Au cours de la dernière décennie, le soutien palestinien à la solution à deux États, en tant qu’accord de paix avec les Israéliens, s’est affaibli. Selon le Centre palestinien de recherche sur la politique et les enquêtes (PSR), basé à Ramallah, le nombre de Palestiniens acceptant la solution à deux États a chuté de façon spectaculaire, atteignant des taux jamais vus depuis 2006, date à laquelle se sont tenues les dernières élections législatives palestiniennes. Depuis près de trois décennies, le PSR enquête sur l’opinion publique palestinienne sur un large éventail de sujets, notamment en ce qui concerne les conditions de paix entre Israéliens et Palestiniens.
Pour examiner de plus près ces résultats, Ines Gil, a interrogé pour « Les clés du Moyen-Orient » le Dr Khalil Shikaki, directeur du PSR à Ramallah*.
Traduction : Jacqueline London pour LPM
Auteur : Ines Gil pour Les clés du Moyen-Orient, 28 mai 2020
Photo : pcpsr.org
Mis en ligne le 13 juin 2020
Dans une enquête publiée en août 2018, réalisée conjointement avec le Centre Tami Steinmetz de Recherche pour la Paix (Centre de recherche israélien), vous montrez que le soutien à la solution des deux États ne cesse de diminuer parmi les Palestiniens, n’atteignant que le faible taux de 43%. Comment expliquez-vous cette diminution ?
Si nous comparons les taux d’approbation de 70% de la solution à deux États par les Palestiniens dans les années 1990 ou même il y a tout juste dix ans, nous constatons à présent une très forte baisse. Alors que 43% de soutien à la solution à deux Etats est un chiffre très faible, il doit être pris avec une pincée de sel. Il faut faire une distinction entre les Palestiniens qui ne sont idéologiquement pas en faveur de la solution à deux États et ceux qui pourraient y être favorables, mais qui ne croient plus que ce soit possible ou viable. Par exemple, bon nombre des 57 % de Palestiniens qui ne soutiennent pas cette solution l’ont soutenue dans le passé, mais ont perdu espoir en raison de l’intensification de la colonisation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Un grand nombre de Palestiniens se méfient du fait que les Israéliens n’ont pas l’intention de se retirer de la Cisjordanie et même cherchent à l’annexer. Aujourd’hui, les Palestiniens ont un manque flagrant de confiance dans le gouvernement et les institutions israéliennes, ainsi que dans l’opinion publique israélienne. Le peuple palestinien n’apprécie pas l’attitude israélienne à l’égard du processus de paix.
Une majorité de 61 % de Palestiniens estime que la solution à deux États n’est plus réalisable en raison de l’expansion des colonies israéliennes. La perception de l’absence de faisabilité sape la confiance dans la solution à deux États. L’expansion de la colonisation n’est pas le seul facteur, cependant, il est probablement le plus important. Au fil des ans, les Palestiniens ont vu les colonies israéliennes comme un objet qui non seulement sépare les communautés palestiniennes les unes des autres, mais accentue également les tensions entre Palestiniens et Israéliens et contrecarre toute possibilité pour un futur État palestinien. Cela est dû au fait que l’expansion coloniale ait lieu profondément à l’intérieur du territoire de la Cisjordanie et pas seulement le long de la ligne verte. La politique israélienne actuelle est motivée par un programme de droite pour empêcher la création d’un État palestinien.
Le PSR a étudié la capacité des Palestiniens à faire des concessions politiques dans le cadre d’un accord de paix, mais en échange de certaines concessions du côté israélien, telles que la libération de prisonniers palestiniens ou la reconnaissance israélienne du caractère arabe et islamique du futur État palestinien. Quelles sont les conclusions de vos recherches ?
La position palestinienne sur la solution à deux États est dynamique plutôt que statique. Les Palestiniens comprennent que les concessions sont une nécessité pour la paix, et donc si une libération de prisonniers palestiniens pouvait être offerte, cela augmenterait certainement la confiance pour la solution à deux États. Des demandes palestiniennes de longue date pourraient également être satisfaites afin d’accroître le soutien palestinien à cette solution, comme la reconnaissance de la responsabilité pour la Nakba par des excuses officielles, ainsi que l’ouverture du marché du travail israélien aux Palestiniens. Comme des concessions doivent être faites des deux côtés, les Israéliens sont également plus susceptibles d’accepter un accord de paix dans lequel les Palestiniens font des concessions, qui sont généralement considérées comme extrêmement difficiles pour eux. Cependant, les capacités de concessions dépendent fortement du leadership de chaque côté.
En ce qui concerne le leadership des deux côtés, vous les considérez comme coupables en raison de l’échec du processus de paix. Pourriez-vous développer ce sujet?
