Ha’aretz, 4 mars 2008
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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Hiver 1991 : Saddam Hussein bombardait Tel Aviv. Pendant un mois et demi, des missiles à longue portée sont tombés sur la ville. Les gens étaient paniqués, beaucoup ont fui pour Jérusalem, alors que les dirigeants parlaient avec emphase du coup terrible que le dictateur irakien allait essuyer.
Mais rien ne s’est passé. Nous n’avons rien fait.
Février-mars 1996 : des autobus explosaient à Tel Aviv et Jérusalem, et plusieurs dizaines de personnes étaient tuées par des attentats suicides dans les rues et les restaurants. Les gens qui allaient à l’épicerie ne savaient pas s’ils reviendraient. Ceux qui allaient au restaurant ou à la discothèque passaient pour suicidaires. Shimon Peres, alors premier ministre, savait que les attentats le détruiraient politiquement, mais il ne pouvait rien faire pour les empêcher. Bien entendu, Benjamin Netanyahou (Likoud) gagna les élections qui suivirent.
2001-2003 : une fois de plus, le terrorisme frappait le cœur d’Israël. Les attentats suicides vidaient les centres commerciaux, le tourisme était à l’arrêt, les hommes d’affaires faisaient faillite. L’économie plongea dans une profonde récession, et le chômage explosa. Là encore, nous n’avons pas fait une guerre totale dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Il est donc faux d’affirmer qu’Israël a abandonné Sderot et l’ouest du Néguev. Si abandon il y a, alors Tel Aviv et Jérusalem avaient été abandonnées, elles aussi. La vérité est plus prosaïque : l’usage de la force a ses limites, et l’armée ne peut pas tout résoudre.
Netanyahou peut toujours déclarer qu’il y a une solution simple (« passer de la guerre d’usure à l’offensive »), la réalité est plus complexe. Tsahal a opéré dans une zone densément peuplée de Gaza, et deux soldats ont été tués. Si l’armée avait poussé plus loin, le nombre de victimes aurait augmenté en conséquence.
La pression internationale aurait monté, elle aussi. Les Nations unies avaient déjà condamné, Omar Suleiman, le médiateur égyptien [également chef des services secrets, ndt] a annulé sa visite en Israël et des scènes datant des débuts de la 2e Intifada en octobre 2000 ont été vues en Cisjordanie. Les roquettes Qassam et Grad ont continué à tomber alors même que Tsahal se trouvait à l’intérieur de la bande de Gaza, et hier, le Hamas s’est hâté de clamer victoire.
Autre mensonge irritant du discours israélien : il convient de faire de la vie des Gazaouis un enfer, afin qu’ils fassent pression sur les leaders pour mettre un terme aux tirs de roquettes. Cette thèse était celle de la première guerre du Liban, et n’a pas marché, même si des centaines de milliers de Libanais ont dû fuir vers le nord.
Idem pour la deuxième guerre du Liban. Et cela ne marche pas non plus à Gaza, bien entendu.
A Gaza, la situation est horrible, la pauvreté est endémique, le nombre de victimes énorme, les hôpitaux ne peuvent plus accueillir tous les blessés, le chômage a atteint le taux hallucinant de 60%, et la population ne subsiste que grâce à la nourriture fournie par les organisations des Nations unies.
Dans une situation aussi difficile, les gens n’ont plus rien d’autre que leur dignité. Ces jours-ci, « Gaza tout entière est devenue Hamas », a dit à Ha’aretz un ancien officier de sécurité du Fatah, loin d’être un partisan du Hamas. Al-Jazira envoie dans tous les foyers les images d’horreur de la mort de dizaines de femmes et d’enfants.
Dans cette situation, la haine triomphe et le seul espoir est de prendre sa revanche. Les lanceurs de roquettes sont ainsi les héros qui gagnent la sympathie de l’opinion. Le soutien au Hamas ne décroît pas, il grandit.
Il n’y a pas d’autre issue que de parler au Hamas. Nous ne pouvons pas choisir nos ennemis. Nous avons négocié avec Yasser Arafat après avoir dit pendant des dizaines d’années (mots d’Itzhak Rabin) que nous ne rencontrerons que l’OLP que sur le champ de bataille.
Il est vrai que signer un accord avec le Hamas est risqué. Cela pourrait affaiblir Mahmoud Abbas, qu’Israël considère comme un bon partenaire. Mais cela pourrait aussi représenter un espoir. Il pourrait y avoir un accord de cessez-le-feu, consistant en un arrêt des tirs de roquettes en échange d’un arrêt des assassinats ciblés. On pourrait aussi se mettre d’accord sur un échange de prisonniers. De même, nous pourrions soulager le siège économique dans le cadre d’un accord qui empêcherait le transfert d’armes et d’explosifs via le passage de Rafah. Tout cela est possible, et de loin préférable aux massacres, qui ne font qu’ériger des murs de haine et de soif de vengeance.
Naguère, nous refusions de parler à l’OLP et à Arafat. Puis nous avons humilié Abbas en ne lui accordant aucun crédit dont il aurait pu se prévaloir pendant le désengagement. Aujourd’hui, nous ne voulons pas parler au Hamas. Ainsi, les combats continueront, jusqu’à ce qu’une catastrophe se produise, de leur côté ou du nôtre. Alors seulement, les dirigeants seront forcés de s’asseoir autour d’une table et de négocier.