Auteurs :  Shaul ARIELI, Gilad HIRSCHBERGER, Sivan HIRSCH-HOEFLER, Projet T-POLITOGRAPHIEJerusalem Post, 16 mai 2024

Traduction : Dory, Groupe Whatsapp Je suis Israël

https://www.jpost.com/special-content/area-c-will-never-be-part-of-israel-800848

Illustration : Population d’Israël en % de la population de la région C en fonction des années

Mis en ligne le 19 mai 2024


L’année 2023 restera dans les mémoires comme celle qui a vu l’effondrement de deux piliers étroitement liés de la politique israélienne en Cisjordanie. Ensemble, ces politiques constituent de graves idées fausses qui ont néanmoins été fièrement défendues par le gouvernement ultranationaliste de droite israélien. Le premier pilier politique est la stratégie « diviser pour régner », selon laquelle la bande de Gaza et la Cisjordanie ont été intentionnellement séparées pour empêcher la création d’un futur État palestinien et pour faciliter la séquestration de la Cisjordanie et son annexion finale à Israël. Ce pilier s’est effondré le 7 octobre lorsqu’il est devenu tout à fait clair que permettre au Hamas de se développer aux dépens de l’Autorité palestinienne aurait de graves conséquences. Le deuxième pilier, la « bataille pour la zone C », visait à créer des conditions géographiques et démographiques permettant l’annexion d’une zone qui représente 60 % de la Cisjordanie. Ce pilier se désintègre progressivement depuis plusieurs années.

Les racines de cet échec politique peuvent être recherchées dans l’abdication par Israël de ses engagements juridiques ratifiés dans les accords d’Oslo. Dans la déclaration de principes, l’État d’Israël a accepté la notion d’unité de la Cisjordanie et de la bande de Gaza : «Les deux parties considèrent la Cisjordanie et la bande de Gaza comme une seule unité territoriale, dont l’intégrité sera préservée pendant la période intérimaire.» En ce qui concerne la zone C, l’accord stipulait : «Les parties conviennent que la zone de Cisjordanie et de la bande de Gaza, à l’exception des questions qui seront négociées dans le cadre des pourparlers sur le statut permanent [Jérusalem, colonies et sites militaires], sera progressivement transférée à la juridiction palestinienne, et ceci doit être achevé dans les 18 mois suivant l’inauguration du Conseil.» Elle a également énoncé que : « La « zone C » désigne les zones de Cisjordanie en dehors des zones A et B qui, à l’exception des questions qui seront négociées dans le cadre des négociations sur le statut permanent, seront progressivement transférées sous la juridiction palestinienne conformément au présent accord. » En termes simples, tous les accords signés par l’État d’Israël définissent la bande de Gaza et la Cisjordanie comme une seule unité territoriale. Ce principe a guidé toutes les négociations menées par les deux parties. La zone C bénéficie donc d’un statut temporaire extrêmement étendu en attendant son éventuel transfert sous juridiction palestinienne.

En ce qui concerne le premier échec – l’effondrement de la politique « diviser pour régner » – les Palestiniens sont unis dans leur insistance sur un avenir commun pour la Cisjordanie et la bande de Gaza. De même, il existe un consensus écrasant au sein de la communauté internationale sur la solution à deux États comme seule solution viable au conflit. Israël a également accepté ce principe dans toutes les négociations avec les Palestiniens, et c’est seulement l’impasse diplomatique durant les années Netanyahou qui a donné naissance à la stratégie catastrophique du « diviser pour régner ». Parce que la question de l’intégrité territoriale est claire et incontestée, nous nous concentrons sur le deuxième échec – la bataille pour la zone C. Nos recherches, menées dans le cadre du projet T-Politography, un projet dédié à la surveillance empirique des niveaux changeants de contrôle israélien et palestinien dans les territoires dans plusieurs domaines différents, a examiné la période allant de 2010 à la fin de 2023. Au cours de ces années Netanyahou (avec un gouvernement Bennett-Lapid d’un an), nous avons trouvé des preuves claires qu’Israël gaspille ses ressources pour une cause perdue.

Motivé par l’idée qu’il est possible d’annexer la majeure partie de la Cisjordanie sans sa population palestinienne, Israël a consacré toutes ses forces et tous les moyens à sa disposition pour façonner l’avenir politique de la zone C. Ce processus comprenait des allocations budgétaires sans précédent pour l’expansion des colonies; la création de ministères gouvernementaux supplémentaires comme canaux de transfert indirect de fonds ; l’encouragement et le blanchiment rétroactif des avant-postes illégaux par le gouvernement ; la construction de routes telles que les contournements de Hawara et d’El-Arub, dont chacun a coûté plus de 200 millions de dollars américains ; tenter de légiférer sur le projet de loi de régularisation – un projet de loi qui permettrait la saisie de terres palestiniennes privées ; tenter d’abolir la clause du caractère de raisonnabilité (les deux initiatives législatives ont été annulées par la Cour suprême israélienne) ; et l’absence de réponse immédiate et énergique à la violence des colons contre les Palestiniens. Le processus a atteint son apogée en 2023 avec le transfert de la responsabilité de l’administration civile de Cisjordanie à l’ultranationaliste Betzalel Smotrich en tant que ministre supplémentaire au ministère de la Défense, ce qui a effectivement fait de lui le gouverneur de facto de la Cisjordanie.

