En négociant un gouvernement d’union, le Premier Ministre Benjamin Nétanyahou et le leader de Bleu-Blanc Benny Gantz tournent en dérision le système parlementaire et les lois fondamentales d’Israël.


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Auteur : Yossi Beilin, pour Al-Monitor, 13 avril 2020

https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2020/04/israel-benny-gantz-benjamin-netanyahu-basic-law-constitution.html

Photo : Benny Ganz devant le bureau de vote de Rosh Ha’ayin, le 2 mars 2020 © REUTERS/Nir Elias

Mis en ligne le 2 mai 2020


La formation Bleu Blanc a rassemblé d’étranges compagnons de route, de gauche comme de droite, dont le but commun était d’évincer le Premier Ministre Benjamin Nétanyahou et de mettre fin à la guerre « style Trump » menée par celui-ci à l’encontre des gardiens de l’État de droit en Israël, notamment des juges de la Cour suprême,du procureur général et du préfet de police. Cette alliance a été un succès. Elle n’était pas assez forte pour élever son leader, Benny Gantz, au rang de Premier Ministre, mais elle s’est révélée suffisamment solide pour empêcher Nétanyahou de former un nouveau gouvernement après les élections d’avril dernier. Nétanyahou a ensuite entraîné Israël dans deux autres campagnes électorales, mais celles-ci n’ont pas changé le paysage politique.

Au cours des dernières semaines, Gantz a été confronté à une multitude de problèmes. Il savait que le gouvernement intérimaire de Nétanyahou resterait en place tant qu’aucun nouveau gouvernement ne serait formé. Il a réalisé qu’un gouvernement étroit dirigé par Bleu Blanc et soutenu (de l’extérieur) par la Liste commune arabe serait impossible, car trois membres de son propre bloc rejettent un tel soutien. Gantz a donc pris la décision audacieuse de rompre ses principales promesses de campagne et a accepté de servir dans un gouvernement d’union dirigé par Nétanyahou lequel devra, dans quelques semaines, comparaître devant un tribunal pour faire face à de graves accusations criminelles.

La décision fort inattendue de Gantz a non seulement conduit à la scission de son jeune parti, mais aussi à obtempérer aux exigences du Likoud de modifier les lois fondamentales d’Israël pour commodité politique et par opportunisme. De récents sondages montrent que les partis qui se sont réunis pour former le parti Bleu Blanc sont maintenant très affaiblis, alors que le Likoud s’est renforcé. Cela dit, il est encore trop tôt pour prévoir comment la situation va évoluer. À la fin du gouvernement de rotation, Gantz pourrait très bien apparaître comme un Premier Ministre populaire et couronné de succès. Néanmoins, de telles projections ne peuvent expliquer ou justifier qu’on modifie d’importantes lois nationales.

La Grande-Bretagne et Israël sont les seuls pays démocratiques à ne pas avoir de Constitution, mais si Israël n’en a pas, la raison n’en est pas les 30 ans de mandat britannique sur la Palestine. Selon la résolution 181 (1947) de l’Assemblée générale des Nations unies, relative à la partition de la Palestine, l’État arabe et l’État juif qui en résultent devaient tous deux former des conseils constitutifs dans le but de rédiger des Constitutions démocratiques. La résolution mentionne également de façon détaillée les grands principes de ces futures Constitutions.

La Déclaration d’indépendance d’Israël (mai 1948) fait spécifiquement référence à la nécessité d’adopter une Constitution avant le 1er octobre 1948. Il semble qu’avant même la fondation d’Israël, David Ben-Gourion était désireux d’adopter une Constitution. Un comité spécial dirigé par l’ultra-orthodoxe Zerach Warhaftig s’appliqua sérieusement à promouvoir cette idée mais, à un moment, ses travaux furent interrompus, Ben-Gourion ayant compris que les partis religieux s’opposeraient à une Constitution, qu’ils percevraient comme une tentative de concurrencer la Torah. Ainsi, ils préféreraient un Israël fonctionnant par de simples lois.

Finalement, en 1950, un compromis fut trouvé : la Knesset allait promulguer une liste de lois fondamentales qui, dans les années à venir, pourraient collectivement devenir une Constitution. Ces lois, fondées sur l’esprit de la Déclaration d’indépendance, couvriraient de larges questions constitutionnelles, telles que les libertés civiles et le fonctionnement du gouvernement. Le problème posé par ce compromis était (et reste) l’absence de critères clairs concernant les questions et principes qui justifient d’être désignés comme lois fondamentales. De plus, les lois fondamentales d’Israël diffèrent dans la manière dont elles peuvent être modifiées, soit par exemple par une majorité simple, par une majorité des membres de la Knesset présents en séance plénière, ou encore par une majorité spéciale de 60, 70, 80 voire 90 membres, etc.

