Fatou Bensouda, Procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI) a conclu de son examen préliminaire que des crimes de guerre ont été commis par Israël en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza. Il n’ y aura cependant pas procès dans l’immédiat car elle demande aux juges de se prononcer au préalable sur une épineuse question juridique, celle du territoire sur lequel la CPI a compétence.

Contrairement à ce que les media israéliens ont largement relaté, il n’y a ni effet de surprise, (la procédure a été lancée il y a 5 ans alors que la Procureure achève son mandat en juin 2021), ni imminence du risque – bien réel cependant – de lancement d’enquête, d’inculpations et de procès, ni passage sous silence de crimes de guerre « que des membres du Hamas et des groupes armés palestiniens ont commis » divers crimes de guerre, dont « la base raisonnable est reconnue. »
La prise de position publique par Netanyahu en faveur de l’expansion des implantations et de l’annexion de larges secteurs de la Cisjordanie n’a évidemment pas contribué à convaincre la Procureure de clore la procédure, décision d’autant plus improbable que l’hostilité à Israël est incontestable.

Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Photo : Fatou Bensouda,  procureure générale de la Cour pénale internationale ©REUTERS/Eva Plevier/Pool

Auteur : Pnina Sharvit Baruch pour INSS Insight No. 1239, 23 décembre 2019

https://www.inss.org.il/publication/the-international-criminal-court-on-israel-another-step-toward-investigation/?offset=3&posts=228

Article mis en ligne le 20/01/2020


 

Le vendredi 20 décembre 2019, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé sa décision d’ouvrir une enquête sur la  » situation en Palestine  » concernant les crimes de guerre commis par toutes les parties au cours de l’opération Bordure protectrice ainsi que le  » crime des implantations  » et les incidents de tirs le long de la barrière de Gaza. Elle a demandé qu’une Chambre préliminaire rende une décision sur la portée de la compétence territoriale à l’appui de sa position d’après laquelle la Palestine peut être considérée comme un État comprenant toute la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et la bande de Gaza. Israël peut s’attendre à une bataille difficile, surtout en ce qui concerne le  » crime des colonies « . Toutefois, en ce qui concerne les éventuels crimes de guerre commis pendant l’opération Bordure protectrice , la Procureure, qui a noté l’indépendance des tribunaux israéliens, a laissé une ouverture pour accepter qu’en vertu du principe de complémentarité, ces incidents ne relèvent pas de la compétence de la CPI si Israël mène de véritables enquêtes sur la question. Il y a donc encore une chance de bloquer les procédures internationales dans ce domaine.

En ce qui concerne l’opération bordure protectrice (été 2014), la Procureure se déclare convaincue qu’il y a des motifs raisonnables d’admettre que des crimes de guerre ont été commis par les Forces de Défense Israéliennes (FDI), notamment  » le lancement intentionnel d’attaques disproportionnées  » et  » le fait de tuer ou de blesser gravement et délibérément « . En outre, il existe des motifs raisonnables de croire que des membres du Hamas et des groupes armés palestiniens ont commis des crimes de guerre, notamment en  » dirigeant intentionnellement des attaques contre des civils et des biens de caractère civil « , en utilisant des civils comme boucliers humains et en commettant des actes délibérés de meurtre et de torture. La Procureure souligne qu’en ce qui concerne les crimes attribués aux soldats des  Forces de Défense d’Israël, il n’y a pas encore suffisamment d’informations pour statuer sur la question de leur recevabilité pour une décision de la CPI, car la procédure se poursuit en Israël; la question sera évaluée au cours de la phase d’enquête. D’autre part, il n’y a aucune chance réelle que des enquêtes nationales soient menées sur les crimes du Hamas. Cela signifie que, si des procédures d’enquête et des poursuites sont engagées en Israël en réponse au comportement attribué aux FDI, est recevable l’argument selon lequel la Cour n’a pas compétence pour ces incidents en vertu du  » principe de complémentarité « , qui donne la priorité aux procédures menées dans l’État concerné.

En ce qui concerne les colonies, la Procureure déclare qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les autorités israéliennes ont commis le crime de guerre consistant à transférer des civils israéliens en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Elle note qu’étant donné qu’il n’y a aucune chance qu’Israël mène une enquête sur la question, un argument d’irrecevabilité en vertu du principe de complémentarité ne peut être avancé.

