Pour sécuriser sa coalition, Netanyahu est prêt à autoriser la violence des colons et d’autres mouvements qui étendront le conflit.
Auteur : Shaul Arieli pour Haaretz, 14 novembre 2022
Traduction : Marina Ville pour LPM
Illustration : Itamar Ben-Gvir le soir des élections, le 1er novembre 2022. ©Ohad Zwigenberg
Mis en ligne le 18 novembre 2022
L’escalade en Cisjordanie, le dernier round d’élections juste derrière nous et le gouvernement à venir sous la direction de Benjamin Netanyahu redonnent vie aux euphémismes utilisés dans le discours politique sur le conflit israélo-palestinien. Particulièrement important parmi eux est le concept de « réduction du conflit » dans ses différentes versions – de la « gestion du conflit » à la « paix économique » en passant par « l’amélioration du conflit ».
Les représentants de la majorité des partis ont donné beaucoup de poids à ces concepts dans leurs promesses aux électeurs lors de la campagne électorale, comme s’il s’agissait d’un remède miracle préparé avec professionnalisme pour gérer le conflit sanglant. Netanyahu sera de nouveau pris dans une tenaille politique, entre la revendication du Sionisme Religieux qui promeut l’annexion de la Cisjordanie et son propre engagement dans les accords d’Abraham d’empêcher cette annexion, avec en outre la pression attendue du gouvernement américain actuel et de la Chambre des représentants là-bas. Il cherchera à sortir du piège en ravivant le mythe de la « paix économique » et de la « réduction du conflit », même si, en pratique sur le terrain, c’est l’inverse et l’extension du conflit qui se produira.
Dans les deux camps politiques, il y en a qui soutiennent la politique de « réduction du conflit » : nombre de partisans de la solution à deux États estiment que cette dernière n’est pas faisable pour le moment et qu’il faut donc agir pour réduire le conflit et empêcher son escalade, jusqu’à ce que la situation change. D’un autre côté, ceux qui refusent la solution à deux États pensent que la réduction du conflit est précisément la manière correcte d’agir. C’est la position de Netanyahu, qui écrivait en 1995 dans son livre « Sous le soleil » : « Un État de l’OLP qui sera implanté à 15 kilomètres des côtes de Tel-Aviv sera un danger de mort immédiate pour l’État juif ». Et donc, le « programme d’autonomie sous contrôle israélien est la seule alternative« .
Et ainsi que Benny Gantz l’a déclaré cette semaine dans une interview sur le site Internet « Serugim »*, « la gauche en Israël pense que la solution est de deux États pour deux peuples. Je suis contre cela. Au lieu que la situation ne dégénère en un État binational, nous réduirons le conflit » (30/10/22). Ce ne sont là que deux exemples. Il n’est pas surprenant qu’aucun homme politique se sente obligé d’expliquer d’abord sur quoi porte le conflit, avant d’expliquer sa position sur les moyens de le réduire. Et le public ne demande pas d’éclaircissement à ce sujet. Si on s’intéressait à cette question, il serait possible de voir qu’il n’y a pas de lien entre les mesures opératoires que ceux-là proposent et l’objectif de « réduction du conflit », et que la plupart de ces mesures sont nuisibles sur le long terme.
L’hypothèse de départ qu’on retrouve souvent comme un mantra dans la bouche des politiques est qu’un voisin rassasié est moins hostile, et certains pensent qu’il abandonnera également ses ambitions nationales ou du moins les réduira. À leur avis, l’accent, dans la mise en œuvre de la « réduction des conflits », devrait être mis sur les mesures économiques qui profiteront aux Palestiniens. Cela contraste avec toutes les leçons historiques qui ont prouvé le contraire, lorsque le yishouv et l’État d’Israël ont agi en suivant cette hypothèse erronée. Quand donc le conflit entre nous et les Arabes du pays a-t-il concerné la prospérité économique ?
Le conflit concerne cette terre et le droit d’y établir un État. C’est essentiellement un conflit territorial-national, même s’il s’accompagne d’aspects religieux. Toute tentative de réduire ce conflit doit traiter de la question territoriale. Réduire le conflit, c’est réduire la zone de confrontation entre les parties. Les étapes progressives du processus de paix avec l’Égypte et l’évacuation du Sinaï – les accords de séparation (1974), l’accord intérimaire (1975), l’accord-cadre (1978), l’accord définitif (1979) et l’évacuation du Sinaï (1982) doivent s’appuyer sur une base de logique et de mise en œuvre correcte de la thèse de la « réduction du conflit ».
C’est aussi ainsi que s’est construit l’accord d’Oslo : dans un premier temps, un accord intérimaire dans le cadre duquel Israël transférerait tous les territoires occupés à l’autorité de l’Autorité palestinienne, à l’exception des questions qui se discuteraient lors des négociations sur l’accord permanent : Jérusalem, les sites militaires et les implantations ; et dans la deuxième phase, l’accord permanent. Le transfert de zones A et B à la juridiction palestinienne a réduit le conflit, car Israël n’est pas (généralement) présent dans ces territoires et ne gère pas directement la vie des Palestiniens qui y habitent. En permettant à son gouvernement d’exister, Netanyahu permettra à Ben Gvir et Smotrich d’accélérer des phénomènes qui étendent le conflit, comme la violence des colons et l’appropriation des terres.
