Il est scandaleux que le Premier ministre ne dise rien aux citoyens israéliens de la véritable raison de la reprise des pourparlers de paix.


Dimanche, j’ai reçu une lettre du Premier ministre. Cela commençait par le symbole de l’État, en bleu sur blanc, et finissait par l’autographe de Benyamin Nétanyahou – un “B” énorme, fier et assuré, un “e” ferme et résolu, sans compromis, suivi par des lettres allant décroissant : un “a” vacillant, un “h” en catalepsie, et finalement un “u” cherchant à marcher sur la tête. C’est ainsi que mon Premier ministre entame chacune de ses démarches – et c’est ainsi qu’il les finit.

Dans sa lettre, Nétanyahou tente de me convaincre, moi citoyen de cet État, du bien-fondé de sa décision de relâcher 104 terroristes de poids, dont de nombreux meurtriers, emprisonnés pour des crimes commis avant la signature des accords d’Oslo. « Les Premiers ministres doivent parfois prendre leurs décisions à l’encontre de l’opinion publique, écrivait Nétanyahou. Pour prendre des décisions allant dans le sens de l’opinion publique, point n’est besoin de Premiers ministres. »

Dans mon cas, Nétanyahou s’adressait à un sympathisant, quelqu’un qui ne demandait qu’à se laisser convaincre. Le fait que cette décision contredise tout ce qu’il avait jusque-là prêché ne parle pas nécessairement contre lui. Ariel Sharon nous a appris que ce que vous voyez de là-bas, du pupitre de l’orateur à la Knesseth et des confortables fauteuils du Conseil des ministres, n’est pas ce que vous voyez d’ici, depuis le trône du Premier ministre. Nétanyahou a vu, assimilé et mis en œuvre.

Relâcher prématurément des terroristes irrite toute personne décente. Les images des meurtriers se congratulant sans le moindre remord en se dirigeant vers le bus composent une scène humiliante, blessante, et qui nous indigne. Par-delà l’émotion, deux approches sont en conflit : suivant la première, les terroristes aux mains tachées de sang doivent mourir en prison, à titre de leçon ; la seconde tend à classer les prisonniers en fonction de leur dangerosité. Qui a vieilli en prison et s’y est rouillé peut rentrer à la maison. Il ne reviendra pas au terrorisme.

La plupart des prisonniers que Nétanyahou a accepté cette fois de relâcher ont passé au moins vingt années en prison. Certains y sont restés trente ans et plus. Dans l’industrie de la terreur, on les verra comme des retraités. Les dommages à craindre de leur part sont bien moindres que ceux encourus de la part des prisonniers relâchés dans le cadre de l’échange Shalit [1], lesquels étaient plus jeunes et appartenaient en majorité au Hamas.

Pour toutes ces raisons, et sachant qu’il s’agit d’une décision pénible, douloureuse, que Nétanyahou ne prend pas dans son intérêt propre mais dans ce qu’il estime être celui de la nation, je songeais à lui écrire une réponse en deux mots : « C’est bien. »

Jusqu’à ce que j’ai lu toute la lettre, ce qui y figure et surtout ce qui n’y figure pas. Pas un seul mot d’explication, de regret, pour tous les discours enflammés que Nétanyahou – l’ex M. Terreur – a prononcés par le passé contre ce genre de marchés ; pas un seul mot sur le fait que l’échange Shalit et le prix fort alors payé au Hamas ont fait d’Israël l’obligé du Fatah et de l’Autorité palestinienne [2]. Abbas ne pouvait se présenter aux pourparlers sans un accord relâchant ses [propres] meurtriers.

Pas un seul mot quant à ce qu’Israël est censé obtenir en retour. « S’ils donnent – ils recevront », avait coutume de dire Nétanyahou à propos des Palestiniens lors de chacun de ses discours. « S’ils ne donnent rien, ils n’auront rien ». Les Palestiniens n’ont rien donné cette fois, en dehors de la volonté de mener des pourparlers sur le fait de mener des pourparlers. Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour deviner ce que Nétanyahou en eût dit si un autre que lui était Premier ministre.

Une décision « d’une difficulté sans pareille »

La véritable raison de cette décision est la dégradation de la position d’Israël dans le monde au moment où nous avons plus que jamais besoin de l’Occident, à cause de l’Iran, de la Syrie et de l’Égypte. Il ne va pas aux négociations afin de parvenir à un accord, mais pour légitimer son gouvernement aux yeux de l’Ouest. De telles considérations peuvent se justifier. Il est scandaleux que les citoyens israéliens, auxquels le Premier ministre a adressé cette lettre, n’en sachent rien.

Il est scandaleux qu’il ne leur dise rien de ses hésitations entre accéder publiquement à la demande de relâcher des terroristes et accéder publiquement à la demande d’un gel total de la construction dans les implantations. Il est scandaleux qu’il n’explique pas pourquoi il a privilégié une demande par rapport à l’autre – avait-il à l’esprit les citoyens du pays ou l’aile la plus droitiste de son parti ?

Il est scandaleux qu’il ne leur dise pas qu’il a découvert les limites de son pouvoir au cours de son mandat. Les États-Unis sont une puissance mondiale, aurait-il pu leur dire. Ils peuvent se permettre de ne pas relâcher de terroristes. Israël ne saurait s’offrir ce luxe.

« On ne gouverne pas en versant des pleurs », disait autrefois Yitz’hak Rabin. Le côté larmoyant de la lettre de Nétanyahou est superflu. Il répète à plusieurs reprises que cette décision est « d’une difficulté sans pareille ». Ceux qui se souviennent de la façon dont Nétanyahou a fêté l’échange Shalit, autre décision dite par lui « d’une difficulté sans pareille », comprendront que, dans son cas, la distance entre une difficulté sans égale et des réjouissances sans égales est plutôt courte.


NOTES

[1] Capturé en lisière de la bande de Gaza le 25 juin 2006 par un commando palestinien, Guilad Shalit demeura cinq années durant otage du Hamas, avant d’être libéré en octobre 2011 en échange de 1 027 prisonniers membres de cette organisation.

[2] Un marché finalement entériné par le Premier ministre Benyamin Nétanyahou après de longues tractations menées par Gershon Baskin, militant de longue date du dialogue israélo-palestinien, et dont l’issue constitua pour le Hamas une victoire dans l’opinion publique palestinienne.