A-Sharq Al-Awsat, 4 avril 2007

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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Combien sincère, honnête il a été, et combien il a eu raison, à l’égard de lui-même et des autres, quand le roi Abdallah Bin Abdoulaziz a prononcé le discours d’ouverture du 19ème sommet arabe à Riyad. Le roi a parlé franchement du cours des choses. Il s’est exprimé, non comme un dirigeant arabe traditionnel, ni même révolutionnaire, qui considère que les choses vont très bien, comme s’il n’y avait rien de plus à faire, mais il parlé au citoyen arabe moyen, déçu par le fossé entre les paroles et les actes.

Depuis le premier sommet arabe en mai 1946 à Anshas, en Egypte, jusqu’à celui de Riyad en mars 2007, les leaders arabes ont passé 60 ans à se réunir, en sessions ordinaires ou extraordinaires. On pourrait presque en conclure que, bien que les leaders aient changé au fil du temps, temps qui a affecté le reste du monde, l’ordre du jour est en gros resté le même, ce qui voudrait dire que rien n’a été accompli qui justifie un changement de cet ordre du jour.

Non. Les questions sont restées les mêmes (questions toujours qualifiées de « tournants cruciaux », et rien n’a été accompli. Au contraire. Depuis le temps, les choses sont allées de mal en pis, comme si, pour le monde arabe, le temps s’était arrêté, ou qu’il était retourné en arrière, ou même qu’il n’existait pas : une nouvelle théorie de la relativité cette fois particulière au monde arabe. Le sommet d’Anshas de 1946, par exemple, était consacré au soutien de la cause palestinienne, avant même la création de l’Etat d’Israël, et le sommet de Riyad de 2007, Israël étant devenu entre temps la puissance dominante dans la région, a été largement consacré à l’initiative de paix arabe censée apporter une solution globale à la question palestinienne. Entre Anshas et Riyad, la cause palestinienne a été en tête de l’ordre du jour de tous les sommets arabes importants.

Un sommet s’est réuni à Beyrouth pour soutenir l’Egypte contre l’agression tripartite (Israël, France, Royaume-Uni, ndt) suite à la nationalisation du canal de Suez par le nouveau régime, qui brandissait l’étendard de la Palestine et sa libération. Le sommet de 1967 à Khartoum, ou « sommet des trois non », après la guerre des Six Jours, était consacré au rejet de tout type de relation avec Israël. Celui de 1970, à Amman, visait à mettre un terme aux combats palestino-jordaniens. Celui de Rabat, en 1974, était consacré à la reconnaissance de l’OLP comme seul représentant du peuple palestinien, le royaume hachémite de Jordanie perdant cette capacité.

Les sommets de Riyad et du Caire, en 1976, ont débattu de la guerre civile au Liban. Celui de 1978, à Bagdad, a servi à boycotter l’Egypte après la visite de Sadate en Israël. Le sommet de Tunis, en 1979, a rejeté les accords de Camp David [paix entre l’Egypte et Israël, ndt]. Ce fut le sommet de Fès, en 1982, qui approuvé le plan de paix du roi [saoudien] Fahd. Celui de Casablanca, en 1979, a permis le retour de l’Egypte au sein de la Ligue arabe, celui du Caire, en 1980, a condamné l’invasion irakienne du Koweït. Et le sommet de Beyrouth, en 2002, a lancé l’initiative de paix d’Abdallah bin Abdoulaziz, alors prince de la Couronne. La déclaration finale du sommet de 2006 à Khartoum, le dernier avant le sommet de Riyad, a souligné la centralité de la cause palestinienne. Plus récemment, le sommet de Riyad s’est tenu alors que la question palestinienne représentait le souci essentiel des Arabes. Et, quand la Palestine n’était pas le souci essentiel, elle était quand même au centre de questions plus larges, comme la guerre civile au Liban, les combats entre Jordaniens et factions armées palestiniennes ou l’agression tripartite contre l’Egypte.

Pendant toutes ces années, rien n’a changé, et les déclarations finales de ces sommets sont restées les mêmes. Presque toutes ont souligné la centralité de la cause palestinienne, le soutien au peuple palestinien, la condamnation des pratiques israéliennes et l’appel à la communauté internationale pour arrêter l’agression israélienne et en finir avec l’occupation. La seule chose qui ait changé depuis toutes ces années, probablement, est le passage d’un rejet absolu d’Israël en tant qu’Etat de la région à une acceptation conditionnelle, d’après la dernière initiative de paix arabe. Le seul changement a probablement été le passage des fameux « non » de Khartoum à un « oui » conditionnel à Fès, Beyrouth et Riyad, ce qui, de mon point de vue, est positif. Mais demeure le problème clé des sommets arabes, à savoir le fait de publier des résolutions qui ne sont pas suivies d’effet, d’être un corps sans âme, que cela concerne les Palestiniens ou d’autres.

