« Les fruits du travail du Premier ministre vont finalement propulser Israël vers une solution à un seul État, mais pas avant une longue période de régime d’apartheid. »
Traduction : Bernard Bohbot pour LPM
Auteur : Shaul Arieli, Haaretz, 27 août 2020
Photo : Les drapeaux des Emirats Arabes Unis et d’Israël en bordure d’une route à Netanya. ©: AFP
Mis en ligne le 28 septembre 2020
L’accord de normalisation entre Israël et les Émirats Arabes Unis – comme le discours Bar-Ilan de Benjamin Netanyahu en 2009 et la vision de paix du Président Donald Trump au début de l’année – n’est rien d’autre que « la même personne dans les mêmes habits » en ce qui concerne la politique du Premier ministre à l’égard des Palestiniens.
Netanyahu utilise des concepts acceptés et identifiables issus de démarches diplomatiques précédentes avec les Palestiniens et les nations arabes, mais il vise le contraire de ce que la communauté internationale et les précédents dirigeants israéliens ont cherché à réaliser. Son but n’est pas de résoudre le conflit israélo-palestinien avec l’aide des États arabes, mais d’obtenir leur aval pour fixer des préconditions inacceptables pour les Palestiniens ou du moins de montrer la même indifférence quant à la situation actuelle.
La victoire à court terme de la politique de Netanyahou se traduira finalement par une défaite du mouvement sioniste à long terme.
Toute entité diplomatique impliquée dans un conflit insoluble avec une autre entité a la possibilité d’impliquer une tierce partie pour tenter de sortir de « l’impasse ». Cette stratégie peut être utilisée dans le but d’atteindre deux objectifs opposés : mobiliser la tierce partie pour forcer la main de l’opposant; ou mobiliser la tierce partie pour augmenter le « panier des bénéfices » et le répartir entre toutes les parties impliquées dans la recherche d’un compromis.
L’histoire est pleine d’exemples où la première option fut privilégiée, je me contenterai donc de trois exemples de notre région.
Le premier serait la façon dont les États arabes se sont joints à l’effort de guerre pour décider du conflit judéo-arabe lors de la guerre d’Indépendance et les années suivantes [tuer dans l’œuf l’État d’Israël].
Le second serait le concept stratégique adopté par David Ben-Gourion à la fin des années 1950 pour établir des liens et des alliances spéciales à tous les niveaux possibles – stratégique, de renseignement, économique – avec des pays ou des groupes qui s’opposaient à la politique arabe menée par le président égyptien de l’époque, Gamal Abdel Nasser. Ce concept a donné naissance à l’Alliance périphérique avec la Turquie, l’Iran, l’Éthiopie, les Kurdes et les chrétiens du Liban.
Le troisième exemple – qui a poussé le Premier ministre de l’époque, Yitzhak Rabin, à choisir la diplomatie avec les Palestiniens en 1993 – résultait de la compréhension qu’un tel processus était la contrepartie qu’Israël devait donner aux nations arabes sunnites afin de bénéficier d’une alliance stratégique avec elles, dans le but de freiner un Iran de plus en plus fort ainsi que ses satellites chiites.
Il existe de nombreux exemples de la deuxième option, mais j’aimerais me concentrer sur le conflit « israélo-arabe-palestinien » depuis le début du processus diplomatique avec le monde arabe, en 1974.
Les traités de paix d’Israël avec l’Égypte et la Jordanie sont bilatéraux, mais leur réalisation a nécessité l’implication des États-Unis. Pour l’Égypte, l’aide militaire américaine et le retour de la péninsule du Sinaï étaient une contrepartie sassez généreuse pour suffire à un accord d’autonomie pour les Palestiniens et à la démilitarisation du Sinaï. Il en va de même pour Israël. L’aide civile et militaire fournie par les Américains (qui s’élève jusqu’à présent à environ 200 milliards de dollars) et le déploiement d’une force d’observation multinationale qui a eu pour effet de retirer l’Égypte du conflit, constituaient une contrepartie acceptable en échange d’un retrait total d’Israël du Sinaï.
