« Les jeunes adultes israéliens soutiennent beaucoup plus Trump que leurs aînés… Il est alarmant de voir la montée du venin anti-Harris dans les médias sociaux israéliens. »


Auteur : Fania OZ-SALZBERGER, Moment, 18 septembre 2024

Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

https://momentmag.com/opinion-fania-oz-salzberger-trump-harris-israelis-election/

Mis en ligne le 3 octobre 2024


Commençons par deux faits : Israël a la plus grande proportion de partisans de Donald Trump de tous les pays en dehors des États-Unis, et la plupart des Israéliens sont beaucoup plus intéressés par les affaires de leur pays que par l’élection présidentielle américaine.

Cela dit, un sondage réalisé le 19 août par JNS/Direct Polls, qui travaille – mise en garde – pour Channel 14, la chaîne de télévision pro-Netanyahou, a indiqué que 64 % des Israéliens soutiennent Trump pour la présidence des États-Unis, 28 % veulent Kamala Harris et 9 % n’ont pas d’opinion. Les jeunes adultes sont nettement plus favorables à Trump (93 % des 18-29 ans), tandis que le groupe le plus âgé est divisé en deux parties égales.

Les israéliens partisans  déclarés de Trump, dont la plupart s’appuient sur des informations et des slogans des bribes d’information, sont divisés en deux groupes. Le plus important, qui s’appuie directement sur Channel 14 et les influenceurs de Netanyahu sur les médias sociaux, considère Trump comme un grand ami d’Israël et du peuple juif qui lui aussi fait un usage manipulateur de son pouvoir mais à l’échelle mondiale. Ils attendent de l’Amérique de Trump qu’elle se comporte au Moyen-Orient comme un voyou parmi les voyous sur un champ de bataille perpétuellement sans loi, dans lequel « notre camp » doit être aussi agressif, téméraire et libre de toute contrainte morale que l’Iran, le Hamas et le Hezbollah. Ainsi, Trump devrait renforcer et régionaliser – peut-être même mondialiser – la politique actuelle du gouvernement Netanyahu à l’égard de Gaza.

Un plus petit groupe d’Israéliens soutient Trump non pas pour son amour supposé des Israéliens ou des Juifs, mais pour son imprévisibilité et son agressivité, espérant que même si Netanyahou reste au pouvoir, Trump pourra le conduire, le forcer ou le faire chanter vers un accord israélo-palestinien. Mais aussi tentant que cela puisse paraître, les voyous ne sont pas doués pour sauver les démocraties en danger. Sous Netanyahu, la corruption est florissante et son ministre de la Justice est une fois de plus occupé à démanteler le pouvoir judiciaire en tant que branche indépendante du gouvernement.

Même si M. Netanyahu est contraint de signer un accord avec Mahmoud Abbas ou son successeur, que restera-t-il de la société israélienne lorsque la coalition actuelle aura mis complètement fin à la séparation des pouvoirs? En outre, l’érosion continue de la démocratie américaine serait-elle une bonne chose pour le monde, sans parler d’Israël ?

Puis arrive Kamala Harris. Je me range aux côtés de plus de la moitié des Israéliens qui sont profondément reconnaissants à Joe Biden pour son soutien indéfectible et clairvoyant à notre pays depuis les premières heures de la calamité du 7 octobre. Un autre sondage JNS/Direct réalisé le 9 juillet, avant que Biden ne quitte la course, a montré que si 55 % des Israéliens soutenaient déjà Trump, Biden obtenait 34 % – soit nettement plus que Harris en août.

Il est alarmant de voir la montée du venin anti-Harris dans les médias sociaux israéliens et dans la presse de droite, suivant directement les indications de la campagne de Trump. Alors que Biden a été dépeint comme « endormi » et « sénile », Harris, plus jeune et énergique, est traînée directement dans la boue du racisme et de la misogynie. Elle est constamment présentée à tort comme une protégée de Barack Obama et, en tant que femme noire, elle est assimilée à l’« équipe » anti-israélienne des démocrates par des analystes qui devraient en savoir plus. Un autre stéréotype privilégié est qu’elle est une idiote qui ne peut pas mettre deux phrases bout à bout. Très peu, parmi ses antagonistes israéliens, s’en tiennent à des préoccupations légitimes, telles que le choix de ses conseillers. La plupart de ses critiques la considèrent comme un membre automatiquement suspect du Sud global. Cela reste un peu plus poli qu’un commentaire de lecteur que j’ai trouvé sur un site d’information juif orthodoxe, que les rédacteurs n’ont apparemment aucun problème à diffuser : « Harris est une Arabe puante ».

Une élection lourde de conséquences
Je fais partie des 28 % d’Israéliens, peut-être plus, qui placent prudemment leurs espoirs en Mme Harris. Nous faisons davantage confiance à ses valeurs démocratiques qu’à l’arrogance de Trump, qui se fiche des valeurs. Nous préférons la fermeté de  Mme Harris à l’agressivité de son rival; son bon sens à la rancœur de ce dernier; son optimisme à l’apitoiement de celui-ci. L’empathie humaine de Mme Harris pour les victimes innocentes de Gaza est, à notre avis, tout à son honneur; tout comme son soutien sincère au droit d’Israël à exister en paix.

Pour ma part, je pense qu’aucun ami d’Israël ne peut actuellement rester ami de Netanyahu et de son gouvernement, qui est devenu incompatible avec les objectifs historiques du sionisme : la sécurité, la liberté, la solidarité civique et la légitimité internationale.

Un véritable ami d’Israël doit nous aider à libérer les otages survivants – à l’heure actuelle, Biden fait plus pour cette cause que Netanyahou – puis à vaincre le Hamas et le Hezbollah et à contrecarrer l’Iran. Nous aurons certainement besoin de l’aide de quelques frappes militaires ciblées, mais le seul moyen définitif de vaincre le fanatisme islamiste mortel est politique. Notre meilleure perspective est une négociation régionale dure, patiente et énergique, qui aboutira à un compromis territorial. Il s’agira d’un chemin long et prudent vers deux États, l’État palestinien étant démilitarisé pendant au moins une génération. Je ne vois pas Trump s’engager sur une telle voie, car celle-ci nécessitera de nombreux moments de courage, d’honnêteté et d’altruisme. Mais on peut raisonnablement espérer que le leadership, les capacités d’analyse et la forte personnalité morale de Mme Harris seront à la hauteur. À une époque marquée par une cruauté indicible, et une absence de leadership responsable pour affronter l’ampleur des enjeux actuels, l’espoir d’une victoire de Mme Harris n’est pas de trop.