Par delà les insinuations, voire les invectives, ordinairement lancées en Israël contre tous ceux qui défendent une reprise du processus de paix israélo-palestinien, c’est l’absence même de proposition de solution négociée au conflit dans la quasi totalité des programmes qui effare ici Gershon Baskin. Les préoccupations socio-économiques sont depuis l’été 2011 au cœur du débat, mais se serait se leurrer qu’imaginer y faire face en l’absence de paix : « Les deux questions sont intimement liées, elles sont unies par un cordon ombilical et on ne saurait s’occuper de l’une ou de l’autre sans faire passer l’oxygène dans les deux sens. »

Quant au prétexte dérisoire d’une même absence de volonté côté palestinien, une déclaration de Mah’moud Abbas [1] s’impliquant sans ambiguité en faveur de la solution à deux États vient d’en faire litière : « La Palestine, pour moi, se sont les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale (…) C’est cela la Palestine – la Cisjordanie et Gaza, tout le reste est Israël. » Assortie qu’elle est d’une renonciation au retour de réfugiés dans les frontières de l’État d’Israël et d’un ferme rejet du recours à l’intifada, cette déclaration parviendra-t-elle à percer une brèche dans l’autisme de la classe politique israélienne ?

La question est urgente car, Gershon Baskin nous le rappelle, « la paix n’est pas dangereuse, c’est l’absence de paix qui l’est. »


Nous avons besoin de leaders qui nous disent la vérité, pas d’experts en communication et de moulins à litanies. Il nous faut des hommes et femmes politiques aussi sincères envers eux-mêmes qu’envers nous.

Il est plus facile de se taire que de parler. C’est vrai en ce qui concerne l’Iran, l’initiative de paix arabe et la question palestinienne. Disons-le tout cru – cela est vrai des deux côtés, pas seulement en Israël. Les ennemis dénient presque toujours les chances de paix future en soutenant qu’il n’y a pas à qui parler.

Leur argumentation se pare de toute la palette des couleurs nationales et ils clament leur loyauté à l’égard de leur camp. Ils brandissent leur drapeau et exigent fidélité à leurs positions face à l’ennemi. Ils décrivent tous ceux qui, du sein de leur propre camp, essaient de lier contact avec la partie adverse ou remettent en question ce refus de dialogue, comme des traîtres, des Quisling, des Chamberlain, naïfs, idiots ou tout simplement déloyaux. L’ennemi est toujours dépeint comme cruel, immoral, fasciste, raciste, primitif et indigne de confiance. Dans ce contexte, l’infâme prophétie auto-réalisatrice [2] encourage à rester calé dans son fauteuil.

La société israélienne entrant en période électorale s’est laissée persuader, par ses dirigeants comme par elle-même, qu’en matière de paix avec nos voisins nulle discussion n’est possible. Nous avons si vite renoncé ne fût-ce qu’à nous interroger vraiment, en notre for intérieur, quant à la possibilité d’un changement. Nous avons absous nos dirigeants politiques et nos jeunes et combatifs(ves) politicien(ne)s d’avoir ne fût-ce qu’à proposer un programme donnant une idée de la façon dont ils (ou elles) pourraient aborder les problèmes régionaux en termes neufs, au lieu de persévérer dans la stratégie de l’immobilisme.

Je ne comprends pas comment les dirigeants de ce pays peuvent se présenter devant nous et nous appeler à voter pour eux sans rien avoir à montrer, pas le plus petit succès ni même le moindre effort réel pour nous rapprocher de la paix. Un discours et 10 mois de gel partiel des implantations, Monsieur le Premier ministre, cela ne fait pas un plan de paix.

Aucun des partis de la coalition n’a rien à offrir à l’opinion en termes de plan significatif, proposition, intention ou désir de paix avec nos voisins. (Comme je l’ai écrit plus haut, aucun de nos voisins n’a fait lui non plus de pas réel affichant sa volonté de paix, mais quant à en tirer prétexte à éviter tout pas de la part d’Israël, cela ne tient pas la route.)

Experts et politiciens nous disent que ces élections seront centrées sur les questions socio-économiques. Les sondages persistent à montrer que la question de la paix se situe tout en bas de la liste des préoccupations publiques. Les stratèges politiques conseillent à leurs clients de ne pas parler de paix, c’est impopulaire, cela vous taille en un instant un costume de “pro-Arabe” ou de “radical d’extrême-gauche”.

Parler de paix en période électorale, c’est porter un coup mortel à n’importe quel candidat ou parti, comme si la paix nous était néfaste. Notre espace mental s’est tellement distordu que nous associons maintenant la paix à l’absence de sécurité. Nous pensons que la paix est dangereuse. On nous parle des dangers d’Oslo, des crimes et des criminels d’Oslo, des “dommages de paix” [3].