Le plan de désengagement de la bande de Gaza a aussi été mis en œuvre d’une manière similaire. Certes Israël contrôle le terrain autour de la bande de Gaza, mais il n’y gère pas la vie quotidienne et mène sa guerre contre le Hamas et le Jihad islamique selon des schémas militaires conventionnels et non comme une police d’occupation. Ceci explique le fait qu’au cours des cinq années précédant le désengagement, Israël a déploré 147 morts, alors que depuis le désengagement jusqu’à aujourd’hui – pendant 17 ans – il y a eu 122 morts dus aux divers conflits avec Gaza.
De même, les mesures prises par la partie arabe pour réduire le conflit, par exemple l’annulation de l’annexion de la Cisjordanie par le roi Hussein en 1988 qui a ouvert la voie à l’accord de paix entre la Jordanie et Israël en 1994, en vertu duquel Israël a rendu à la Jordanie des territoires qu’il avait conquis dans la Arabah**. L’acceptation par l’OLP des résolutions 242 et 338 de l’ONU en 1988, et sa reconnaissance réciproque officielle de l’État d’Israël en 1993 ont réduit l’espace conflictuel qui était auparavant la totalité de la Palestine-Terre d’Israël mandataire et ont laissé pour les négociations du règlement définitif les seuls territoires conquis en 1967.
Afin de réduire le conflit aujourd’hui, au sens vrai et correct du terme, les zones C doivent être transférées à l’Autorité Palestinienne, comme Netanyahu l’a fait dans le cadre des « phases » prévues en 1998 (dans le cadre du mémorandum de Wye) et a de nouveau proposé de le faire en 2014 selon le témoignage de l’envoyé américain de l’époque, Martin Indyk (« Serugim », 31.10). Cette logique a également constitué la base du schéma directeur de désengagement d’Ariel Sharon et le plan de convergence en Cisjordanie d’Ehud Olmert – qui proposait de transférer les terrains de la zones C et d’évacuer les colonies isolées de la « crête montagneuse »*** afin de donner aux Palestiniens une continuité territoriale dans les zones A et B, ce qui permettra d’implémenter des plans de développement dans divers domaines et de donner une capacité de gouvernance.
Que comprend la « réduction du conflit » selon Netanyahu et d’autres qui sont favorables à cette approche ? L’augmentation du nombre de permis de travail pour les Palestiniens de Gaza, l’autorisation de chercher du travail en Israël aux Palestiniens de Cisjordanie, l’augmentation de la zone de pêche au large de Gaza, etc. Ces gestes auraient pu aider s’ils s’étaient accompagnés des mesures territoriales rappelées plus haut. A court terme, ils contribueront effectivement au bien-être de dizaines de milliers de familles palestiniennes, mais cela n’a rien à voir avec une réduction du conflit. Au contraire, la présence de centaines de milliers de travailleurs palestiniens en Israël, en l’absence d’un processus politique significatif, augmente plutôt le potentiel d’escalade et de violence (des deux côtés dans d’innombrables points de friction quotidiens) comme cela s’est produit lors de la première Intifada.
A long terme, les conséquences seront plus graves. La mise en œuvre de la politique née à l’époque du ministre de la Défense Moshe Dayan, dans le cadre de laquelle l’économie des Palestiniens fonctionne par l’intermédiaire d’Israël, (ils y travaillent, reçoivent une partie des services médicaux (payants), achètent l’électricité, importent et exportent, collectent les impôts indirects, etc.), entretient leur dépendance vis-à-vis d’Israël et empêche le développement des institutions de leur État futur.
Il ne faut pas s’attendre à ce que Netanyahu évoque à nouveau l’idée d’une réduction territoriale. Et comme condition de l’existence de son gouvernement, à défaut de pouvoir annexer des territoires, Netanyahu permettra à Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir de renforcer et d’accélérer les processus à l’opposé de la thèse de la « réduction des conflits » qu’on voit chaque jour en Cisjordanie : l’extension des colonies, la tolérance des avant-postes illégaux, le « blanchiment » des avant-postes existants, les autorisations accordées aux fermes agricoles juives, la violence des colons contre les Palestiniens, les Israéliens et les soldats de Tsahal, la confiscation de terres, la construction d’un réseau routier vers les colonies isolées et plus encore. Ces processus augmentent l’ »aire » de l’espace de la confrontation, conduisent à la violence mutuelle et obligent Tsahal à investir pas moins de 55 % de ses forces combattantes en Cisjordanie en période de routine et plus encore en période d’escalade.
Il semble que le gouvernement qui sera formé atteindra de nouveaux sommets dans l’adoption d’euphémismes au premier rang desquels la « réduction des conflits » et la « paix économique ». La population doit les connaître et en comprendre le sens. « Réduire le conflit » est un enjeu territorial, et sa poursuite est la logique qui a guidé tous les accords d’Israël jusqu’à présent. L’utilisation de ces concepts par le futur gouvernement Netanyahu n’est rien de plus qu’un écran de fumée, dont le but est de cacher la poursuite de la confrontation et de l’annexion rampante, jusqu’à la création d’un État unique non égalitaire. Il est possible que les élections de 2022 restent dans les mémoires comme la « Nakba » de la démocratie israélienne.
*Ndlt : site d’information s’adressant au public « national-religieux ».
**Ndlt : une longue bande de terrain entre la mer Morte au Nord et le Golfe d’Aqaba au Sud.
***Ndlt : expression qui désigne la région montagneuse de l’Est de la Samarie, Nord-Est de la Cisjordanie.
Le Dr. Shaul Arieli, colonel de réserve, est spécialiste du conflit israélo-palestinien.