Shaul Arieli rappelle ici à Bennett un des principes clés figurant dans la Déclaration Balfour, à savoir que « rien ne soit fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non-juives en Terre d’Israël » lors de la création du foyer du peuple juif en Palestine. Oublier cela amènerait « à conclure « qu’une solution à deux États n’est plus possible, et à proposer d’autres solutions inapplicables. »
Traduction : Bernard Bohbot pour LPM
Auteur : Shaul Arieli, Haaretz, 28.10.2021
https://www.haaretz.co.il/opinions/.premium-1.10334238
Mis en ligne le 14 novembre 2021
Rien ne vaut la Déclaration Balfour, dont on célèbre cette semaine le 104e anniversaire de sa remise à Lord Rothschild par le ministre britannique des Affaires étrangères, pour souligner à quel point la politique du Premier ministre Naftali Bennett concernant le conflit israélo-palestinien s’écarte de l’engagement historique pris par le mouvement sioniste.
Les déclarations de ses porte-parole et proches selon lesquelles « il n’y a pas de processus politique avec les Palestiniens et il n’y en aura pas », ce qui signifie la poursuite de l’occupation et l’annexion rampante, indiquent un changement dans la vision sioniste, et la préférence du Grand Israël à la démocratie et l’identité juive de l’État d’Israël – qui sont les trois piliers du sionisme. Cette politique induit en erreur de nombreuses personnes de qualité, comme Joel Singer et Manny Mautner (Haaretz, 22 octobre), et les amène à la conclusion qu’une solution à deux États n’est plus possible, et à proposer d’autres solutions inapplicables (« Confederation is a Disaster », Haaretz, 2 juillet 2019).
Le gouvernement britannique a bien approuvé « l’établissement d’un foyer national pour le peuple juif en Terre d’Israël« , et s’est engagé dans une déclaration à s’efforcer « de faciliter la réalisation de cet objectif » ; mais il a aussi explicitement déclaré que cela était sujet « à une condition claire que rien ne soit fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non-juives en Terre d’Israël ». En d’autres termes, il soutiendra la création d’un État pour le peuple juif en Palestine-Israël mandataire – tout en n’appliquant pas le principe d’auto-détermination sur la Palestine – à condition que celui-ci maintienne une égalité civile et religieuse totale. La déclaration Balfour, qui constitue la base juridique de la revendication sioniste, a été incluse dans le mandat en 1920 et ratifiée par la Société des Nations en 1922, qui a réitéré que l’engagement d’établir un État pour le peuple juif est donné « tout en préservant les droits civils et religieux de tous les résidents de la Palestine, sans distinction de race ou de religion« .
Cet accord global était clair et acceptable pour les membres de la direction sioniste. Ainsi, lorsqu’ils ont dû trancher entre les trois piliers du sionisme, ils ont toujours préféré une démocratie à identité juive, fondée sur une majorité juive, sur l’ensemble de la Terre d’Israël. Telle fut la réponse du mouvement sioniste à la proposition de la Commission Peel en 1937, au plan de partage de 1947 et aux accords d’armistice en 1949. Même après la création de l’État, comme Menachem Begin l’a déclaré en 1972 : « Le sionisme […] Ce sont ses fondements : sur la terre d’Israël, dont notre droit sur cette terre ne peut être contesté, il y aura une majorité juive, une minorité arabe, et des droits égaux pour tous« . Et il poursuit en promettant : « Nous n’avons pas dérogé, ni dévié, de cette Torah… sur laquelle repose la justice de notre cause« .
Le refus de Bennett de mener un processus politique avec les Palestiniens, et son maintien de la poursuite de la construction et du développement des colonies, sont en fait une déclaration officielle d’un régime discriminatoire de l’Etat d’Israël, qui accorde des droits en fonction de l’origine nationale, et prive une partie des habitants de la terre. Un tel régime est en contradiction avec la Déclaration Balfour et l’engagement pris par le mouvement sioniste (ainsi que par la Déclaration d’indépendance). Cela a été clairement énoncé il y a quatre ans par Jonathan Allen, l’ambassadeur adjoint britannique auprès des Nations unies, dans son discours marquant le 100e anniversaire de la déclaration Balfour : « Rappelons-nous que la déclaration comportait deux parties, la seconde n’a pas été remplie« .
