Auteur : Peace Now – 12 octobre 2020

https://peacenow.org.il/en/settlement-under-the-guise-of-tourism-the-elad-settler-organization-in-silwan

Mis en ligne le 20 octobre 2020


Elad, également connue sous le nom de Fondation Ir David, est une organisation qui oeuvre à la colonisation des quartiers palestiniens de Jérusalem-Est, au développement du tourisme et de l’archéologie, ainsi qu’au « renforcement du lien juif avec Jérusalem ». Cette association est l’une des plus fortes et des plus riches d’Israël (en 2018, son chiffre d’affaires opérationnel était de 116 millions de NIS et ses actifs étaient évalués à 372 millions de NIS). L’État d’Israël a accordé à Elad la licence d’exploitation de l’un des sites les plus importants sur le plan national et religieux et les plus sensibles sur le plan politique : le site archéologique de la Cité de David, qui se trouve dans le quartier palestinien de Silwan, près du Mont du Temple et de la mosquée Al-Aqsa.

« Nous sommes une fondation dont les objectifs sont de loger des familles juives dans la Cité de David. Ce sont les objectifs déclarés de la fondation auprès du Registre des associations pour lesquels nous recevons des dons. C’est une partie essentielle des objectifs de la fondation« , a déclaré le PDG et fondateur de l’association, David Be’eri, au tribunal dans le cadre d’une des poursuites engagées par Elad contre un résident palestinien de Silwan.

Cf.https://peacenow.org.il/en/the-court-ordered-the-eviction-of-an-elderly-man-from-his-home-in-wadi-hilweh-in-silwan-in-favor-of-elad-settlers

Comment les colons arrivent-ils au cœur d’un quartier palestinien ?

Au début du processus, c’est le gouvernement qui a aidé Elad à acquérir des propriétés. Un mécanisme gouvernemental a été mis en place à la fin des années 1980 visant à transférer les propriétés de Jérusalem-Est des Palestiniens aux colons. Ce mécanisme a été fondé sous la direction du ministre du logement de l’époque, Ariel Sharon. Des dizaines de propriétés ont ainsi été transférées aux organisations Elad et Ateret Cohanim sans enchères et en violation des règles de « bonne administration ». Des millions de shekels ont été remis à ces organisations qui ont ensuite créé des sociétés (dont elles étaient propriétaires) qui ont facturé à l’État des « frais de gestion » et des frais de gestion de projet pour les « services » fournis aux organisations. Ces organisations ont ensuite utilisé les pouvoirs du « Gardien des biens des propriétaires absents » comme un outil pour déclarer ces biens comme étant ceux de propriétaires absents et en réclamer la possession.

Lorsque le gouvernement Rabin a été formé en 1992, il a mis en place une commission d’enquête, le Comité Klugman, pour examiner l’aide gouvernementale fournie aux associations de colons à Jérusalem-Est. Le rapport de la commission a révélé des conclusions très alarmantes sur la conduite des fonctionnaires du gouvernement dans le transfert des propriétés aux organisations. À la suite du rapport Klugman, l’activité du mécanisme gouvernemental a été interrompue et la ligne (budgétaire) directe d’assistance du gouvernement à Elad a été réduite. Cependant, Elad était déjà en possession de dizaines de propriétés qui ont servi de base au développement de colonies à Silwan et au-delà.

Pour plus d’informations sur le rapport Klugman, cf. https://peacenow.org.il/en/the-klugman-report

À Silwan, la loi sur les biens des propriétaires absents a été utilisée pour prendre le contrôle de maisons palestiniennes. Cette loi, promulguée en 1950, stipule qu’une personne qui quitte Israël pour un pays arabe est considérée comme « absente » et permet à l’État de saisir ses biens. Elad, en collaboration avec le Fonds national juif (JNF, le Keren Kayemet Leyisrael-KKL), a commencé à déclarer les propriétés de Silwan comme propriétés des propriétaires absents, qui leur ont ensuite été données par le Gardien des biens des absents (par l’intermédiaire du JNF ou d’Amidar, une société de logement appartenant à l’État). Les familles palestiniennes vivant dans ces maisons se sont trouvées confrontées à des procès d’éviction et à de longues et coûteuses procédures judiciaires dans lesquelles elles devaient prouver qu’elles n’étaient pas absentes, mais qu’elles étaient les propriétaires légales de la propriété.

Tel a été le sort de la famille Sumarin qui, pendant 30 ans, a lutté pour rester dans sa maison tout en se battant contre les poursuites judiciaires intentées contre elle par JNF au nom des colons d’Elad.

Cf.https://peacenow.org.il/en/following-kkl-jnf-suit-court-orders-sumarin-family-to-evacuate-their-home-in-silwan

Pour plus d’informations sur l’utilisation de la loi sur les biens des absents, voir le rapport « Annex and Dispossess » de Peace Now: https://peacenow.org.il/en/annex-and-dispossess

Il y a également eu environ 25 dunams achetés par le baron Rothschild à Silwan avant 1948 qui ont été donnés au Fonds national juif (KKL-JNF). Le KKL-JNF a ensuite donné ces terres (y compris les quelques maisons qui y ont été construites) à Elad dans les 1990 à des fins touristiques et résidentielles.

