Il y a des jours, des périodes comme cela où rien ne va. C’est ce que nous sommes en train de vivre. La journée de jeudi a été particulièrement pénible. Outre la diffusion du corona, on a assisté à la dilution d’une espérance. Un homme et un parti représentant l’alternative « à un régime corrompu et corrupteur… source d’espoir pour des millions d’Israéliens » explosent en plein vol. Tout avait bien commencé pourtant. En un an, partis de rien, un homme et une formation politique, certes composite, étaient parvenus non seulement à exister mais à faire jeu égal avec cet animal politique hors-pair qu’est Netanyahu. Lors des dernières élections, la majorité avait fini par voter contre lui : tous les partis de l’opposition s’étaient en fait clairement prononcés contre lui, sans ambiguïté aucune, ce qui faisait dire à ses partisans, avec raison il faut en convenir, « tout sauf Bibi n’est pas un programme pour une autre politique ».
Il est évident que la crise du corona en Israël, même si le nombre de victimes actuelles est relativement bas, frappe de plein fouet un pays qui n’est pas préparé à y faire face (ce n’est pas le seul mais ce n’est pas pour autant une excuse) et de ce fait, change radicalement la donne. Un pays mal préparé, disions-nous? En attestent ces deux chiffres, fruits d’une décennie de libéralisme économique débridé et de la priorité donnée au développement de la colonisation : un investissement dans la santé publique par habitant insuffisant seulement 2.750 dollars par an qui place Israël au bas de l’échelle des pays de l’OCDE (4.000 dollars en moyenne), 1,8 lits 2,1 lits d’hôpital en soins intensifs d’hôpital pour 1.000 habitants (soit au 30 ème rang sur 35. La France est en 19ème position avec 3,1 places).
La situation exige la formation d’un gouvernement alors que la configuration politique ne permet pas, dans le cadre des engagements pris de part et d’autre, que se dégage une majorité. Depuis un an, il n’y a pas de budget voté, ce qui signifie que le budget est reconduit à l’identique, par douzième. Or il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que cela ne peut durer dès lors que les besoins en santé croissent fortement, que le chômage est multiplié par 5 (20,4%. contre 4% avant le début de la crise déclenchée par l’épidémie), que de nombreux locataires ne peuvent plus payer leurs loyers à des propriétaires qui ne sont pas tous, loin s’en faut, des multi-millionnaires, etc…
Un gouvernement était donc indispensable, un quatrième tour inenvisageable. Certes… Mais il existait d’autres voies que celles choisies par Gantz, celle de la reddition sans conditions, du renoncement, de la duperie, de la tromperie, des promesses non tenues et de la désespérance de ses électeurs. Il avait les moyens de créer un rapport de force qui, dans le cadre de la crise actuelle, accule Netanyahu à être le numéro 2 pendant la première période où il aurait occupé le poste de Premier ministre. Au pire, ou au mieux, il aurait pu laisser Netanyahu exercer le pouvoir pendant quelques mois et provoquer le moment venu la chute du gouvernement, conservant ainsi l’unité du parti et la confiance de ses électeurs.
Au lieu de cela, le général a accepté sa dégradation et a déposé les armes avant même la signature de l’armistice et la détermination de son contenu. En termes de postes ministériels certes, la moisson sera abondante : presque tous ses affidés auront un portefeuille.
Tout ça pour ça? Quid du programme? La rapidité avec laquelle Gantz a fait exploser son parti n’a pas permis la définition d’une politique commune économique, sociale, sécuritaire. Il ne faut pas oublier que l’accord n’est pas encore signé. Affaibli, que pourra obtenir Gantz en ces domaines? Y. Edelstein qui, aux dires mêmes de Gantz, a transgressé toutes les lignes rouges et porté atteinte à la démocratie, va sans doute retrouver son poste à la Knesset. Gantz sera-t-il contraint de boire la coupe du renoncement jusqu’à la lie?
Nul doute que l’avenir réserve encore bien des surprises. Au-delà de la déception, profonde et somme toute normale, et du sentiment d’avoir été floué que ressentiront nombre de ceux qui sont attachés à Israël, à sa démocratie, à l’aspiration de la majorité de sa population de parvenir à un règlement du conflit israélo-palestinien, nous restons solidaires de ceux qui sur le terrain sont majoritaires -mais divisés- pour vouloir un changement et savent que ce dernier, qui était accessible, reste encore possible et toujours nécessaire.
À l’instar de David Grossman, soucieux face à l’épidémie de savoir si » …la brièveté de la vie et sa fragilité inciteront des hommes et des femmes à adopter un nouvel ordre de priorités, à s’efforcer davantage à distinguer l’essentiel et l’accessoire… », espérons qu’ils soient plus nombreux encore à se demander « …pour la première fois, pourquoi Israéliens et Palestiniens continuent à se combattre et à ruiner leurs existences depuis plus d’un siècle dans un conflit qui aurait pu être résolu depuis longtemps ?... »
Illustration : Amos Biderman (Ha’aretz, 27/3/2020)
Mis en ligne le 27 mars 2020