Cette expression, que Lénine a rendue populaire en 1904 semble, au premier regard, convenir pour caractériser la politique du gouvernement israélien à l’égard des Palestiniens.
Certes, on savait, compte-tenu de la composition du gouvernement et de son impérieuse nécessité de concilier les contraires, qu’il ne pourrait y avoir d’avancée significative quant à la reprise de négociations israélo-palestiniennes. Mais cela ne signifiait pas pour autant que rien -ou peu- ne serait entrepris au niveau du quotidien des Palestiniens. C’est effectivement ce qui s’est passé et, en l’espace de quatre mois, toute une série de mesures ont été prises.
C’est ainsi que fin juillet 2021 était annoncé l’octroi de 16 000 permis de travail supplémentaires, 15 000 à des Palestiniens travaillant dans le secteur de la construction, et 1000 dans le secteur hôtelier. Au total, ce sont quelque 106 000 Palestiniens qui sont autorisés à travailler en Israël, et 30 000 autres dans les colonies en Cisjordanie.
Malgré sa situation particulière, Gaza ne restait pas hors circuit et, le 20 octobre, dans un communiqué, le Cogat, l’organe du ministère israélien de la Défense qui supervise les activités civiles dans les Territoires palestiniens, annonçait que « le quota de commerçants de Gaza autorisés à transiter par le passage d’Erez [serait] augmenté de 3 000 » pour atteindre un total de 10 000. Le 19 octobre, le même Cogat annonçait, une première depuis 2009, que « …1200 demandes, émanant de résidents palestiniens vivant en Judée-Samarie depuis de nombreuses années mais qui n’étaient pas enregistrés dans le registre de la population palestinienne, ont été approuvées… » et que 2 800 Palestiniens originaires de la bande de Gaza et ayant gagné la Cisjordanie avant 2007 pourraient effectuer un changement d’adresse.
Autre innovation, en matière de construction de logements cette fois, l’approbation le 27 octobre des plans de 1 300 logements dans les villes et villages palestiniens de la zone C, la section de la Cisjordanie entièrement sous contrôle civil et sécuritaire israélien. Il s’agit du plus grand nombre d’habitations qu’Israël a promues pour les Palestiniens depuis plus d’une décennie.
Ces diverses mesures vont sans conteste dans le bon sens même si on ne partage pas le background idéologique qui les sous-tend : refus affirmé de N. Bennett et des composantes de droite du « gouvernement du changement » de progresser sur le chemin d’une solution politique au conflit, opposition maintes fois réitérée à la création d’un Etat palestinien et, en même temps, volonté de développer les opportunités économiques aux Palestiniens.
En un mot, « rien -ou peu- au politique, tout -et peut-être pas assez- à l’économique ».
Mais ces avancées sont contrebalancées par d’autres mesures dont l’impact symbolique et médiatique est considérable. Le 27 octobre dernier, le comité de planification de l’Administration civile a donné un feu vert définitif à 1800 logements et approuvé encore 1344 autres constructions. A ces quelque 3100 logements viennent s’ajouter les 1355 annoncés quelques jours auparavant sachant que, par ailleurs, le ministère du Logement a déclaré qu’il prévoyait de doubler la population juive dans la vallée du Jourdain d’ici 2026 et qu’il annoncerait prochainement la création de 1 500 logements dans la région.
Certes, on sait par expérience qu’entre les constructions annoncées, les constructions autorisées et celles qui seront effectivement réalisées, il y a une déperdition en ligne. Les doubles comptabilisations sont fréquentes et, au final, la réalité sur le terrain est toujours plus réduite que l’annonce dans les médias. Mais cette réalité reste d’une ampleur incontestable et dommageable. Le message est clair, le gouvernement actuel comme le précédent ne revient pas sur le principe de l’élargissement des implantations et ne remet pas en cause leur légitimité même s’il est disposé à le contenir quelque peu.
Autre annonce qui vient parasiter les mesures visant à donner une image d’ouverture à l’égard des Palestiniens, la décision -malencontreuse pour le moins- de coucher sur la liste des organisations terroristes, six ONG dont certaines sont pourtant anciennes et bien considérées au plan international. Pour l’instant, le seul effet de cette annonce est le bruit médiatique qu’elle a suscité et l’hostilité à l’encontre d’Israël qu’elle a générée. Aucune arrestation n’a été opérée, aucun bureau n’a été fermé… Nous aurons l’occasion de revenir sur cette affaire mais il est évident à ce stade que le mode opératoire n’a pas été le bon, même au cas où des preuves évidentes du bien-fondé éventuel de cette décision seraient apportées ultérieurement s’agissant de certaines de ces ONG.
Alors que la violence des colons à l’encontre des Palestiniens redouble d’intensité en cette période de cueillette des olives, face à des forces de l’ordre dont la passivité reste le trait dominant, la nécessité du travail et de la présence sur le terrain de ces ONG reste flagrante, une fois bien entendu qu’une « remise aux normes » aura été opérée si le besoin en est avéré.
A l’approche de la date butoir du 14 novembre pour l’adoption du budget, qui le sera sans doute probablement dans les tout prochains jours, ces décisions ne font qu’exacerber les tensions internes plutôt que d’améliorer la flottabilité d’un navire dont on ne sait s’il parviendra à bon port.
Les contraintes qui pèsent sur ce gouvernement sont évidentes et colossales. Il n’en demeure pas moins que chacun doit faire son travail. Au gouvernement de gouverner et notamment aux « partis de gauche » de faire le maximum pour que le statu quo convenu quant au dossier israélo-palestinien soit respecté. Aux ONG et à la société civile de se mobiliser pour dire haut et fort ce qui ne va pas, d’exercer leur droit et devoir de critique. Cette mobilisation externe ne pourra que renforcer ceux des partis de la coalition qui, en interne, se battent pour que le « changement » dont est porteur ce gouvernement se concrétise également dans le domaine des relations entre Israéliens et Palestiniens : il reste essentiel au devenir des sociétés israélienne et palestinienne.
Nous avons été aux côtés de ces ONG, et en particulier de Shalom Akhshav, avant l’entrée en fonction du gouvernement changement. Nous le restons, avec votre aide, aujourd’hui encore, tant leur action demeure importante aux plans politique et éthique.