Une nouvelle méga-colonie signerait l’arrêt de mort d’un futur État palestinien viable. Mais avec le silence honteux des partisans de la paix et des deux États au sein du gouvernement de coalition, Biden et Blinken constituent le seul espoir d’arrêter ce plan.
Traduction : Bernard Bohbot
Auteur : Hagit Ofran pour Haaretz, 5 décembre 2021
Photo : Le mur de séparation controversé et les engins de construction à l’oeuvre sur le tarmac de l’ex-aéroport Atarot près de Qalandyia, entre Ramallah et le quartier annexé de Jérusalem Est. © AHMAD GHARABLI – AFP.
Mis en ligne le 29 décembre 2021
L’histoire de cette nouvelle colonie israélienne est presque trop invraisemblable et fantaisiste pour être crédible.
Ce qui est prévu pour le quartier palestinien de Qalandiya (« Atarot » en langage israélien officiel), au nord de Jérusalem, est une nouvelle colonie de la taille d’une ville entière. Il s’agirait d’une enclave entourée d’un continuum urbain palestinien dense et détachée de toute colonie israélienne existante. Son attribut le plus délirant est peut-être qu’elle pourrait bientôt être établie par un gouvernement israélien qui fonde sa décision sur le maintien de ce qu’il appelle le « statu quo » en matière de colonisation.
Ces dernières années, le ministère israélien du logement a préparé un plan pour 9 000 unités de logement dans la zone de l’ancien aéroport d’Atarot, mais selon les rapports, le gouvernement de Netanyahu ne l’a pas fait avancer en raison des pressions américaines. Ce plan est considéré comme mortel pour la perspective d’un accord de paix à deux États, car il interrompt la continuité territoriale palestinienne dans la métropole du futur État palestinien, entre Ramallah et Jérusalem-Est. Même selon le plan Trump, lui-même loin de promouvoir une réelle solution à deux États, la région d’Atarot devait faire partie d’une future entité palestinienne.
Ce lundi, le comité de planification et de construction du district, qui relève du gouvernement central, devrait discuter de la première étape de la procédure de planification, appelée dépôt. La procédure de planification est un peu comme une boule de neige. Une fois que vous commencez à promouvoir le plan, il prend vie, la bureaucratie se met en marche, des attentes économiques et juridiques sont créées, et il devient de plus en plus difficile de l’arrêter.
Si vous voulez arrêter le plan, vous devez le faire maintenant, avant qu’il ne commence le processus de planification. Il suffit pour cela de reporter l’audition au comité de district à une date inconnue, pour un coût politique dérisoire. En revanche, après le début du processus de planification, les choses deviennent beaucoup plus compliquées, difficiles et politiquement coûteuses.
Alors comment se fait-il que le gouvernement de coalition actuel ose faire ce que même le gouvernement « à droite toutes » de Netanyahou n’a pas osé faire ?
Le gouvernement Bennett a été formé sur la base d’un consensus selon lequel il n’existe pas de consensus sur la question des colonies et des territoires occupés. Il a compris que le gouvernement n’apporterait ni des changements profonds susceptibles d’exclure la possibilité d’une paix future, ni des changements profonds susceptibles de favoriser une paix future. C’est ce qu’on appelle le maintien du « statu quo » en matière de colonisation.
Pour apaiser les inquiétudes des États-Unis, Israël déclare que le nouveau quartier de Jérusalem ne sera pas approuvé avant un an. Israël avance des milliers d’unités de logement à Jérusalem-Est alors que Biden reste silencieux. Les partisans d’une solution à deux États au sein du gouvernement interprètent cet accord comme une exemption générale les autorisant à ne pas assumer leurs responsabilités en ce qui concerne la politique du gouvernement dans les territoires : « Il n’y a de toute façon aucune chance de parvenir à un accord, donc il est inutile d’en parler« . Ils ne cherchent même pas à organiser une consultation ou un forum ministériel pour remettre en question les politiques dans les territoires occupés. Leur point de vue est le suivant : si nous ne parlons pas de quelque chose, cela n’arrivera pas.
Les ministres de droite (et avec eux également le ministre de la Défense supposé centriste Benny Gantz) n’en parlent pas non plus. Ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour renforcer le contrôle israélien sur les territoires, et ne prennent même pas la peine de collaborer avec des partenaires pro-paix au sein du gouvernement.
Ce fut le cas lorsque des colons ont établi l’avant-poste d’Evyatar, et que le ministre de la Défense, en échange de leur « consentement » à évacuer, a envoyé des soldats de Tsahal occuper un poste militaire qui n’avait aucune logique de sécurité derrière lui et dont l’établissement avait déjà entraîné la mort de sept civils palestiniens lors de manifestations quotidiennes contre cet avant-poste.
C’est le cas lorsqu’un fonctionnaire anonyme de l’administration civile a fixé une date pour tenir une discussion sur les objections au plan de colonisation dans la zone E1 à l’extérieur de Jérusalem, considérée comme une ligne rouge politique à laquelle le monde, y compris les Américains, s’oppose fermement.
Des Palestiniens attendent de franchir le poste de contrôle de Qalandiya, entre la ville de Ramallah, en Cisjordanie, et Jérusalem, alors qu’ils se dirigent vers l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa pour les premières prières du vendredi du Ramadan. Et voici ce qui se passe maintenant lorsque le ministre du Logement décide de lâcher une bombe politique et de promouvoir le plan de la nouvelle colonie de Qalandiya.
Le ministre israélien du Logement a le pouvoir de promouvoir des plans de logement et de lancer des appels d’offres pour la construction, et il n’a pas besoin de l’approbation officielle du gouvernement. Dans tous les gouvernements précédents, la pratique était que, dans les questions politiquement très sensibles, telles que la promotion massive des colonies ou la construction dans des zones très controversées, les décisions n’étaient prises qu’en coordination avec le Premier ministre et/ou un forum de ministres de premier plan.
Mais le gouvernement actuel ne s’occupe pas des questions politiques controversées, ce qui signifie que chaque ministre peut faire ce qu’il veut. Ils ont carte blanche, quel que soit le caractère explosif de l’enjeu dont il est question.
Les partisans de la paix au sein de la coalition gouvernementale israélienne ont eu suffisamment de temps pour comprendre que quelque chose ne tourne pas rond. Il est impossible de mettre de côté les questions de l’occupation et de la colonisation sous la rubrique du « statu quo » et d’éviter de s’en occuper. Ils ne peuvent pas laisser la droite et Gantz déterminer seuls la politique du gouvernement concernant la question la plus cruciale pour notre avenir.
On peut comprendre la crainte que les partisans de la création de deux États se lancent dans une polémique, qu’ils critiquent inévitablement la politique du gouvernement, voire qu’ils déclenchent sa dissolution. Mais il faut au moins dire quelque chose, poser des exigences, poser des gestes.
Selon l’ordre du jour de la commission, il reste un jour pour arrêter le plan à Qalandiya/Atarot. Il se peut que le secrétaire d’État américain Anthony Blinken intervienne pour faire échouer le processus. Si les partis « pro-paix » au pouvoir continuent d’agir comme les trois singes, n’entendant pas, ne voyant pas et ne disant rien, la destruction de toute chance de paix sera fait avec l’assistance du Meretz, le Parti travailliste, Yesh Atid, Kachol Lavan et la Liste arabe unie.