En ce qui concerne les protestations à la frontière de Gaza, selon la Procureure, l’enquête portera également sur les tirs israéliens sur les manifestants avec des moyens létaux et non létaux. Aucun chef d’accusation potentiel spécifique n’est cité dans ce contexte, contrairement aux détails fournis dans les autres affaires.

La Procureure souligne que les crimes identifiés lors de l’examen préliminaire ne sont que des exemples destinés à fournir une base pour l’existence de crimes de guerre qui relèvent de la compétence de la Cour, et qu’il est possible qu’au cours de l’enquête, d’autres affaires, y compris de nouveaux crimes, soient examinés.

La Procureure note que bien qu’il n’est pas nécessaire qu’une Chambre préliminaire autorise l’ouverture d’une enquête en tant que telle, étant donné qu’un examen a été effectué à la suite d’un renvoi explicite par un État concerné (la Palestine), elle demande l’avis de la Chambre sur l’étendue de la compétence territoriale de la Cour dans la situation en Palestine. Plus précisément, elle demande la confirmation que le territoire sur lequel la Cour peut exercer sa compétence comprend le  » territoire palestinien occupé « , c’est-à-dire la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et la bande de Gaza.

Dans son avis juridique, la Procureure présente les raisons pour lesquelles elle estime que la Palestine peut être considérée comme un État aux fins de la compétence de la Cour. Premièrement, elle affirme que l’acceptation par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Palestine en tant qu’État observateur suffit à cette fin. Au-delà de cet argument formel, elle présente un examen détaillé de l’autre argument selon lequel la Palestine remplit également les conditions de fond requises pour être un État en vertu du droit international. La Procureure fait valoir que, même si la Palestine n’exerce pas un contrôle total sur l’ensemble du territoire de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, qui est sous contrôle israélien, et sur la bande de Gaza, qui est sous le régime du Hamas, elle devrait néanmoins être reconnue comme un État dans l’ensemble du territoire pour trois raisons : premièrement, compte tenu du droit reconnu au peuple palestinien à l’autodétermination dans le « territoire palestinien occupé » ; deuxièmement, compte tenu des conséquences préjudiciables des violations continues du droit international par Israël dans la construction des colonies et de la clôture de sécurité, qui entravent la réalisation de ce droit à l’autodétermination ; et troisièmement, compte tenu du fait que 138 États ont reconnu un État de Palestine.

La Procureure souligne que la question de savoir quelle partie est responsable de l’impasse actuelle des négociations n’est pas pertinente, car il ressort clairement de la conduite d’Israël qu’il n’a pas l’intention de mettre fin à la politique qui entrave la mise en œuvre du droit des Palestiniens à l’autodétermination et pourrait chercher à annexer ces territoires, comme le Premier Ministre Netanyahu s’est engagé à le faire s’il est réélu. La Procureure souligne en outre que le fait de traiter la Palestine comme un État est conforme à l’objet et au but du Statut de Rome, qui est d’empêcher les criminels de guerre d’échapper à la justice, étant donné qu’Israël considère que les colonies sont légales et que la Haute Cour, malgré son indépendance reconnue, a jugé la question  » non justiciable « . La Procureure affirme que les limitations de la compétence pénale de l’Autorité palestinienne, telles qu’elles sont énoncées dans l’Accord intérimaire, n’affectent pas la compétence éventuelle de la CPI pour examiner tout crime commis sur le territoire de la Palestine. De plus, le manque de contrôle de l’Autorité palestinienne sur Gaza et l’incertitude quant aux frontières définitives de la Palestine n’affectent pas la compétence de la CPI pour examiner les crimes commis sur un territoire considéré comme appartenant à cet État, même si, en fin de compte, la frontière est modifiée à la suite d’échanges de terres avec Israël.

L’analyse de la Procureure montre clairement qu’elle est convaincue que la politique d’Israël dans les territoires est illégale et inflige une injustice aux Palestiniens. Elle accorde manifestement un grand poids aux décisions des organes des Nations Unies, notamment l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme, qui sont bien connus pour leur parti pris anti-Israël, ainsi qu’à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice concernant la légalité de la clôture, qui comporte des conclusions sévères à l’encontre de la politique israélienne. Elle cite en outre les positions d’autres parties, comme l’Union européenne, concernant l’illégalité des colonies de peuplement. La Procureure n’accorde que peu de poids au fait que la question des colonies et des frontières est censée être réglée dans le cadre de négociations entre les parties et ne tient pas compte de la réalité complexe de la sécurité – ignorant totalement, par exemple, la vague de terrorisme du début des années 2000 dans son compte-rendu détaillé du contexte historique du conflit.