Le côté palestinien n’est pas resté impassible face à cette campagne israélienne. La lutte palestinienne pour la Zone C a été mise en œuvre à travers le Plan Fayyad, un plan biennal formulé par l’ancien Premier ministre de l’Autorité palestinienne Salam Fayyad en 2009. Le plan proposait une feuille de route pour la construction d’infrastructures et d’institutions palestiniennes afin d’établir un État palestinien de facto sur toute la Cis-Jordanie. Le plan a bénéficié d’un soutien international et d’un budget de plus d’un demi-milliard d’euros de la part de l’UE.

Parce que les Israéliens et les Palestiniens ont tenté d’accroître leur contrôle sur la zone C, dans notre étude, nous avons examiné empiriquement le degré de contrôle israélien et palestinien sur la zone C dans quatre domaines : démographique, spatio-géographique, économique et social (opinion publique). Dans le domaine démographique, les données du Bureau central israélien des statistiques (CBS) indiquent que le nombre d’Israéliens vivant en Cisjordanie (tous les colons israéliens résident dans la zone C) est passé de 311 300 en 2010 à 491 548 en 2023, soit une augmentation de 58 %. Malgré l’actuel gouvernement de droite, l’augmentation nominale de la population en 2023 n’était que de 13 345 habitants, soit 4 % de moins que la croissance annuelle moyenne sur l’ensemble de la période considérée. Le nombre de Palestiniens vivant dans la zone C est passé de 70 220 en 2010 à 354 000 – soit une augmentation de 504 pour cent ! Ce chiffre explique la baisse spectaculaire de la proportion d’Israéliens par rapport à la population totale de la région. En 2010, les Juifs représentaient 81,6 % de la population de la zone C, mais leur proportion a régulièrement diminué pour atteindre seulement 58,1 %. Le déclin du contrôle démographique israélien sur la zone C est le résultat de plusieurs facteurs : une baisse continue du taux de croissance annuel des Israéliens vivant au-delà de la Ligne verte, de 5 % au début de la période à 2,7 % à la fin ; une baisse du solde migratoire total en zone C, de 4 160 en 2010 à quelques centaines seulement au cours des quatre dernières années. En effet, en 2020, le solde migratoire était négatif (plus d’Israéliens ont quitté la Cisjordanie que s’y sont installés). Après avoir augmenté régulièrement, le taux de natalité est également resté stable ces dernières années, à 12 500. Du côté palestinien, un processus inverse a été documenté, avec une migration importante et une expansion des zones bâties des zones A et B vers la zone C.

Dans le domaine spatio-géographique, 34 avant-postes illégaux (illégaux selon les critères du système judiciaire israélien) ont été blanchis (c’est-à-dire devenus légaux) au cours de la période de notre étude ; une minorité a été déclarée colonies indépendantes, mais la majorité a été incorporée en tant que nouveaux quartiers dans des colonies existantes. Fin 2023, le nombre de colonies était de 127 et le nombre d’avant-postes illégaux de 121. Du côté palestinien, il y avait 12 522 groupes de maisons en 2010 (chaque groupe allant d’une seule maison à des dizaines de maisons). En 2023, ce chiffre avait plus que doublé pour atteindre près de 28 000 clusters, malgré la démolition de quelque 8 000 maisons par Israël au cours de cette période. La zone bâtie totale israélienne, y compris les colonies, les avant-postes, les zones industrielles et les bases militaires, a atteint 8 000 hectares cette année (2,4 % de la zone C), tandis que la zone bâtie palestinienne dans la zone C a augmenté de façon spectaculaire, passant de 6 780 hectares en 2010 à 14 800 hectares aujourd’hui (4,44% de la zone C).