Les choses ne sont pas nouvelles. Lorsque Bennett a lancé l' »Initiative de stabilité » du parti le Foyer juif en 2012, qui comprenait l’annexion de la zone C en Cisjordanie, il a fait valoir qu’il s’agissait de la solution privilégiée parce que l’annexion de la Cisjordanie dans son ensemble, tout comme la solution à deux États, « n’est pas réalisable, et les deux mettent en péril l’avenir d’Israël pour des raisons sécuritaires, démographiques et morales ». Afin de maintenir la priorité sioniste – un État démocratique à majorité juive – dans sa proposition de l’époque, il avait pris soin d’assurer la pleine « citoyenneté » à 50 000 Palestiniens vivant dans les territoires annexés, sinon « cela invaliderait complètement l’argument de l’apartheid« .
Malheureusement pour Bennett, Ayelet Shaked, Bezalel Smotrich et leurs amis, et heureusement pour l’État d’Israël, les manœuvres d’annexion qui reposaient sur l’hypothèse que l’administration de Donald Trump les soutiendrait ne se sont pas concrétisées. L’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis a écarté la possibilité d’une annexion officielle. En l’absence d’une telle option, Bennett qui s’oppose à la solution à deux États, a de nouveau choisi de perpétuer l’annexion rampante et le régime discriminatoire, car il croit toujours, comme il l’a mentionné à propos de l’annexion de la zone C, que même si « le monde ne reconnaîtra pas notre souveraineté… ce n’est pas trop grave. Il s’y habituera au fil des ans« . Autrement dit, le monde, selon Bennett, continuera à accepter pour toujours l’impasse politique, l’occupation et le régime discriminatoire.
En l’absence de la possibilité d’annexer des parties de la Cisjordanie sans l’annexion complète de tous ses habitants, la politique de Bennett conduirait Israël à un État binational à majorité arabe et briserait la vision sioniste. La seule alternative possible est une solution à deux États pour les deux peuples, basée sur les résolutions 242 et 338 de l’ONU, et sur les paramètres définis dans les négociations entre Israël et l’OLP à Annapolis, en 2008.
Le grand défi auquel est confrontée la société israélienne à cet égard est la capacité à intérioriser le fait que la politique d’annexion rampante s’accompagne délibérément d’un effort visant à créer une image déformée de la réalité en ce qui concerne l’impact des colonies sur la solution à deux États. Cette image a été adoptée par la majorité du public israélien, y compris ceux qui soutiennent la solution des deux États et comprennent qu’il s’agit de la solution privilégiée pour garantir que l’État d’Israël soit démocratique, sûr, avec une majorité juive au sein de la famille des nations.
Singer et Mautner sont également tombés dans ce piège de la tromperie, qui les a conduits à recommander une solution confédérée. Comme d’autres, ils fondent leurs affirmations sur une série d’hypothèses et de données erronées. S’ils les avaient examinées à l’aide des données officielles de la CBS et d’une simple carte, ils se seraient évité et auraient évité aux lecteurs la poursuite de cette supercherie – qui sert la politique de Bennett.
Selon eux, « le nombre de colons (hors Jérusalem-Est) est passé à plus de 500.000« . Mais selon un chiffre officiel de CBS, au début de 2021, 451 257 Israéliens vivaient en Judée et Samarie. Ils affirment qu' »après les accords d’Oslo, les colonies ont été dispersées dans toute la Judée et la Samarie, y compris à proximité et même au sein des lieux où la population arabe est concentrée« . En réalité, depuis les accords d’Oslo, et même avant, depuis que le gouvernement Rabin a pris une décision en 1992 interdisant la construction de nouvelles colonies, une seule nouvelle colonie a été établie : Amichai (208 habitants), pour les évacués d’Amona , selon la décision du gouvernement Netanyahu en 2016.
S’il s’agit des dizaines d’avant-postes illégaux qui ont été construits, alors ceux-ci – dont la moitié se trouve près de la route 60 et l’autre moitié dans les zones de colonisation existantes – n’ont aucun effet sur l’équilibre démographique et le contrôle spatial. Les avant-postes importants ont été légalisés par les gouvernements Netanyahu en tant que quartiers dans les colonies – à l’exception de trois qui ont été reconnus comme des localités: Rachelim, Sansana et Baruchin, où vivent moins de 3 000 personnes.