Par exemple, la décision clé du sommet du Caire de 1964 avait été la création d’un commandement militaire arabe unifié. Celle du sommet d’Alexandrie en septembre 1964 a été la création d’une cour arabe de justice, même décision prise au sommet du Caire en 1966. Au sommet de Rabat, en 1974, l’accent a été mis sur le refus de toute modification du statut de Jérusalem Est. Lors d’autres sommets, on s’est beaucoup occupé d’encourager la solidarité arabe, de rechercher la création d’un projet nucléaire civil arabe ou celle d’un marché commun arabe. Ces décisions n’ont eu aucun effet concret, et même, c’est le contraire qui s’est produit. La libération de la Palestine concernait au premier chef les Palestiniens eux-mêmes, et aujourd’hui, nous les voyons se battre les uns contre les autres pour un pouvoir inutile. Les Arabes, Etats comme communautés, ont souligné l’importance de l’unité, de la solidarité et de la coopération pour faire face à l’ennemi, ennemi jamais nommé. Aujourd’hui, ils sont divisés en groupes et factions, à l’intérieur comme à l’extérieur, et se massacrent les uns les autres. Si toutes les décisions, ou même une partie d’entre elles, prises lors des sommets arabes, depuis Anshas jusque aujourd’hui, avaient été suivies d’effet, l’Europe, par exemple, n’aurait été qu’un vassal du « géant » arabe et l’Amérique n’aurait fait que courtiser les Arabes. Mais c’est tout le contraire : à mesure que nous parlions de solidarité arabe, plus la division, la haine et les combats se sont répandus. Il a été question d’un marché commun arabe avant même que l’Europe se mette d’accord sur le prix des tomates, premier pas vers son marché commun. Au final, ce qui unit les Arabes diminue à mesure que les jours passent.

Le sommet de Riyad sera-t-il différent des précédents? Augurera-t-il d’une nouvelle ère de l’histoire arabe, où les paroles et les actes seront en conformité les uns avec les autres? Les réactions des leaders arabes présents, et les photos de leurs sourires et de leurs accolades, portent à l’optimisme. Mais cela n’a-t-il pas toujours été le cas? Tous les sommets arabes se sont clos sur des discours qui parlaient de succès et d’accords sur tous les points, suivis de sourires et d’accolades. Mais une fois chacun rentré chez lui, la routine a repris et les discours et slogans de fraternité, unité et solidarité arabes ont été oubliés. L’on ne peut pas juger du succès du sommet de Riyad avant un certain laps de temps, avant que la situation se normalise dans le monde arabe. Je fais partie des optimistes sur le sommet de Riyad, mais un optimiste prudent. Néanmoins, cet optimisme n’est pas sans fondement, car certains éléments du sommet de Riyad donnent à penser qu’il a été différent des autres.

D’abord, ce sommet s’est tenu sous l’égide du roi Abdallah bin Abdoulaziz, un homme franc, comme il l’a montré à l’occasion de son discours d’ouverture. Il s’efforcera d’aboutir à quelque chose, autant qu’il en ait quelque contrôle. Nous ne disons pas qu’il est doté de pouvoirs magiques capables de renverser des situations du jour au lendemain, mais nous disons que c’est un homme honnête envers lui-même comme envers les autres, et qu’il souhaite vraiment faire quelque chose. Il peut réussir, ou pas, mais un effort fondé sur des bases fermes reste le secret d’un bon leadership. Nous souhaitons sa réussite. Et s’il ne réussit pas, cela constituera une expérience utile, tant que persistent sincérité et bonnes intentions. Un homme tel que le roi Abdallah est capable de faire bouger le monde arabe et de le lancer sur une nouvelle voie, tant vis-à-vis de lui-même que du reste du monde. Pour l’instant, c’est cela qui compte.

Ensuite, c’est la première fois dans l’histoire des sommets arabes que les déclarations finales comprennent des décisions bien définies et sans ambiguïté, qui ne soient ni destinées à la consommation interne ni simplement une rhétorique idéologique pour susciter des sentiments ou des appels à des projets majeurs avant que les mineurs ne soient réalisés. L’initiative de paix arabe, par exemple, s’écarte nettement du discours arabe traditionnel sur Israël et la question palestinienne. Il s’agit d’un discours réaliste qui soulève un problème et propose une solution plutôt qu’une condamnation ou une dénonciation.

Le problème qu’ont les Arabes avec Israël, c’est l’occupation. Le problème qu’a Israël avec les Arabes, c’est la sécurité. La solution est d’en finir avec l’occupation en échange de la paix, essence de l’initiative de paix arabe, projet sans équivoque et réaliste qui peut être accepté ou refusé. Loin d’Israël et de la Palestine, ce sommet, pour la première fois dans l’histoire, a adopté un type de discours qui a touché l’homme de la rue et évité les rêves qui n’ont jamais porté de fruit. Parler d’assurer la promotion des valeurs de tolérance, de créativité, des droits de l’homme et du rôle des femmes représente un discours nouveau pour les sommets de la Ligue arabe. C’est même, à cet égard, un saut qualitatif. Et, si l’ennemi a toujours raison, alors il n’y a pas meilleure preuve que la déclaration du parti Kadima d’Ehoud Olmert selon laquelle « la déclaration de Riyad reflète un changement révolutionnaire de la conception arabe du monde », comme l’a rapporté Asharq Al Awsat.

Le sommet de Riyad est l’acte de naissance d’une politique arabe réaliste, dont les précurseurs sont apparus dans les années 90. C’est pour cette raison que je suis optimiste, même si je le suis modérément. Car c’est la réapparition de la notion du temps dans cette région qui compte, une région qui, pendant longtemps, s’est opposée au temps. Espérons que cette absence de notion du temps ne réapparaîtra plus jamais.