La paix n’est pas dangereuse, c’est l’absence de paix qui l’est.

Il n’y a pas eu de “dommages d’Oslo” ; il y a eu ceux du terrorisme, dus aux ennemis d’Oslo. Les “criminels d’Oslo” furent ceux qui refusèrent de mettre en œuvre les accords signés et ceux qui ont perverti leurs intentions. Les “criminels d’Oslo” furent ceux qui incitèrent à la violence contre la paix et ceux qui permirent l’assassinat de notre Premier ministre.

La paix n’est pas un crime. Les politiciens qui parlent de paix ne sont en aucune façon criminels, déloyaux ou extrémistes.

Je n’éprouve pas le moindre respect pour les politicien(ne)s qui refusent de dire comment ils vont mener ce pays à la paix. Les partis politiques qui n’inscrivent pas la question de la paix tout en haut de leur programme ne valent pas que l’on vote pour eux.

On a dupé l’opinion en lui faisant croire que nous n’avons qu’à attendre que nos voisins renoncent à leurs demandes et se contentent de ce qu’Israël est prêt à leur offrir. On a trompé l’opinion en lui faisant croire que nous pourrons affronter les problèmes sociaux et économiques qui affligent ce pays sans résoudre la question de la paix avec ses voisins.

Les deux questions sont intimement liées, elles sont unies par un cordon ombilical et on ne saurait s’occuper de l’une ou de l’autre sans faire passer l’oxygène dans les deux sens. Israël ne peut se permettre de combler le fossé social, subvenir aux services publics, parfaire le système de santé, viser à l’excellence dans l’enseignement, développer la protection sociale, fournir un habitat social et pour les classes moyennes des logements abordables, payer des salaires plus élevés ni offrir une vie honorable à son peuple sans résoudre le conflit avec nos voisins.

Aucun magicien, qu’il s’appelle Bibi, Shelly, Eïvet ou même Yaïr [4], ne pourra pondre des œufs d’or ou sortir un lapin de son chapeau et régler nos problèmes socio-économiques en l’absence de paix avec nos voisins.

On peut tous se laisser abuser un certain laps de temps, mais il semble que celui-ci pourrait être très long. Le temps peut cependant finir par manquer, tout comme la magie. Ce moment est arrivé.

Sitôt les élections passées, nous allons nous réveiller à l’aube d’une nouvelle austérité économique. La convocation des élections a été décidée du fait que Netanyahu ne pouvait pas faire voter de budget.

Ses tracés magiques de cartes et diagrammes ne peuvent plus remplacer les chiffres. Après les élections, le vainqueur devra pratiquer des billions de coupes budgétaires, et quelles en seront les victimes ? Nous tous, et en particulier les classes moyennes.

Même si Shelly Yah’imovitch devait devenir ministre des Finances, elle n’aurait d’autre choix que de pratiquer ces coupes, portant atteinte à ceux-là même qui vont la jeter dans les griffes d’un nouveau gouvernement israélien refusant de faire la paix.

Être sérieux quant à la construction de la paix, c’est la seule chance de voir changer la dynamique du refus de dialogue dans la région. Ce n’est faisant avancer la paix qu’Israël redeviendra attractif pour les investissements et les touristes étrangers. Un gouvernement israélien doté d’un plan de paix authentique et sincère sera en mesure de s’occuper sérieusement des questions sociales et économiques. Nous avons besoin de leaders qui nous disent la vérité, pas d’experts en communication et de moulins à litanies.

Il nous faut des hommes et femmes politiques aussi vrais envers eux-mêmes qu’envers nous. Il n’y a pas que l’économie, idiot, il y a aussi la paix.


NOTES

1] Pour en savoir plus, on peut lire un compte-rendu de cet entretien sur ce site: [

[2]Self fullfilling prophecy”, selon le sociologue Robert K. Merton, qui créa le concept d’une prophétie mise en acte par sa propre énonciation, laquelle fait advenir ce qu’elle annonçait. On peut penser que le mythe d’Œdipe en propose une assez bonne illustration, la prédiction fatale amorçant à deux reprises l’engrenage qui placera Laïos tel un inconnu sur la route de son fils.

[3] Calquée sur “dommages de guerre”, l’expression se décline, non sans ironie, tout au long du paragraphe suivant.

[4] Bibi Netanyahu, Shelly Yah’imovitch, Avigdor Eïvet (ou Eïvik – comme on l’appelait en Moldavie d’après le nom de sa grand-mère Eva) Lieberman, et Yaïr Lapid. Signalons qu’aux toutes dernières nouvelles (Ha’aretz du vendredi-samedi 2 et 3 novembre), Yaïr Lapid a ajouté le processus de paix israélo-palestinien à son programme.