Dans le domaine économique, deux tendances opposées peuvent être observées. La croissance continue de la communauté Haredi (ultra-orthodoxe) dans la population des colons (les Haredim représentent désormais 39 % de la population juive de Cisjordanie, soit plus de trois fois leur proportion dans l’ensemble de l’État d’Israël) a accru la proportion de pauvres dans l’ensemble de la population des colons. La proportion de colons classés dans le groupe socio-économique 1 (le groupe le plus bas) a augmenté et représente désormais près de la moitié de la population juive totale de Cisjordanie. Cependant, contre-intuitivement, le classement socio-économique moyen de toutes les colonies juives de Cisjordanie a augmenté ces dernières années grâce au soutien gouvernemental sans précédent, sous la forme de diverses subventions, et s’élève désormais à 4,3 sur l’échelle socio-économique (un score encore faible). Les colons de Cisjordanie constituent donc une population essentiellement pauvre qui est maintenue sous assistance respiratoire par le gouvernement pour des raisons idéologiques. La croissance annuelle de la population israélienne en Cisjordanie ces dernières années repose presque entièrement sur la croissance naturelle, dont 43 % proviennent de la population haredi. On peut donc s’attendre à ce que le déclin économique se poursuive malgré un soutien important du gouvernement. Cela augmentera probablement la polarisation entre la communauté haredi et les secteurs national-religieux et laïcs plus riches.

La population palestinienne est plus faible en termes économiques que les colons, mais l’intrusion des constructions palestiniennes dans la zone C est due, entre autres facteurs, à la construction privée sur la plupart des terres adaptées à cet effet. Le soutien financier de l’UE et des pays arabes pour cette construction est un facteur crucial. Si cette tendance se poursuit, la croissance économique palestinienne dans la zone C continuera probablement.

La politique d’Israël concernant la zone C a été un échec non seulement sur le terrain, mais aussi en termes de tentative de « s’installer dans le cœur » du public israélien et de normaliser la vie en Cisjordanie comme si elle faisait partie intégrante de l’ État d’Israël. Plus d’une centaine d’attractions culturelles, touristiques et religieuses ont été développées dans la région : le Collège de Judée et Samarie a été transformé en Université Ariel au cœur de la Cisjordanie ; la Ligne verte a été masquée sur les cartes officielles et dans les manuels scolaires ; et l’élite politique israélienne soutient massivement l’entreprise de colonisation. Pourtant, l’opinion publique israélienne n’est toujours pas convaincue. Même après l’attaque du 7 octobre, une majorité de Juifs israéliens (55 %) préfèrent la séparation des Palestiniens, soit dans le cadre d’un accord bilatéral, soit dans le cadre d’un retrait partiel initié par Israël, plutôt que l’annexion ou la poursuite de la politique d’annexion rampante actuelle (pour les résultats complets des enquêtes, voir www.whatisraelisthink.com). Deuxièmement, les Israéliens désapprouvent les avantages accordés aux colonies que ne reçoivent pas las autres citoyens israéliens. Lorsque nous avons comparé le budget par habitant des autorités locales de Cisjordanie en 2023 (environ 1 000 dollars) à celui d’Israël (environ 600 dollars), seul un quart des Juifs israéliens soutenaient la priorisation budgétaire des autorités locales au-delà de la Ligne verte. Le niveau de soutien diminue encore lorsque les Juifs israéliens sont confrontés au fait que la priorité budgétaire accordée aux colonies par rapport aux zones périphériques d’Israël a augmenté au fil des années. Les récents gouvernements israéliens ont tenté non seulement de déjouer les manœuvres des Palestiniens, mais aussi de contourner la large opposition du public juif à la priorité accordée aux colonies et aux efforts unilatéraux visant à prendre le contrôle de la Cisjordanie.

L’onde de choc créée par les horribles événements du 7 octobre a ouvert l’occasion de réexaminer la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens. À l’heure actuelle, le gouvernement opte pour les mêmes vieilles recettes ratées, comme en témoigne sa décision, alors que la guerre fait toujours rage, de promouvoir la construction de 3 000 nouveaux logements en Cisjordanie (une décision qui a mis en colère l’administration Biden et a conduit à la réintégration des colonies comme étant illégales). Il est temps de tirer les leçons des erreurs du passé. Au lieu de mener une guerre messianique pour une zone de terre habitée par des Palestiniens qui ne fera jamais partie d’Israël (si Israël souhaite continuer à se définir comme juif et démocratique), et au lieu de dilapider les ressources limitées de la nation pour le plus infructueux projet immobilier de son histoire, Israël doit changer de cap. La nouvelle orientation devrait être basée sur une définition plus large de la sécurité, qui considère la résolution du conflit israélo-palestinien comme un élément essentiel de sa sécurité, qui pourrait garantir les besoins fondamentaux de survie et de développement. Pour ce faire, Israël doit honorer les engagements qu’il a pris lors de la signature de l’accord intérimaire et considérer la zone C comme un dépôt temporaire qui fera éventuellement partie d’un futur État palestinien. S’il adopte cette approche, Israël sera en mesure de rétablir sa position actuellement fragile au sein de la communauté internationale, de renforcer à la fois sa sécurité et sa démocratie, et de cesser de gaspiller ses efforts pour atteindre un objectif voué à l’échec.

Cet article a été rédigé en coopération avec l’Université Reichman.