Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Chers colons de Judée et de Samarie,
Le moment est venu pour nous de nous tourner vers vous avec une requête
douloureuse : renoncer au rêve que vous aves caressé pendant des années, et
revenir chez vous. Revenir chez vous de votre plein gré, et non parce que vous y êtes forcés. Revenir chez vous, en reconnaissant et en acceptant que c’est ce qu’il fallait faire. Vous serez accueillis à bras ouverts.
Depuis 35 ans que dure l’occupation des territoires, vous avez connu des périodes d’espoir et de prospérité, et des périodes de trouble et de chagrin, mais toujours, vous vous êtes placés à l’écart du reste de la communauté. Les colonies ont été une source de controverses depuis le jour où vous avez planté votre première tente. Vous n’avez jamais eu la bénédiction du public. Convaincus de votre bon droit, vous avez choisi de vous boucher les oreilles au moindre murmure de mécontentement.
Dans votre enthousiasme, votre foi, votre croyance tenace en la vision d’un Grand Israël, vous n’avez jamais regardé en arrière. Vous ignoriez les sceptiques. Vous méprisiez ceux qui étaient prêts à céder. Vous plaigniez les partisans du compromis. Tout en inondant le systeme politique d’exigences outrancières, vous réprimandiez les gens qui ne partageaient pas vos aspirations.
Même si le camp de la paix est meurtri et battu, et si le processus de paix est en ruines, vous ne pouvez pas célébrer votre victoire. Avec le conflit qui devait être résolu par les accords d’Oslo qui s’enflamme une fois de plus, nous giflant de haine et de sang ; avec des Palestiniens et des Israéliens qui meurent tous les jours dans un paroxysme de cruauté aveugle, leur mort ne faisant aucun bien à personne ; avec votre rêve de belles vues se transformant en un cauchemar fait de boucliers a l’épreuve des balles et de gilets pare-balles, il est difficile de tirer quelque joie que ce soit de la faiblesse de la gauche et du manque d’inspiration d’un gouvernement de droite. Vous avez lié les pieds et les poings de nos dirigeants, c’est là votre réussite majeure. Après tout, peut-être est-il vrai qu’on ne peut rien vous faire accepter contre votre gré.
Mais l’horloge de l’Histoire avance, et l’Etat d’Israël se débat dans un conflit insensé. Le temps est venu de procéder a un examen de conscience, comme vous n’en avez pas connu auparavant. Les sempiternels débats autour d’une résistance active ou passive à l’évacuation, ou de l’acceptation ou du rejet de la décision de la majorité, ne suffisent plus. Aujourd’hui, on vous demande davantage. Vous devez vous expliquer à vous-mêmes la direction que vous avez prise, embarquant en même temps l’Etat d’Israël. Depuis l’époque de Sebastia (premiere colonie « sauvage », ndt) c’est vous la locomotive qui tracte le train politique.
Le moment est venu de mettre de côté votre purisme, votre solipsisme, votre
absolue confiance en votre bon droit, et d’étudier les complexités avec davantage de largeur d’esprit. Le temps est venu de considérer sans complaisance les implications de vos actions.
Le Moyen-Orient tout entier doit remettre sa maison en ordre. Des régimes d’ombre ont besoin de lumière purificatrice, des mouvements fondamentalistes
doivent etre secoués un bon coup, les Palestiniens doivent rééaluer leurs
objectifs et leur glorification des shahids. Nous commençons à voir un peu de tout cela, mais nous n’avons pas le temps d’attendre que le processus prenne de l’ampleur.
Même la gauche, votre ennemi juré, a dû s’embarquer dans une période
d’auto-examen, et de nombreux membres de La Paix Maintenant ont placé un
point d’interrogation devant le mot « maintenant ». Mais même si la réconciliation est encore bien loin, on ne peut enlever à la gauche la logique de son approche : affronter la réalité et se préparer au compromis, à partir d’une position de force intérieure.
L’amère vérité est que nous n’avons aucun leader assez fort pour vous tenir tête. Toute la droite israélienne s’inspire de vous, et vous êtes les premiers à faire échouer tout plan de compromis politique. Les deux premiers ministres qui ont essayé de contourner les obstacles que vous aviez placés sur leur chemin en ont payé le prix, l’un de sa vie, et l’autre de la perte de son mandat. Votre pouvoir paralyse les gouvernements ; ils ne peuvent plus agir, meme pour réduire les pertes et sauver des vies. La peur de provoquer votre colère a rempli tous les premiers ministres israéliens, au point de les rendre incapables d’évacuer ne serait-ce qu’une seule caravane, alors qu’ils sont à la tête de la plus grande flotte de bulldozers du Moyen-Orient.
En conséquence, s’il doit y avoir un tournant, cela dépend de vous, qui êtes une communauté idéaliste, des gens instruits, les gardiens du sionisme, qui faites la différence entre l’éternité et l’instant, qui désapprouvez le cynisme politique, qui n’êtes pas matérialistes. En essayant d’être les Piliers de Feu, vous avez déclenché une terrible deflagration. Pourquoi ne pas être les Piliers du Nuage, qui conduirait le peuple vers la lumière du jour? Pourquoi ne pas être le plateau d’argent sur lequel l’Etat d’Israël sera offert aux générations suivantes?
Revenez chez vous. L’ecrivain Amos Oz vous a interpellés depuis la tribune de l’énorme manifestation pour la paix place Rabin, il y a un mois, mais son appel plein d’émotion ne semble pas vous avoir touchés. Nous sommes chez nous, avez-vous répondu avec défi. Nous n’avons nulle part ailleurs où retourner.
Reprenez un instant la definition du mot « chez soi ». Peut-etre arriverez-vous à la conclusion que « chez soi » se trouve là où est le consensus, pas dans les champs rocailleux de la controverse. Soyez assurés que, quand vous laisserez derrière vous ce « chez vous » et que vous direz adieu à ce grand rêve qui ne se realisera jamais, nous vous serrerons dans nos bras avec chaleur et estime. Vous trouverez tres vite d’autres missions nobles et vitales à accomplir. Quand vous reviendrez, la plaie ouverte qui épuisait les forces de l’Etat d’israël pendant toutes ces années guérira très vite.
Une société israélienne réunifiée peut faire la paix avec ses voisins à partir d’une position de légitimité, la tête et le coeur au clair. La force morale s’ensuivra : celui qui, de son plein gré, renonce à son rêve, a le droit d’exiger de l’autre côté qu’il renonce lui aussi à ses rêves inatteignables.
La clef de la paix pour l’Etat d’Israël est entre vos mains. Vous etes assis dessus. Levez-vous, et servez-vous en.