C’est vrai. Du côté palestinien, même si le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas montre une volonté de mettre en œuvre la solution à deux États, il manque de légitimité (du côté israélien comme du côté palestinien). Un leadership fort est nécessaire pour que les Palestiniens acceptent des concessions, ce que Mahmoud Abbas n’a pas. Mahmoud Abbas avait cette crédibilité au début de son mandat (2005), mais il l’a perdu au fil des ans. Dans les années 1990, au contraire, Yasser Arafat – alors président de l’OLP, puis président de l’Autorité palestinienne – avait plus de crédibilité. Du côté israélien, Benjamin Netanyahu fait preuve d’un certain leadership en Israël, mais a fait preuve d’une faible volonté politique d’appliquer la solution à deux États. La coalition gouvernementale qu’il a formée est plutôt favorable au scénario du Grand Israël (qui n’inclut pas d’État palestinien).
57% des Palestiniens ne sont pas favorables à la solution à deux États. Quelles alternatives proposent-ils ?
Il existe plusieurs solutions à la solution à deux États dans les enquêtes que nous avons menées. Certaines soutiennent la solution d’un État démocratique où les droits civils des Israéliens et des Palestiniens seraient également respectés. D’autres soutiennent un régime d’apartheid auquel la population juive serait soumise, et d’autres encore sont en faveur de l’expulsion des Juifs. Il est apparu récemment une autre solution consistant en un État de Confédération où deux États fonctionnent dans un même pays. Cependant, aucune de ces solutions n’est pour les Palestiniens, aussi populaire que la solution à deux États. Si l’on demande aux Palestiniens de choisir entre deux États ou un seul État, la majorité préférerait la solution à deux États. Cependant, de plus en plus de Palestiniens, en particulier les jeunes, sont prêts à accepter un État dans le cadre d’un système démocratique et égalitaire. Une très petite minorité de Palestiniens sont favorables à la présence de juifs dans un Etat palestinien dans lequel les juifs n’auraient pas de droits civiques Cependant, du côté israélien, une majorité de Juifs s’opposent à une solution qui donnerait aux Palestiniens des droits égaux.
Grâce à vos travaux et à vos recherches sur les partis politiques palestiniens, il est clair que l’option la plus privilégiée est la solution à deux États. Mais cela ne semble pas être le cas pour le Hamas et ses partisans, comment expliquez-vous cela ?
Le manque de soutien à une solution à deux États parmi les partisans du Hamas est dû à une combinaison des niveaux de religiosité et d’islam politique. Pour de nombreux Palestiniens pratiquants, la séparation entre la religion et l’État n’est pas une option. Pour l’islam politique, que le Hamas défend, la religion joue un rôle important dans les affaires politiques et la société. Dans ce cas, l’islam n’est pas seulement considéré comme une relation personnelle avec Dieu, mais aussi comme un moyen de gérer la société palestinienne. Dans l’ancienne version de la charte du Hamas la Palestine historique est considérée comme « terre de Waqf », une terre qui ne peut être gérée par des non-musulmans. C’est pourquoi les partisans du Hamas acceptent moins la solution à deux États. Les Palestiniens sont divisés politiquement avec deux partis politiques différents, le Hamas et le Fatah, qui reçoivent tous deux un large soutien de différentes parties de la population. Alors que le soutien au Hamas s’est accru au fil des ans, l’écart pour le soutien du Fatah se réduit. En février 2020, 38 % des Palestiniens ont indiqué soutenir le Fatah et 32 % le Hamas.
Les jeunes Palestiniens (âgés de 18 à 24 ans) semblent moins soutenir la solution à deux États que les générations plus âgées (33 % de soutien contre 48 %). Comment analyser cela ?
La génération la plus ancienne a grandi dans les années 1960-1980, avec le mouvement national palestinien comme moyen d’identification. Cependant, depuis Oslo, les Palestiniens ont été socialisés dans un contexte très différent. La nouvelle génération considère les dirigeants palestiniens comme corrompus et incompétents et ne les veut pas comme leurs représentants. En outre, la jeune génération a grandi en témoin de l’échec d’Oslo. Le soutien à la solution à un état n’est qu’une réaction à cet échec. Il s’agit davantage d’un rejet de la solution à deux États plutôt que d’un véritable soutien au scénario d’un État.
Dans vos recherches, vous montrez que le soutien à la lutte armée entre Palestiniens change en fonction de la période et des bouleversements politiques (avec une tendance similaire chez les Israéliens). Par exemple, parmi les Palestiniens, le soutien à la lutte armée s’est renforcé après l’annonce par Donald Trump du déménagement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Quelle a été la tendance générale de ces dernières années ?
