« Tout est à repenser, chers parents, et c’est une chance d’avoir un ministre de l’Éducation qui se charge de nous rééduquer, une chance qu’il tire les conclusions des résultats des primaires du Likoud et annonce toujours plus de visites guidées de Hébron afin d’y faire participer toutes les écoles », écrivait Yossi Sarid au lendemain du refus de dernière minute de laisser les élèves du lycée de l’Université entendre à Hébron, au cours d’une visite imposée par le ministère, un autre son de cloche que celui des colons.


Qu’avez-vous appris aujourd’hui à l’école, chères têtes blondes ? Eh bien, chers parents, j’ai beaucoup appris, et vous devriez en faire autant. Cette visite m’a vraiment ouvert les yeux. On devrait avoir honte de tous les mensonges dont on nous a abreuvés. Et encore, nous sommes censés aller à une bonne école, le lycée de l’Université, mieux connu sous le nom de « Le-Yadah ». Connaître, connaître… vous imaginez ce que ce doit être dans les autres établissements, où ils ne connaissent rien à ce pays du fond de leur terrier [1].

Des années durant, on nous a appris qu’il n’était pas juste de n’écouter que l’une des parties. Mais, à Hébron, on ne laisse pas passer d’opinion différente. À Hébron, le jugement de l’histoire – comme l’appelle Adina, notre prof – est rendu en la seule présence de l’une des parties. Papa, tu sais de quoi je parle, tu es avocat après tout.

Qu’est-ce qu’ils croyaient, à Briser-le-Silence [2] ? Que ça se passerait sans heurts ? Qu’on les laisserait dénigrer et salir sans qu’un Itamar Ben-Gvir « aiguise sa langue » [3]. Maman sait de quoi je parle, elle qui enseigne la Bible et l’hébreu. Quiconque veut briser quelque chose devrait le faire ailleurs, pas comme un éléphant au carrefour de H’arsina [4].

Nous en avons plus appris là-bas en un jour qu’ici en huit ans. Jusqu’à maintenant, on nous avait enseigné en instruction civique que l’État est souverain ; sa loi règne en tous lieux. Mais on s’est moqué de nous : on ne nous a jamais peint tout le tableau. C’est ce qui arrive quand on n’a pas assez le temps d’enseigner l’histoire. Ce n’est que maintenant que je comprends qu’il y a des zones entières sous le contrôle de « vigiles », comme le prof les appelle, et qu’ils nettoient les environs comme il faut, comme dans le Livre de Josué [5].

Ils devraient arrêter de nous raconter des histoires – nous ne sommes plus des enfants. Nous avons vu de nos propres yeux les colons agir en patrons, disant quoi faire aux soldats et aux policiers. Si seulement notre classe était aussi disciplinée. Allez comprendre pourquoi des citoyens qui veillent sur les gardiens de la loi sont traités de casseurs. Ce monde marche sur la tête.

À la dernière minute, la police a informé le bureau du principal que Briser-le-Silence n’aurait pas l’autorisation de nous rencontrer. Ils ont dit quelque chose à propos d’un rapport publié dans Ha’aretz, mais vous devez en savoir plus que nous là-dessus, en tant que lecteurs de ce journal de prétentiards [6]. À la suite de ce rapport prématuré, « l’enfer s’est déchaîné dans les colonies », à ce qu’ils nous ont dit. Je n’ai pas bien compris ce qui tenait jusque là l’enfer en bride, ni comment la police allait pouvoir le maîtriser à nouveau.

J’ai vu une fois un film appelé Aller en enfer et en revenir et c’est une description assez juste de la journée que nous avons passée. Nous avons découvert un nouvel univers absurde, où l’abomination devient acte de justice – aussi longtemps qu’on la pratique au nom de la Torah, bien sûr. Toi qui enseignes les Écritures, Maman, Papa, est-il besoin d’expliquer ?

Je vais devoir tout repenser, après avoir découvert par hasard – que ne me l’aviez-vous dit ? – que Dieu est ici plus populaire que le Premier ministre Benjamin Netanyahu : 80% des voix, au moins, et une majorité est une majorité. Exactement comme le meurtre est le meurtre, c’est évident, mais il y a parfois des circonstances atténuantes, Papa le sait. Vous devez avoir entendu parler de Baruch Goldstein [7], meurtrier mais aussi médecin – et un médecin ne tire pas sans raison, vous me l’accorderez.

Tout est à repenser, chers parents, et c’est une bonne chose que nous ayons un ministre de l’Éducation qui se charge de rééducation, une bonne chose qu’il tire des conclusions des primaires du Likoud et annonce l’élargissement des visites de Hébron afin de les étendre à l’ensemble des établissements. C’est un type sérieux, ce Guidon Sa’ar ; il sera Premier ministre avant même Moshé Feiglin [8].

