par Doron Rosenblum
Trad. Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Ainsi, notre style de vie modèle 2002 prend forme :
Chaque vendredi soir, nous regardons les deux éditions du journal télevisé, où les analystes militaires nous résument nos victoires, les bombardements de Tsahal et ses succès dans les camps de réfugiés des territoires. Il y a beaucoup de satisfaction, et pas trop d’arrogance. Car évidemment, rien n’est fait, les victoires ne sont pas écrasantes, et il n’y a pas de solutions miracles. Et avant de passer aux pubs et à la météo, nous attendons de savoir s’il y a des alertes aux attentats, et combien. « Hmmm… » dit l’analyste, « je dirais autour de 50-60, pas plus. »
Le samedi, avant l’attentat de la nuit, nous avons quelques heures de répit. Le soleil brille, et les fleurs bourgeonnent. Et ceux d’entre nous qui sont encore en vie peuvent sentir dans l’air la douceur sèche du printemps. Et même, nous montons dans nos voitures et faisons un peu de route pour voir les blés pousser dans les champs.
Et à l’heure exacte, disons samedi à 14h ou 15h, quand seuls les oiseaux
chantent dans les réserves naturelles, et que les maisons sentent encore la
nourriture et résonnent de bruits de vaisselle, même a ce moment-là, il y a encore un peu d’optimisme : voila, deux heures ont passé, et tout est calme. Rien. Que la vie. Et on se dit même que l’émissaire américain arrive la semaine prochaine. Que le Premier ministre Ariel Sharon a un peu cédé. Qu’il y a peut-être de l’espoir.
Alors, vers la fin du shabbat, quand le soleil est bas, la dépression s’installe. Le calme commence son compte a rebours. Chaque heure du shabbat qui passe, avec les enfants à la maison, chaque heure vaut mieux que de l’or : il ne nous reste que deux heures à vivre ensemble.
Nous nous sommes débrouillés pour nous mettre de côté une heure ou deux de
calme et de tranquillité. Et entre temps, nous vivons, entiers et en bonne
santé, même si nos oreilles se dressent : était-ce le bruit d’une sirène, ou
d’une ambulance? Et là? Une autre sirène? Non. Soupir de soulagement. Surtout que tous les bulletins d’informations à la radio ne parlent que des victoires de Tsahal dans les camps de réfugiés, et le bombardement de l’immeuble de Yasser Arafat, et les funérailles des morts du dernier attentat.
Et chaque samedi soir, le nouvel attentat a lieu. Ou les nouveaux attentats. Malgré la victoire de l’armée, et malgré le bombardement de l’immeuble d’Arafat. Mais nous avons toujours dit qu’il n’y a ni solution miracle, ni barrages hermétiques. Et il y a eu des alertes, même si elles n’étaient pas précises.
Et après le samedi soir, vient le dimanche matin. Et le dimanche matin est le plus cruel de tous les matins. Parce que, avant que n’arrivent les infos de l’après-midi, il est évident qu’il y aura un autre attentat, un attentat aveugle et sanglant, à la lumière du jour. La seule question est où. Et qui le revendiquera. Et s’il y aura eu une alerte. Et si l’immeuble d’Arafat aura été bombardé, l’un des milliers d’immeubles d’Arafat.
La longue marche hebdomadaire commence ce matin. Personne ne sait combien
d’entre nous parviendront sains et saufs à la fin de la semaine (malgré les appels d’Arafat et de Sharon à se montrer forts).
Voila donc un court résumé de ce qu’est devenue notre vie en 2002. Et peut-être pas seulement en 2002. Peut-être est-ce ainsi que notre vie demeurera. Au moins tant que Sharon et Arafat seront dans les parages.