Ainsi, les lois fondamentales d’Israël n’ont jamais donné naissance à une Constitution. Les gens se sont habitués à une certaine souplesse juridique, ce qui a conduit à ce que les changements de législation, et notamment les lois fondamentales, soient considérés comme monnaie courante. Ainsi, les règles du jeu politique peuvent être modifiées alors que la partie est toujours en cours, même si cela sape la stabilité du système et crée une situation où chaque loi est provisoire. Les différentes voies et négociations en vue de la formation de nouvelles coalitions ont fait des lois fondamentales des objets de marchandage facilement bafoués.

La Loi fondamentale : Le gouvernement décide entre autres choses que le gouvernement doit être composé d’un Premier Ministre et de 18 autres ministres. Selon les rapports sur l’accord en cours d’élaboration par Nétanyahou et Gantz, l’article établissant ce nombre, qui ne peut être modifié que par une majorité d’au moins 70 membres de la Knesset, sera annulé (ou reporté) immédiatement avant la prestation de serment du nouveau gouvernement. L’idée est de permettre la mise en place du plus grand gouvernement israélien jamais formé – en commençant par 30 ministres dans un premier temps, puis en les augmentant à 34 – sans raison valable et fonctionnelle. Le grand nombre de ministres ne sert qu’à un seul objectif : empêcher les ministres du Likoud potentiellement insatisfaits de semer la pagaille. Ce sera certainement une action coûteuse, imprudente et inutile, que Gantz ne devrait pas faciliter.

Les grandes lignes de l’accord de gouvernement d’union prévoient de nombreux changements juridiques. Certains d’entre eux sont censés permettre le fonctionnement du nouveau gouvernement, mais en réalité ils vont nuire à l’esprit du système parlementaire israélien. Pour exemple, l’arrangement selon lequel le vice-premier ministre (Gantz) serait automatiquement nommé après 18 mois pour assumer le rôle de Premier Ministre sans que le Premier Ministre en exercice (Nétanyahou) ait à démissionner et sans qu’un vote de confiance à la Knesset approuve le nouveau chef d’État.

D’autres changements juridiques, cependant, font preuve d’une véritable houtzpah, car leur seul but est de se servir de la crise du COVID-19 et du sentiment qu’elle engendre, à savoir, que les Israéliens veulent un gouvernement d’union et sont prêts à en payer le prix. Telle est la décision de promulguer la Loi dite Norvégienne, qui permettrait aux ministres de démissionner de la Knesset pour assumer leur poste au sein du cabinet de sorte que la prochaine personne sur la liste de leur parti puisse les remplacer au Parlement. Après avoir démissionné ou avoir été contraints de quitter le gouvernement, les ministres peuvent réintégrer leur siège au Parlement, sauvegardé par un membre de leur parti.

Cette législation a été introduite à la 20ème Knesset comme une disposition temporaire. Gantz en a maintenant besoin, sinon tous les membres de son parti seraient ministres, et il n’y aurait personne pour le représenter dans les commissions importantes de la Knesset. Bien entendu, lorsque des ministres renoncent à leur poste de député et sont remplacés par d’autres membres de leur parti, cela a un coût. En bref, avec la crise économique et budgétaire découlant de l’épidémie de coronavirus, la loi obligerait l’État à prévoir dans son budget des dizaines de nouveaux membres temporaires de la Knesset. Leur présence contribuerait peu au fonctionnement du Parlement, ne profitant qu’aux besoins partisans des dirigeants politiques.

La décision anticipée la plus étonnante est une modification de la loi fondamentale : le gouvernement devra permettre au Premier Ministre ainsi qu’au vice-premier ministre de continuer à travailler même sous le coup d’une inculpation pénale. Selon la loi, lorsque le Premier Ministre démissionne, c’est tout le gouvernement qui démissionne. C’est pourquoi un Premier Ministre, s’il est inculpé, est autorisé à rester au pouvoir jusqu’à la décision finale des tribunaux, contrairement à la situation de tout autre ministre inculpé, qui serait obligé de démissionner. La loi vise soi-disant à éviter une crise politique, toutefois la démission d’un vice-premier ministre ne provoquerait pas une telle crise. La raison de cette modification de la loi fondamentale est simplement de permettre à Nétanyahou de servir sous Gantz si son sort nest toujours pas résolu dans un an et demi.

Gantz est entré en politique pour mettre fin à la carrière politique d’un Premier Ministre soupçonné de corruption. A présent que ce Premier Ministre a été inculpé et devra être jugé, Gantz est non seulement prêt à servir sous ses ordres, mais il est également prêt à changer la loi afin que l’inculpé puisse servir en tant que vice-premier ministre. C’est ahurissant. Il faut espérer qu’une fois au pouvoir, Gantz comprendra ce qu’il en coûte de ne pas avoir de Constitution et, en encourageant l’adoption d’une Constitution, il expiera tous les péchés dont il vient de se rendre coupable.