En fait, toutes les colonies de Cisjordanie ont été établies près des concentrations de population palestinienne, à l’exception de la vallée du Jourdain et du nord de la mer Morte (où vivent moins de 7 000 Israéliens), mais cela ne s’est pas produit après Oslo, mais à partir de la fin des années 1970, avec l’approbation du plan Ariel Sharon du gouvernement Begin en octobre 1977, et du programme Matti Drobles de la Division des colonies en 1979. À l’exception de la communauté juive d’Hébron, qui compte moins de mille personnes et se trouve au milieu d’une ville d’un quart de million de Palestiniens, aucune colonie n’a été construite au sein des communautés palestiniennes. L’effet des colonies situées à l’arrière de la montagne, où le rapport démographique entre Israéliens et Palestiniens est de 1:30, n’a aucun impact sur la continuité territoriale palestinienne.
Contrairement à ce qu’affirment Mautner et Singer, 73% des Israéliens vivant de l’autre côté de la ligne verte (y compris Jérusalem-Est) vivent dans des localités situées à cinq kilomètres au maximum de la ligne verte et la plupart d’entre eux vivent de manière adjacente à la ligne verte. S’ils examinaient les données CBS de l’année dernière, qui poursuivent une tendance de plus de 20 ans, ils constateraient qu’il existe un solde migratoire négatif dans la région de Judée et Samarie ; et que la croissance annuelle repose entièrement sur l’accroissement naturel, dont plus de la moitié a lieu dans deux villes ultra-orthodoxes seulement, Modi’in Illit et Beitar Illit, qui jouxtent la ligne verte. Autrement dit, même si Israël insiste pour poursuivre la politique de Netanyahou, qui consiste à construire dans les petites colonies isolées et à paver un ensemble de routes de contournement, le tout coûtant des dizaines de milliards, la proportion des ultra-orthodoxes des deux villes ultra-orthodoxes dans la population des colons augmentera, de même que le poids des localités adjacentes à la ligne verte dans l’ensemble de la population de Judée et de Samarie.
Troisièmement, Mautner et Singer confondent l’initiative Trump, lancée en janvier 2020, soutenue par Netanyahu et rejetée par le monde entier, avec la ligne frontalière proposée par Israël à Taba en 2001, à l’initiative de Genève en 2003, à Annapolis en 2008, et enfin par le « Mouvement des commandants pour la sécurité d’Israël » en 2017.
Selon l’initiative de Trump, une frontière alambiquée et peu pratique de 1 800 km a été créée, tout en « créant une série d’îles extraterritoriales israéliennes et palestiniennes« , comme l’ont écrit les deux auteurs ; mais selon la ligne frontalière proposée par les quatre plans de paix mentionnés ci-dessus, il s’agit d’une extension raisonnable, sans aucune enclave du côté israélien ou palestinien, tout en maintenant la continuité territoriale des deux parties, sans nuire à leur tissu social.
Il y a toutefois trois enjeux sur lesquels Mautner et Singer ont raison : Israël a effectivement augmenté le nombre d’Israéliens qui devront être réintégrés dans la ligne verte, de 19 000 en 1993 à plus de 100 000 aujourd’hui. Cependant, des recherches menées par diverses organisations (comme le mouvement « Commandants pour la sécurité d’Israël ») ont montré qu’il est possible d’apporter une réponse de haut niveau à leur absorption en Israël en termes d’emploi et de logement. Comme ils le prétendent, dans certains endroits, des solutions confédérales seront effectivement nécessaires, comme dans le bassin historique de Jérusalem. Mais ces solutions sont connues et ont déjà été proposées lors des cycles de négociations entre les parties. Ils ont également raison de dire que « l’établissement d’un État binational sera un acte de folie », car il s’agira bien d’un État dans lequel la guerre civile sera permanente.
Si tel est le cas, le plus grand défi auquel est confrontée la société israélienne est d’ajouter à la faisabilité physico-spatiale de la solution à deux États, qui existe entièrement en Cisjordanie et à Gaza, un scénario d’échange de territoires à hauteur de 4 %, dont la faisabilité politique est tant attendue. Sans elle, il ne sera impossible de réaliser que la solution à deux États est viable. L’adoption de la politique de Bennett et du masque de la tromperie et du mensonge signifie que l’on renonce à la possibilité de remettre Israël sur les rails et de faire respecter la vision sioniste – que constitue la solution à deux États. Cette solution laissera Israël fidèle à la Déclaration Balfour, au Mandat et au Plan de partage, qui constituent la base politique légale et morale de la création de l’État d’Israël et sa pérennité.