Après les années 90, la principale méthode d’acquisition par Elad de propriétés dans le quartier palestinien a consisté à profiter des difficultés et de la pauvreté des familles palestiniennes pour conclure des marchés avec elles. Convaincre les Palestiniens de vendre des propriétés à des Israéliens dans un endroit au cœur du conflit nécessite manipulation, exploitation, pression et beaucoup d’argent. Tout ce dont Elad a besoin, c’est d’une signature de consentement (parfois d’une personne qui n’est même pas propriétaire de la propriété en question), et la balle est dans leur camp, exactement là où ils sont le plus à l’aise : dans l’arène juridique. Cf. https://peacenow.org.il/en/a-settlement-under-the-guise-of-a-cafe-in-jerusalemhttps://peacenow.org.il/en/a-settlement-under-the-guise-of-a-cafe-in-jerusalem

Et une fois qu’Elad arrive dans la salle d’audience, ce n’est plus un jeu équitable : les forts et les puissants s’opposent aux faibles et aux privés de leurs droits.

Les transactions ne se font presque jamais directement entre les propriétaires terriens et les résidents palestiniens. Il y a toujours des hommes de paille palestiniens qui facilitent le processus de paperasserie et de signatures. Cela crée des possibilités de manipulation et de falsification dont Elad peut prétendre ne pas avoir connaissance. Il peut ensuite signer sur la ligne pointillée avec une conscience soi-disant propre. Plus tard, au tribunal, la famille palestinienne commencera à être désavantagée, devant prouver qu’il y a eu falsification au départ.

Par exemple, certaines propriétés à Silwan ont plusieurs propriétaires, héritiers du propriétaire d’origine. Elad cherchera un maillon faible parmi eux – quelqu’un qui vit à l’étranger et qui a un lien plus ténu avec le combat national, quelqu’un qui se trouve dans des circonstances particulièrement difficiles, qui lutte contre la toxicomanie par exemple, qui a un casier judiciaire, etc. Elad incitera cette personne à vendre sa part de propriété en lui offrant une grosse somme d’argent. Ensuite, Elad intentera une action en expulsion devant le tribunal. Parfois, Elad prétend que la personne a vendu la totalité de la propriété. Si la famille persévère dans la longue et coûteuse bataille juridique et parvient à prouver qu’elle n’a pas vendu la propriété, et que Elad n’en a acheté qu’une partie à l’un des propriétaires, Elad intentera une autre action en justice pour diviser la propriété et réclamer sa part (et parfois aussi s’assurer que le Gardien des biens des absents se joindra à l’affaire pour prendre la part des héritiers qui se trouvent vivre dans les pays arabes afin d’acheter plus tard la part du Gardien).

Cf.https://peacenow.org.il/en/after-24-year-legal-battle-court-permits-settler-takeover-of-siyam-family-home-in-silwan

Tout au long de ce processus, la famille palestinienne doit engager des avocats, se doter d’experts et dépenser des centaines de milliers de shekels au tribunal pendant plusieurs années pour tenter de lutter contre une fondation qui est prête à faire tout ce qu’il faut – des appels de décisions aux demandes interminables – pour obtenir ce qu’elle veut.

Afin d’augmenter la pression de vente, Elad va également exiger des « frais d’utilisation » – des centaines de milliers de shekels facturés pour l’utilisation par la famille de la propriété qu’Elad prétend avoir achetée. Lorsque la famille, déboutée lors d’une procédure au tribunal, a épuisé ses fonds, Elad augmente la pression et fait des offres alléchantes : « Vous allez perdre de toute façon, vous devrez payer des dizaines de milliers de shekels en frais de justice et des centaines de milliers de plus en frais d’utilisation – passez plutôt un accord avec nous. »

Lisez ici l’expérience de la famille Siyam pour avoir un exemple de la manière dont ce processus se déroule:https://peacenow.org.il/en/the-court-ruled-on-the-evacuation-of-a-palestinian-family-in-silwan

Les organisations d’aide juridique et l’Autorité palestinienne aident certaines des familles, mais elles sont confrontées à un lourd fardeau et, souvent, l’aide n’est pas suffisante pour résister à l’acharnement des avocats d’Elad.

La sécurité privée aux dépens de l’État

Le budget du ministère du logement comprend une section intitulée « Sécurité de Jérusalem-Est » qui est destinée à financer des sociétés de sécurité privées pour la protection des complexes résidentiels de colons dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est. Ces dernières années, le budget annuel de la sécurité de Jérusalem-Est s’est élevé à près de 100 millions de NIS (ce montant équivaut à une dépense de 3 000 NIS par mois pour chaque colon vivant dans ces complexes d’habitation). Elad reçoit une partie de ce budget, bénéficiant de gardes de sécurité aux frais de l’État. Ces gardes occupent des postes permanents dans les maisons des colons et accompagnent les enfants de leur maison jusqu’au transport. En plus de la sécurité payée par l’État, Elad recourt également, à ses propres frais, à des agents de sécurité qui s’engagent dans différentes activités de sécurité, y compris la surveillance des résidents palestiniens. Par exemple, un des résidents de Silwan (qui est également un leader de la communauté qui a aidé les résidents à résister aux pressions d’Elad) a été accusé d’agression. Pendant le procès, les agents de sécurité d’Elad ont surveillé le résident et ont pris des photos de sa maison en essayant – ce qui a finalement échoué – de montrer qu’il avait violé les conditions de son arrestation.