La balle est maintenant dans le camp de la Chambre préliminaire, qui doit rendre son jugement dans un délai de 120 jours. Dans le cadre de la procédure qui s’y déroule, toute partie intéressée peut présenter des observations à la Cour. Israël a donc la possibilité de présenter sa position, bien qu’il n’ait pas adhéré au Statut de Rome portant création de la Cour. Toutefois, on craint que sa participation au processus ne lui confère une plus grande crédibilité. Quelques heures avant l’annonce de la  Procureure, le ministère de la Justice et le ministère des Affaires étrangères israéliens ont publié la position officielle d’Israël sur la question. Il est clair que cette position est destinée à la Cour alors qu’elle délibère de sa décision ainsi qu’aux États et organes qui sont susceptibles de présenter des positions devant la Cour, mais sans qu’Israël participe officiellement au processus lui-même.

Malgré les pressions qui seront sans doute exercées sur la Cour, il est plus que probable que celle-ci adoptera la position de la Procureure selon laquelle sa compétence couvre l’ensemble des  » Territoires palestiniens occupés « . Le siège de la Chambre préliminaire est fixe, de sorte que ce sont les mêmes juges qui ont décidé en novembre 2018 que la Procureure devait revoir sa décision de ne pas ouvrir d’enquête dans l’affaire de la flottille de Marmara, et qui ont donné des instructions, de manière sans précédent, en juillet 2018, pour que le greffier de la Cour mette en place un mécanisme d’information et de sensibilisation des victimes en Palestine alors que l’examen préliminaire était encore en cours. En d’autres termes, il s’agit d’une instance dont l’attitude envers Israël est pour le moins inamicale.

Le sens d’une enquête est que les fonctionnaires israéliens, tant ceux de l’armée, à divers grades, que ceux qui encouragent les activités dans les colonies, pourraient faire l’objet de poursuites pénales ainsi que de mandats d’arrêt ou de citations à comparaître délivrés à leur encontre. Un mandat d’arrêt peut être délivré en secret, à l’insu de la personne qui en fait l’objet. Un État membre de la CPI est tenu d’exécuter un mandat d’arrêt et de transférer la personne visée à la Cour de La Haye. Il y a 122 pays qui sont parties à la Cour, dont presque tous les pays d’Europe occidentale et des Amériques, mais pas les États-Unis, ainsi que l’Australie, le Japon et d’autres pays d’Afrique et d’Asie. Les ministres et chefs d’État, y compris ceux qui sont encore en fonction, ne bénéficient d’aucune immunité de la Cour. Ce qui est important, c’est que si des mandats d’arrêt sont délivrés contre des personnalités israéliennes de haut rang, leur capacité à se rendre dans de nombreux pays sera limitée.

En conclusion, la décision de la Procureure n’est pas surprenante en soi, car la plupart des attentes étaient qu’une enquête serait ouverte sur cette affaire dans un avenir proche. Cela dit, la Procureure a procédé à un examen approfondi, qui n’était pas nécessaire à ce stade et qui s’est caractérisé par une adoption totale du narratif palestinien sur le conflit. La Chambre préliminaire, qui est censée se prononcer sur la demande, est connue pour ses positions hostiles à l’égard d’Israël. Il en résulte qu’Israël peut s’attendre à une bataille difficile, en particulier en ce qui concerne le  » crime  » des colonies de peuplement. D’autre part, en ce qui concerne l’opération Bordure protectrice, la Procureure, qui a noté positivement l’indépendance des tribunaux israéliens, a laissé une ouverture pour l’acceptation de l’argument selon lequel, en vertu du principe de complémentarité, les prétendus crimes de guerre ne relèvent pas de la compétence de la CPI si Israël mène de véritables enquêtes sur la question. Il reste donc une chance de bloquer les procédures internationales dans ce domaine. Des tribunaux forts et indépendants sont une condition pour cela.