La même chose s’est produite avec la Jordanie. L’aide civile américaine et un « parapluie » des forces de défense israéliennes contre les menaces extérieures pesant sur ce pays, l’approvisionnement en eau en provenance d’Israël et l’octroi d’un statut spécial au Mont du Temple, ainsi que des incitatifs économiques pour l’avenir, ont opéré leur magie et ont conduit les Jordaniens à signer un traité de paix.
La situation entre Israël et les Palestiniens est plus complexe. Il a fallu aux deux parties et aux États-Unis plus d’une décennie (1993-2007) pour comprendre qu’ils devaient étendre les limites du système en place. La prétention du Premier ministre d’alors, Ehud Barak, de « sceller tout cela en deux heures dans la même pièce qu’Arafat » à Camp David en 2000, a progressivement conduit à une coopération accrue avec les autres acteurs de la région.
Tout d’abord, Israël voulait des gestes de la part des pays arabes qui ne nécessitaient pas d’investissements réels – principalement pousser les Palestiniens à accepter les concessions qu’Israël exigeait sur diverses questions (sécurité, frontières, réfugiés et Jérusalem) – en échange de l’aide américaine. L’acceptation de l’Egypte n’a nécessité aucun investissement de sa part. Cependant, les idées proposées par Israël telles que les échanges territoriaux à trois avec l’Égypte et la Palestine ont été rejetées d’emblée.
Ensuite, il y eut les pays européens et autres auxquels Israël demanda de l’argent pour soutenir un accord, notamment en ce qui concerne l’indemnisation des réfugiés et la construction d’une économie palestinienne. C’est ainsi qu’est né le Quartet (Nations unies, Russie, États-Unis et Union européenne). Les Américains et les autres membres du Quartet ont participé aux négociations d’Annapolis en 2007, en plus des représentants de la Ligue arabe. Parmi eux figuraient l’Égypte et la Jordanie, ainsi que des pays sans liens diplomatiques avec Israël comme l’Arabie saoudite, la Malaisie, le Soudan, le Liban et même la Syrie.
La méthode Netanyahu
Netanyahu a préféré une approche différente. Il a déclaré qu’il mettrait en œuvre une autre option : étendre les limites du système dans l’intérêt des deux parties et résoudre le conflit mais, en réalité, ne fonctionner que selon la première option – recruter des acteurs pour forcer la main des Palestiniens en leur imposant des conditions.
Pendant des années, Netanyahu a bloqué les tentatives de résolution du conflit par la deuxième option. Il a rejeté l’initiative de paix arabe de la Ligue arabe de 2002 et a déclaré avec arrogance en juin 2016 que « si les nations arabes admettent qu’elles doivent réviser la proposition de la Ligue arabe en fonction des changements qu’Israël exige, alors nous pourrons parler« .
Il s’est opposé à quatre initiatives françaises, dont la création d’un groupe de soutien international pour accompagner les négociations avec les Palestiniens et la convocation d’une conférence internationale avant la fin de l’année 2016. Il a également refusé de coopérer avec le Quartet à l’élaboration d’un rapport sur l’enlisement diplomatique.
Il a ignoré la proposition faite par l’UE en décembre 2013 de renforcer ses relations avec les Israéliens et les Palestiniens s’ils signaient un accord de paix. Il a aussi exigé que l’administration Obama préserve le statu quo. Par exemple, il s’est opposé au plan de sécurité du général John Allen (Allen avait travaillé comme émissaire de John Kerry, alors secrétaire d’État, en 2014). Netanyahu a également exprimé ouvertement sa crainte que le président Barack Obama ne présente un plan de paix vers la fin de son mandat. Kerry, quant à lui, a déclaré à Dubaï en 2017 qu’Israël avait « des dirigeants qui ne veulent pas faire la paix » et que « la majorité du cabinet de l’actuel gouvernement israélien a déclaré publiquement qu’il ne serait jamais favorable à un État palestinien« .
Netanyahu attendait sa chance, qui s’est présentée en 2016 sous la forme de Donald Trump. Cela lui a donné l’occasion de faire avancer son ancien plan visant à donner aux Palestiniens une autonomie culturelle limitée en Cisjordanie – qu’il a appelée un « État » – et d’obtenir du Président américain qu’il propose un plan dans lequel il dicterait aux Palestiniens des conditions de reddition inconditionnelle.
