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Ha’aretz, 22 janvier 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Le crime organisé existe-t-il en Israël? Existe-t-il un mécanisme criminel qui étend ses tentacules jusqu’au cœur des niveaux les plus élevés des systèmes exécutif, militaire et judiciaire de l’Etat, et qui le fait trembler sur ses bases? Existe-t-il un groupe bien organisé, avec « parrains » et « soldats », qui opère librement en s’abritant derrière une façade d’honorabilité? Ce groupe fait-il régner la peur dans la société israélienne dans son ensemble, mettant ainsi en danger sa sécurité et son bien-être?

Malheureusement, la réponse à toutes ces questions est oui. En Israël, le crime organisé existe, et il est extrêmement puissant. Ses membres sont partout, dans les ministères comme dans les rouages de la loi. Leur apparence est honorable, et leur structure bien organisée, avec à leur tête des rabbins – parrains qui commandent à une armée de soldats. Ils usent d’intimidation autour d’eux, et ils mettent en danger le bien-être et la sécurité de la société tout entière. On les appelle les colons.

Les citoyens qui vivent dans un Etat touché par le crime organisé adressent essentiellement leurs doléances à l’institution judiciaire qui se montre incapable de les protéger. Aujourd’hui, alors que les Israéliens commencent, enfin, à être dégoûtés par ce qui se passe en Cisjordanie, ils doivent se plaindre surtout auprès de ceux qui ont rendu possible ce mécanisme de contrôle des centres du pouvoir de l’Etat pour agir comme bon leur semble dans les territoires occupés.

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En ce moment, il est de bon ton d’être choqué par les actes des colons de Hébron. Ehud Olmert lui-même menace d’y employer la force contre les hors-la-loi. Comme d’habitude, le ministre de la Défense Shaul Mofaz a très vite changé d’attitude pour s’adapter aux vents nouveaux, et parle d’expulser tous les « délinquants » de Hébron. De qui parle-t-il exactement? De ceux, seulement, qui se sont heurtés à l’armée? Et où était-il jusqu’à présent? Le silence du passé met en lumière l’hypocrisie des ministres et du public en général : pendant des années, les colons de Hébron s’en sont pris violemment à leurs voisins palestiniens, au point que plusieurs milliers de ceux-ci ont été forcés d’abandonner leurs foyers et leurs magasins et de s’enfuir. Quiconque visitait Hébron découvrait une ville fantôme, mais bien peu d’Israéliens ont voulu le savoir, et encore moins ont été choqués et ont agi. Ce n’est que lorsque les colons ont osé lever la main sur des soldats et des policiers qu’une clameur s’est élevée. Mais cette clameur devrait s’adresser à ceux qui ont permis au crime de prospérer toutes ces années.

Cela ne touche pas seulement les soldats, les policiers et les agents du Shin Bet qui savaient, ont gardé le silence, et même ont soutenu. Comme pour tout crime organisé, des institutions gouvernementales de bien plus grande importance ont été impliquées. Le ministère du Logement, l’armée et l’Administration civile, qui ont fourni aux « avant-postes illégaux » toute l’infrastructure nécessaire, ont accompagné les travaux de construction, fourni protection et assistance, ont pavé des routes et apporté l’eau et l’électricité : tous sont complices du crime. Le pouvoir exécutif a facilité le contrôle des familles du crime sur la Cisjordanie, et (comme pour tout crime organisé), le pouvoir judiciaire a été complice de la corruption.

La Haute cour de Justice, qui aujourd’hui reporte sa décision sur plusieurs avant-postes, n’est pas exempte. L’histoire de la construction d’Amona, par exemple, est instructive : cet avant-poste a été bâti en 1995 sur des terres privées palestiniennes. Le ministère du Logement a donné 2,1 millions de shekels pour en financer les infrastructures, sans aucun permis de construire. Alors, pourquoi s’en prendre aux habitants d’Amona si c’est l’Etat lui-même qui a financé cette construction? Quand l’Administration civile elle-même a ordonné en octobre 2004 de démolir neuf magnifiques villas à Amona, personne n’a levé le petit doigt. Voilà comment la peur du crime organisé s’instille dans le système chargé de faire respecter la loi. Il a fallu l’intervention de Shalom Akhshav (La Paix Maintenant) auprès de la Haute cour pour que soit débattue la démolition de ces bâtiments illégaux.

Mais la Haute cour a agi comme elle fait toujours face à des requêtes de ce type : sans hâte. La semaine dernière, elle a décidé d’un nouvel ajournement, sans qu’on comprenne bien pourquoi. De même, elle n’a vu aucune urgence à traiter le problème des squatters du marché de gros de Hébron. Depuis juin 2001, date à laquelle l’Administration civile a ordonné leur évacuation, un bon nombre d’enfants de colons ont eu le temps de cracher au visage de femmes âgées palestiniennes. En 2003, l’Etat s’est engagé auprès de la Haute cour à évacuer les squatters, mais rien n’a été fait depuis pour tenir cet engagement.

La Cour suprême ne se comporte pas toujours de cette manière. Quand, en mai 2004, neuf habitants de Rafah l’ont saisie contre la démolition de leurs maisons, le juge Eliahou Mazza a émis, en pleine nuit, un jugement provisoire contre cette démolition, mais la cour n’a pas eu besoin de plus que de 48 heures pour annuler cette décision, et les maisons ont pu être ainsi rasées. Chaque fois que des Palestiniens ont déposé une requête contre la démolition de leurs maisons, la Haute cour a agi avec rapidité et détermination pour repousser ces requêtes. La Haute cour agit rapidement et efficacement, quand cela l’arrange.

Il n’y a pas de quoi s’exciter pour l’évacuation d’une poignée de squatters d’Amona et du marché de Hébron. La véritable mission du pays est de se débarrasser de tous les centres du crime organisé. Olmert, qui, au début de sa carrière, a mené un combat hautement médiatisé contre un autre système de crime organisé, devrait le savoir. Le dispositif criminel auquel il est aujourd’hui confronté est fort, violent, et infiniment plus dangereux que celui des frères Siboni de Mevasseret Yeroushalayim, contre lequel il s’est battu il y a exactement 30 ans. A cette époque, il avait affaire à des gens qui terrorisaient une petite ville. Il se trouve aujourd’hui face à ceux qui retiennent en otage un Etat tout entier.