La guerre des Six Jours a agi tel un déluge dans le conflit israélo-palestinien. Cela a fait émerger des points majeurs de blocage, mais engendré aussi en puissance une solution au conflit.
Sans notion commune du temps, nulle vie sociale collective n’est possible, soutenait Émile Durkheim, l’un des fondateurs de la sociologie moderne. Cette conception commune du temps est également importante pour la compréhension du conflit israélo-palestinien et la cartographie de ses faits et points essentiels. Trois dates-clefs de ce conflit – 1917, 1947 et 1967 – mettent en exergue trois séries d’événements et d’interprétations dont chacune pourrait en principe servir de base à un règlement entre Israéliens et Palestiniens.
La grille de lecture de 1967 englobe la guerre des Six Jours et la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies, laquelle propose les paramètres d’un arrangement basé sur les frontières antérieures à la guerre. Celle de 1947 inclut tout à la fois la résolution de partition créant un État juif et un État arabe en Palestine et la guerre de 1948 qui en a résulté ; elle vise avant tout à résoudre le problème des réfugiés par le retour d’un nombre significatif d’entre eux. Celle de 1917, enfin, remonte à la déclaration Balfour – soutenir le seul établissement d’un foyer juif sur la terre d’Israël – et au mandat britannique sur la Palestine.
Il conviendrait de résoudre la controverse publique concernant le début du conflit et de désigner la déclaration Balfour comme son coup d’envoi. Elle a ceci d’unique qu’elle est à la source du narratif national de chacune des deux parties. Le côté juif / sioniste la voit comme la reconnaissance internationale du droit du peuple juif à fonder un État indépendant sur la terre d’Israël ; le côté arabe / palestinien comme une injustice historique car elle n’a pas appliqué aux Arabes de Palestine, qui constituaient à l’époque la grande majorité de la population du pays, le principe de l’autodétermination.
1947 est le “produit” de 1917 qui a, d’une part, rendu possible l’accomplissement politique et matériel de la vision sioniste ; et de l’autre suscité la cristallisation des Arabes d’Israël, les Palestiniens, en un groupe doté d’exigences nationales spécifiques, dont la plus importante était la revendication de ce même territoire. 1917 fut ainsi le “big-bang” qui mit le conflit en branle ; et 1947, quoique marquant l’apogée du conflit, n’en fut que l’une des conséquences.
C’est encore plus vrai concernant 1967. Les événements de cette année-là découlèrent principalement du refus arabe d’accepter 1947 comme un fait accompli. Même si 1967 a créé de nouvelles facultés de règlement du conflit au moyen de la résolution 242, adoptée au lendemain de la guerre, il est clair qu’on ne saurait y voir le point de départ du conflit, dans la mesure où les négociations concernent également la reconnaissance mutuelle, qui a son origine en 1917, et la question des réfugiés de 1947.
Quiconque veut prendre le narratif historique des Palestiniens ou celui des Israéliens pour base de négociation place un incontournable roc sur la voie d’un accord. Entre les deux narratifs, le fossé ne peut être comblé, du fait des reliquats du passé et de leurs conséquences sur l’issue des négociations.
De mon point de vue, on ne saurait parvenir à un règlement définitif sans respect intégral de la résolution 242, expression de la conception de 1967. La guerre des Six Jours a agi comme un déluge dans le conflit. Elle entraîna des changements fondamentaux, faisant émerger des problèmes qui exigeaient solution, tels ceux hérités de la guerre d’Indépendance de 1948 – les frontières, la sécurité, Jérusalem et les réfugiés ; mais elle fut également source de potentialités permettant virtuellement de les résoudre.
À travers la grille conceptuelle de 1967, les deux parties peuvent s’accorder sur une solution à la totalité des questions ; sans faire fi, bien sûr, des conflits et heurts des narratifs nationaux, cette dernière serait susceptible d’éviter qu’un gouffre ne se creuse entre dirigeants pragmatiques et segments de leur population opposés au compromis. L’avantage inhérent à la conception de 1967 repose sur sa capacité à proposer une solution sans avoir à aborder de front des narratifs contraires. Les contourner peut permettre aux Palestiniens de perpétuer le rêve de la patrie, à savoir l’ensemble de la Palestine mandataire de la Méditerranée au Jourdain ; et aux Israéliens de continuer à rêver de l’ensemble de la terre d’Israël dans ces mêmes frontières – à la claire condition qu’en pratique les deux parties respectent chacune la souveraineté de l’autre sur la base des accords signés par leurs deux États.