Cette semaine, j’ai jeté un œil à votre journal – à ce que vous pensez, vous – et j’ai vu une info intéressante : des études ont prouvé que le sens de l’odorat est plus puissant que les autres [9] ; les odeurs convoquent, plus que les sons, les réminiscences désagréables. Je fais confiance à notre ministre de l’Éducation pour passer nos souvenirs au crible et découvrir ce que nous à fait Hébron, cette ville qui pue à plein nez.


NOTES

[1] L’auteur joue ici sur la proximité phonique entre “Yada“ (il ou elle “savait”, “connaissait“) et “Le-Yadah » (litt. “à côté d’elle”) – dénomination familière du lycée de l’Université, fondé en 1935 aux portes de l’université hébraïque de Jérusalem à Guivat Ram. “Le-Yadah” est l’un des établissements les plus prestigieux du pays. Plutôt classé comme « libéral de gauche », il accueille surtout des élèves des catégories aisées malgré des programmes d’intégration à l’intention des classes défavorisées.

2] Fondée en 2004, l’association Shovrim Shtika (Briser-le-Silence) regroupe des réservistes choqués par leur propre attitude et celle d’autres soldats effectuant leurs périodes de réserve ou leur service militaire, et qui ont décidé de témoigner. L’association a publié de nombreux récits et documents visuels sur des comportements incorrects à Hébron, lors de l’opération « Plomb durci » à Gaza : [

Voir également sur notre site l’article de Steven Erlanger, publié le 3 avril 2007 : [->https://www.lapaixmaintenant.org/Briser-le-silence]

[3] Prélude au passage à l’acte, les appels d’Itamar Ben-Gvir à la violence évoquent le psaume LXIV.3 : « Ils aiguisent leurs langues comme des épées…” Assistant parlementaire du rabbin Michaël Ben-Ari (Jewish National Front Party), il milite toujours pour le transfert de populations arabes – idée initiée par le parti Kach, fondé par le rabbin Meïr Kahana puis interdit, et dont il fut membre. À la suite de l’attentat commis par des extrémistes juifs au domicile de Zeev Sternhell, qui fut blessé, Ben-Gvir déclara : « Nous ne condamnons pas cet acte, mais j’affirme que nous n’y sommes pas mêlés. » Voir sur notre site la traduction de l’article d’Ari Shavit paru dans Ha’aretz le 27 septembre 2008 :

[->https://www.lapaixmaintenant.org/Sternhell-l-Israelien]

[4] « H’arsina – porcelaine » : l’auteur joue sur le nom de ce carrefour, à proximité de Hébron et des colonies alentour, y compris Guivat H’arsina et Kyriat Arba, l’une des plus anciennes. Expropriations de terres palestiniennes, destructions de maisons et incidents parfois violents ont émaillé la récente construction de la “route de contournement » de H’arsina.

[5] Premier livre des Prophètes, Josué fait suite au Pentateuque – qui s’achève sur la mort de Moïse aux portes du pays de Canaan. Il relate l’entrée en terre promise sous la direction de Josué, décrivant une conquête violente et rapide dont certains extrémistes se revendiquent de nos jours.

[6] Af le-mala – litt. ”nez-en l’air”, l’expression israélienne pour qualifier qui vous regarde de haut.

[7] Juif américain établi à Kiryat Arba, Baruch Goldstein a assassiné le 25 février 1994, dans le Caveau des patriarches où il ouvrit le feu « à l’aveugle », 29 civils palestiniens en prières, en blessant plus de 125. Battu à mort, il est inhumé face au mémorial dédié à Meïr Kahana. Des extrémistes juifs s’y rendent encore en pèlerinage.

[8] Actuel ministre de l’Éducation nationale et membre du Likoud, dont il a été président, Guidon Sa’ar a été élu à la 18e Knesseth en seconde position derrière B. Netanyahu ; Moshé Feiglin, co-fondateur du mouvement « Zo Artzeinou – C’est notre Terre”, créé en réaction aux accords d’Oslo, appartient à la droite du Likoud. Il s’oppose régulièrement à B. Netanyahu et, s’il a été largement devancé lors des dernières primaires du parti le 31 janvier 2012, il a néanmoins mobilisé 25% des suffrages exprimés.

9] « HaReah’ hazé moukar li mi-Eifoshéhou – Cette odeur me dit quelque chose », dépêche Ha’aretz du 29 janvier 2012, hébreu seulement : [