« Israël doit choisir entre la bande d’extrémistes dirigée par Netanyahu, qui a plongé Israël dans la pire crise de son histoire, et ceux qui ont tenté de les arrêter avant le 7 octobre et alertent désormais sur de nouveaux dangers. »

L’éditorial du Haaretz du 16 mai résume terriblement le choix  qui s’offre aux Israéliens à la suite des déclarations fracassantes du ministre de la Défense Yoav Gallant, mercredi 15 mai, et de Benny Gantz le 18 mai.

Coup sur coup, ce sont donc les deux principaux membres du cabinet de guerre qui ont ouvertement accusé le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, de faire primer ses intérêts personnels sur le bien d’Israël.

Cette fronde est tragiquement tardive, tant la faillite et les compromissions de Netanyahu sont criantes depuis plus de 7 mois, mais il faut saluer ce sursaut et espérer qu’il amorcera la chute du gouvernement actuel, de très loin le pire de l’histoire d’Israël.

Il y a en effet urgence. Le 14 mai, plusieurs ministres du gouvernement participaient à une marche de l’extrême-droite suprémaciste, appelant à réoccuper Gaza et à pousser ses habitants au départ. Même s’ils sont exclus du cabinet de guerre, les éléments les plus extrémistes de la coalition Netanyahu n’en diffusent pas moins auprès de l’opinion et d’une partie des soldats le sous-texte qu’ils entendent donner à la guerre : celui d’une guerre de vengeance et de reconquête, motivée par l’expansionnisme messianiste qu’ils mettent quotidiennement à l’œuvre en Cisjordanie, et au nom duquel ils sont prêts à sacrifier les otages.

Surtout, en menaçant régulièrement de faire éclater la coalition, ce sont eux qui tiennent Netanyahu, dont l’unique objectif désormais est de se maintenir au pouvoir. Il en résulte une confusion détestable entre les véritables objectifs de guerre d’Israël et leurs déclarations incendiaires et déshumanisantes.

Il en est ainsi des propos tenus le 29 avril par Bezalel Smotrich, appelant à une « annihilation totale » de Rafah, Deir al-Balah et Nuseirat. Des propos aujourd’hui utilisés devant la Cour internationale de justice comme une preuve de « l’intention génocidaire » de la guerre menée par Israël. L’offensive à Rafah, bien entendu motivée par des considérations toutes autres, est pervertie par de tels propos si ceux-ci ne sont pas fermement dénoncés et condamnés par le cabinet de guerre. Le maintien de Smotrich, Ben Gvir et Orit Strock au gouvernement entretient cette confusion entre leurs objectifs suprémacistes et les véritables objectifs d’Israël pour l’après-guerre, confusion d’autant plus grande que Netanyahu se refuse précisément à les définir.

C’est sur ce point qu’ont porté les plus vives critiques de Yoav Gallant dans sa déclaration fracassante du 15 mai, qui en dit long sur sa colère et sa frustration depuis 7 mois. Visant directement Netanyahu, il a affirmé n’avoir cessé d’alerter le gouvernement sur la nécessité impérative que la campagne militaire s’accompagne de la création d’une alternative politique palestinienne pour administrer Gaza après la guerre, et indiqué que sa demande, maintes fois réitérée, que la question du « jour d’après » soit mise à l’ordre du jour est restée systématiquement sans réponse. Il a affirmé avec force que seule l’administration de Gaza par des éléments palestiniens, soutenus par une coalition internationale, pourrait sauver Israël des deux autres options possibles, tout aussi catastrophiques : une bande de Gaza aux mains du Hamas, ou une bande de Gaza administrée par Israël, dont les conséquences seraient catastrophiques.

Prenant la parole à son tour samedi 18 mai au soir, Benny Gantz a lancé un ultimatum à Benyamin Netanyahu en exigeant qu’une stratégie pour l’après-guerre soit clairement définie, en dénonçant en des termes très offensifs la prise de pouvoir des éléments les plus extrémistes de la coalition gouvernementale, et en sous-entendant de manière très appuyée, comme Gallant avant lui, que Netanyahu fait passer la survie d’Israël après sa survie politique.

Il ne faut se méprendre ni sur Gallant ni sur Gantz. Tous deux sont les hommes qui mènent aujourd’hui l’offensive à Rafah et soutiennent son intensification. Gallant est loin d’être opposé à la colonisation en Cisjordanie – le 9 mai, il appelait à l’établissement d’une nouvelle implantation à l’est d’Ariel. Quant à Gantz, il a réaffirmé dans ce même discours son opposition à la création d’un État palestinien.

Ces prises de position doivent alerter ceux qui s’évertuent à défendre Netanyahu en pensant ainsi défendre Israël : les deux principaux membres du cabinet de guerre, favorables à la poursuite de celle-ci, alertent sur le danger que fait peser Netanyahu sur le pays en privilégiant sa survie politique sur le bien d’Israël.

Israël doit de toute urgence organiser le « jour d’après » à Gaza. La guerre déclenchée par le Hamas le 7 octobre est désastreuse, elle s’enlise et menace de se propager au nord du pays. Elle ne remplit aucun de ses objectifs. Les otages sont toujours aux mains du Hamas, après 224 jours de torture. Les Israéliens de localités proches de Gaza et du nord sont encore des réfugiés de l’intérieur. Le prix est effroyablement lourd pour les Gazaouis. Morts et blessés, les victimes civiles sont innombrables, et toutes les infrastructures du territoire sont en ruines. La guerre produit un drame humanitaire sans parvenir à empêcher le Hamas de régner sur l’enclave. Elle abîme l’image d’Israël de manière dramatique, et fragilise un soutien international indispensable à la survie du pays, à l’heure où la menace d’un conflit de grande ampleur à la frontière nord s’aggrave de jour en jour face aux frappes répétées du Hezbollah.

Netanyahu se satisfait de cet enlisement, dont il espère tirer le bénéfice politique en se présentant aux prochaines élections comme le seul prêt à « aller jusqu’au bout », en poursuivant l’objectif inatteignable d’un anéantissement total du Hamas. Celui qui a consacré sa carrière à la tête du pays à empêcher l’établissement d’un État palestinien entend faire des ruines de Gaza le parachèvement de son œuvre.

Il est urgent de l’arrêter.

Urgent qu’un accord de cessez-le-feu permette le retour des otages après 224 jours d’un enfer inimaginable.

Urgent que les habitants des localités proches de Gaza et du Nord retrouvent leurs foyers.

Urgent que cessent les souffrances des civils gazaouis, et que s’amorce le chantier colossal de reconstruction du territoire.

Urgent qu’Israéliens et Palestiniens puissent enterrer leurs morts, et tenter de « réparer les vivants ».

Urgent qu’une solution politique mette fin à ce conflit meurtrier.

Et que se construise enfin la paix, avec l’établissement d’un État palestinien aux côtés d’Israël.

La tache est immense, mais impérative.

À Gaza, se joue aussi le devenir d’Israël.

Alexandre Journo et Joseph Nathan