La « vision de paix » de Trump a rejoint la vision du discours de Bar-Ilan, à propos duquel le père de Netanyahu, Benzion Netanyahu, a déclaré sur la Chaîne 2 un mois plus tard : « Benjamin ne soutient pas un État palestinien, si ce n’est dans des conditions que les Arabes n’accepteront jamais. Je l’ai entendu dire cela« .
La « vision de paix », tout comme le discours de Bar-Ilan, est pleine de concepts qui ont caractérisé les négociations avant le retour de Netanyahu comme Premier ministre en 2009. D’ « État palestinien » à « contiguïté palestinienne », en passant par « capitale palestinienne à Jérusalem ». Mais, en réalité, un examen détaillé des propositions de la dite vision montre qu’aucune ne remplit la moindre de ces promesses.
Netanyahu présente aux pays arabes, avec l’appui des Américains et face à la menace iranienne commune, la nécessité de reconsidérer l’alternative suivante : soit adhérer à l’Initiative de paix arabe de 2002 qui repose sur la légitimité des décisions et des paramètres internationaux qui ont guidé les pourparlers d’Annapolis, soit séparer la normalisation des relations avec Israël d’un règlement diplomatique concernant la question palestinienne, en accord avec les aspirations de Netanyahu.
En d’autres termes, bénéficier des investissements et de l’aide militaire des États-Unis en échange de l’exercice de pressions sur les Palestiniens pour qu’ils acceptent les positions d’Israël, ou du moins ne s’y opposent pas. Netanyahu souhaite que les pays arabes adoptent sciemment la politique de l’Europe et d’autres pays : reconnaissance d’Israël, normalisation complète parallèlement à la négation de l’occupation et soutien d’une solution à deux États – mais sans avancer de plans pour y parvenir et sans imposer de sanctions en cas de stagnation du processus.
Ceux qui s’enthousiasment pour la politique de Netanyahu devraient tenir compte de ce que Ze’ev Jabotinsky a écrit dans son essai de 1923 « Le mur de fer » : « Un plan qui semble attirer de nombreux sionistes va comme suit : s’il est impossible d’obtenir l’approbation du sionisme par les Arabes de Palestine, alors il faut l’obtenir des Arabes de Syrie, d’Aram-Naharaim [Irak], du Hejaz [Arabie Saoudite] et peut-être d’Egypte » ; avant d’ajouter que « même si cela était possible, cela ne changerait pas la situation de base. Cela ne changerait pas l’attitude des Arabes de la Terre d’Israël à notre égard« .
Revenons à la réalité actuelle : Les Palestiniens ont déjà reconnu Israël dans ses frontières de 1967, par le biais des Accords d’Oslo. La reconnaissance d’Israël par les Arabes au-delà des frontières de 1967 ne changera pas leur position.
Il est difficile de savoir si d’autres pays arabes suivront les traces des Emirats Arabes Unis et accepteront la politique de Netanyahu, d’autant plus que le président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi et le roi Abdallah de Jordanie ont été grillés en 2016 lorsqu’ils ont essayé de l’aider à établir un gouvernement avec le leader du parti travailliste de l’époque, Isaac Herzog, qui soutiendrait le processus diplomatique – une tentative qui s’est terminée par l’entrée au gouvernement de l’intransigeant Avigdor Lieberman.
S’ils y parviennent, alors le « succès » de la politique de Netanyahu augmentera considérablement les chances de se diriger davantage vers une solution à État unique, avec un arrêt provisoire d’un long régime d’apartheid.
Les Palestiniens ont déjà répondu à la vision de Trump en disant qu’ils n’ont pas l’intention de hisser le drapeau blanc et d’accepter l’initiative. La perte de tout espoir pour une solution à deux États transformera la lutte nationale palestinienne en une lutte pour les droits civils, qui pourrait à un moment donné s’accompagner de violence et de terrorisme. Les « fruits de la normalisation » à court terme – de la coopération militaire à un concert d’Omer Adam – se transformeront à long terme en la fin du rêve sioniste et la création d’un État arabe sur ses ruines.
Le Dr Shaul Arieli est chercheur sur le conflit israélo-palestinien au sein d’Israel Policy Forum.