Tourisme et activité archéologique par Elad

Au début, Elad a mis l’accent sur la colonisation, s’efforçant de faire venir le plus grand nombre possible de colons à Silwan. Cela a suscité la controverse et la critique publique, et Elad a été considéré comme un groupe extrémiste marginal. Cependant, au fil des ans, Elad a réalisé que le tourisme et l’archéologie étaient les moyens de gagner le soutien du public et du gouvernement. Finalement, Elad est devenu le directeur des fouilles archéologiques. Cette organisation a ainsi réussi à collecter des fonds importants pour ses activités archéologiques, et l’Autorité des antiquités est devenue dépendante de sa volonté et de son argent.

Le PDG d’Elad, David Be’eri, a été enregistré lors d’une visite à Silwan, en train de se vanter de sa capacité à déjouer l’Autorité des antiquités, lui permettant ainsi d’étendre les fouilles et de développer les colonies comme il le souhaitait.

Cf. https://www.youtube.com/watch?v=t4OzNc9Hz_E

Les fouilles à Silwan ont fait l’objet de nombreuses critiques professionnelles pour leurs méthodes et leur manque de publicité, ainsi que pour l’intensité et l’acharnement en ce qui a trait aux recherches. Même au sein de l’Autorité des antiquités, certains se sont opposés aux fouilles, les qualifiant de « mauvaise archéologie ». Des fissures et des dommages ont été découverts dans de nombreuses propriétés à proximité des fouilles souterraines menées par l’Autorité des antiquités sous la direction d’Elad. Cf. https://alt-arch.org/en/fissures-and-cracks/

Le tourisme et l’archéologie sont devenus des éléments centraux des activités d’Elad et constituent en fait un autre moyen de coloniser. Outre la légitimité que l’entreprise touristique apporte à Elad, elle lui permet de modifier les faits sur le terrain, rendant ainsi Silwan beaucoup plus « israélien ». Grâce au tourisme, Elad est en mesure d’amener des centaines de milliers d’Israéliens en tant que visiteurs à Silwan et de raconter l’histoire de la région telle qu’ils la voient.

Pour plus d’informations sur le tourisme de colonisation, voir « Les colonies invisibles à Jérusalem ». https://pij.org/articles/1283/invisible-settlements-in-jerusalem

Il est important de noter qu’un site important et sensible comme l’ancienne Jérusalem à Silwan pourrait être gérée différemment, dans un tout autre esprit. Il pourrait s’agir d’un lieu offrant suffisamment d’espace pour le patrimoine de tous les peuples et de toutes les cultures concernées, partagé avec les habitants. Mais au lieu de cela, il est utilisé comme un outil politique.

Pour en savoir plus sur les alternatives possibles pour la gestion de l’archéologie et du tourisme à Jérusalem, voir le travail d’Emek Shaveh : https://alt-arch.org/en/guiding-principles-for-a-jerusalem-antiquities-master-plan-proposed-policy-paper/

En 2016, le contrôleur d’État israélien a vivement critiqué le fait que d’importants sites archéologiques de Jérusalem aient été donnés à Elad sans avoir été mis aux enchères. Il a aussi critiqué le fait que les autorités de l’État, notamment l’Autorité des parcs et de la nature et l’Autorité des antiquités, ne supervisent pas les activités d’Elad.

Pas seulement à Silwan

Elad a étendu ses activités bien plus loin que Silwan. L’ONG a acheté des maisons à Jabel Mukaber et A-Tur et participe à la construction de résidences pour colons à Ras Al-Amud et dans le quartier de a-Swaneh. Son activité touristique s’étend de la vallée de Tzurim à la vallée de Ben Hinnom. Cf. https://peacenow.org.il/en/peace-now-emek-shaveh-filed-appeal-regarding-construction-bridge-hinnom-valley

et à la crête du palais du Haut Commissaire (Armon HaNatziv), en passant par le Mont des Oliviers et la vallée du Cédron. Ces dernières années, Elad s’est également implanté dans la Forêt de la Paix, à la frontière des quartiers d’Abu Tor et de Jabel Mukaber. Cf. https://peacenow.org.il/en/elad-in-the-peace-forest

La BBC a récemment révélé que l’un des plus grands contributeurs à l’Association Elad est Roman Abramovich, propriétaire du Chelsea Football Club, qui a fait don de plus de 100 millions de dollars à Elad en 12 ans. Cf. https://www.bbc.com/news/av/world-middle-east-54237970

 

NB : les liens orientent vers des textes en anglais.