://en.jcall.eu/featured/david-grossman-at-the-joint-israeli-palestinian-memorial-day-ceremony
Mis en ligne le 23 avril 2023