Au cours des années 1990, les Palestiniens croyaient que la diplomatie était une meilleure solution que la lutte armée pour combattre l’occupation. Avec le début de la deuxième Intifada et l’échec du Sommet de Camp David en 2000, l’opinion publique a changé. Les Palestiniens ont de moins en moins cru à la solution à deux États. Les attentats-suicides contre les Israéliens ont été soutenu par une partie de la population palestinienne. A la fin de la deuxième Intifada (2000-2005), la tendance a de nouveau changé : les Palestiniens de Cisjordanie ont estimé que ni la lutte armée ni la diplomatie n’ont été efficaces dans la lutte contre l’occupation. C’est pourquoi, lorsque le nouveau président palestinien Mahmoud Abbas a plaidé pour la fin de la lutte armée, il a bénéficié d’un grand soutien, et donc, de succès. Nos sondages montrent qu’entre 2005 et 2015, il y a eu une baisse générale du soutien aux attentats suicides, jusqu’à ce qu’il y ait eu une résurgence du soutien à ce type d’actions. Depuis 2015, les Palestiniens qui soutiennent la lutte armée sont encore minoritaires, mais en grand nombre. La société palestinienne reste largement divisée sur ce sujet.
Au contraire, les Palestiniens de la bande de Gaza considèrent le recours à la violence comme une solution efficace contre l’occupation. En 2005, après la deuxième Intifada, l’armée israélienne s’est retirée de la bande et, par conséquent, les Gazaouis ont estimé que le recours à la violence était efficace car elle vidait leur territoire de la présence physique de l’armée israélienne, ainsi que des colonies israéliennes qui existaient auparavant dans la bande de Gaza. Le soutien à la violence comme moyen de résistance contre l’occupation change continuellement en fonction des faits sur le terrain. Il est chargé d’émotions. Dans l’ensemble, nous pouvons dire qu’il y a actuellement un manque de confiance dans la solution diplomatique.
Selon vos recherches, les jeunes Palestiniens sont plus en faveur de la lutte armée que leurs générations plus âgées. Quelle est la base de ce soutien ?
Oui, ça l’a toujours été. Les jeunes ont généralement toujours été plus en faveur de la lutte armée que les générations plus âgées. Dans le cas de la génération actuelle, ils sont fortement influencés par la mémoire de la Seconde Intifada, associée pour eux, encore très jeunes à l’époque, à la violence de l’armée israélienne.
En ce qui concerne la politique intérieure, vous dites que, pendant les accords d’Oslo, malgré d’importantes concessions territoriales, les Palestiniens ont fortement soutenu la solution à deux États parce qu’ils faisaient confiance à leur leadership, Yasser Arafat. Cependant, aujourd’hui, plus de 60% des Palestiniens veulent la démission de Mahmoud Abbas, selon vos sondages. Comment expliquez-vous cette érosion de la confiance en ce dernier ?
Mahmoud Abbas manque de crédibilité parce qu’il fait beaucoup de promesses qui sont vides et de nombreuses annonces qui ne sont pas suivies d’actions. Par exemple, Abbas a annoncé précédemment qu’il mettrait fin à la coopération en matière de sécurité avec les Israéliens, ce qui n’a jamais été effectif. En outre, les Palestiniens n’ont pas vu grand-chose d’Abbas en termes de développement économique et de création d’emplois ni dans la répression de la corruption dans l’ANP. Les gens sont de plus en plus insatisfaits de son administration.
Dans un article pour les Affaires étrangères, vous avez dit que la deuxième Intifada était le résultat d’affrontements entre l’ancienne génération (représentée par Yasser Arafat) et la nouvelle génération du Fatah (plus ouverte au recours à la violence). Actuellement, peut-on dire que Mahmoud Abbas bénéficie d’un fort soutien au sein du Fatah, lui permettant de rester au pouvoir malgré le mécontentement de la population palestinienne ?
Une partie de la population palestinienne reste déterminée à soutenir Abbas et c’est la même qui a toujours soutenu le Fatah par le passé. Aujourd’hui, il est extrêmement rare de trouver un Palestinien, de l’extérieur de cette base traditionnelle, qui y adhère. Cependant, le parti a réussi à contrôler l’administration et les services de sécurité ce qui permet un soutien total des institutions. C’est pourquoi il est difficile de voir une implosion de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. L’Autorité Palestinienne est contrôlée par le Fatah, qui contrôle les services de sécurité eux-mêmes. Personne n’est prêt à changer cela au sein du parti.
Certains pensent que la confiance dans les dirigeants palestiniens pourrait revenir avec l’organisation de nouvelles élections palestiniennes. Dans quelle mesure croyez-vous que ce soit vrai ?
Des élections sont possibles sous plusieurs conditions : si le Hamas accepte les conditions des élections, si Israël accepte l’organisation d’élections palestiniennes à Jérusalem-Est, et si Mahmoud Abbas accepte l’opposition politique. À mon avis, Mahmoud Abbas bluffe. Il trouvera toujours une raison pour ne pas organiser les élections, par exemple si Israël interdit l’organisation du scrutin à Jérusalem-Est.
*Dr Khalil Shikaki, directeur du « Palestinian Center for Policy and Survey Research » (PSR) à Ramallah, professeur de science politique et maître de recherches à l’Université Brandeis (USA).