Quelque 150 roquettes, missiles de croisière et drones ont été tirés par le Hezbollah dans la nuit de samedi à dimanche sur le nord d’ Israël. La banlieue de Haïfa (Kiryat Bialik) a été directement touchée. L’enthousiasme suscité par l’opération des bipers est retombé même si la fierté demeure. La population du nord d’Israël comprend que les succès tactiques ne règlent en rien la situation et qu’à eux-seuls, ils ne permettant nullement d’envisager un retour prochain des dizaines de milliers d’habitants « déplacés de l’intérieur » depuis des mois. Il est impensable qu’ils rentrent chez eux pour vivre dans les abris.

C’est pour cela qu’une partie de la population demande de ne pas en rester là, de « continuer le travail » par une offensive militaire dans le but d’établir une zone tampon dont le Hezbollah serait exclu, s’étendant du sud du Litani jusqu’à la frontière. Il s’agirait pour Israël d’obtenir par la force ce que la diplomatie n’a pas permis, à savoir l’application « pleine et appropriée » de la résolution 1701 qui a mis fin à la guerre de 2006 entre l’État hébreu et le Hezbollah. Conformément à cette résolution, le sud du Litani aurait dû être une zone démilitarisée, avec pour seule présence armée celle de la Finul et de l’armée libanaise. On est habitué à ce qu’Israël récuse ou transgresse les résolutions internationales : dans le cas présent, c’est Israël qui réclame le respect d’une résolution de l’ONU.

Mais une telle opération militaire ne se ferait pas sans causer souffrances et destructions tant en Israël qu’au Liban. Ce serait déjà une bonne raison de tout mettre en œuvre pour trouver une solution alternative à une situation à l’évidence intolérable et qu’aucun pays n’accepterait. Une milice, non pas le gouvernement du pays dans lequel elle est implantée, tire quotidiennement sur un pays voisin – ces deux pays n’ayant pas de litige territorial si ce n’est le contentieux des fermes de Chebaa – par « solidarité » avec le Hamas engagé dans un conflit que celui-ci a lui-même provoqué. Et sous couvert de cette pseudo solidarité, des milliers de projectiles ont déjà été tirés sur Israël, obligeant la population civile à (é)migrer à l’intérieur du pays. Ce déplacement massif de civils touche également les Libanais du Sud qui en masse ont été contraints de fuir et qui, le plus souvent, ne peuvent compter que sur l’aide familiale ou celle de la société civile en l’absence d’un État défaillant.

Humainement coûteuse, cette hypothétique offensive serait sans doute illusoire au plan sécuritaire et désastreuse au plan politique et diplomatique, illusoire à moyen terme dans la mesure où l’armement dont dispose le Hezbollah lui permet de tirer à longue distance et annihile l’impact sécuritaire d’une telle zone tampon, à l’exception d’infiltrations terrestres. N’oublions pas que les projectiles des Houttis atteignent Israël après avoir parcouru plus de 1800 km. Ces missiles lui sont fournis par l’Iran qui alimente aussi le Hezbollah. Là est le cœur du problème : repousser le Hezbollah de la frontière israélienne ne le rend pas incapable de tirer sur Israël. De même, la destruction de son stock d’armes, pour autant que ce soit faisable, ne rend pas impossible son ravitaillement par la mer ou bien par la Syrie.

L’offensive militaire à elle seule est donc une solution qui n’en est pas une. On ne peut s’empêcher de se demander si, fausse solution au problème que pose le Hezbollah, elle n’en est pas moins une vraie solution au problème Netanyahu. La poursuite des opérations militaires est une garantie de survie politique. Aucun des objectifs proclamés s’agissant de Gaza n’a été atteint même si le Hamas a été incontestablement affaibli à court terme. Il n’a pas été éradiqué, les otages ne sont pas revenus ou, plus exactement, ils sont revenus vivants lorsqu’il y a eu accord, dans des cercueils, la plupart du temps, lorsque seule la pression militaire a été exercée. De victoire complète il n’y a pas eu sauf celle de Netanyahu : incontestablement, se maintenir au pouvoir après le 7 octobre et malgré la mobilisation citoyenne est une victoire: elle l’est pour lui et son clan à défaut de l’être pour le pays. Dans ces conditions, la guerre au Nord n’aurait-elle pas pour objectif essentiel de prolonger cette victoire plutôt que d’éradiquer la menace du Hezbollah et permettre le retour des déplacés dans leurs foyers? Le fait qu’une telle hypothèse puisse être formulée, qu’elle soit plausible, assumée par nombre d’Israéliens, témoigne d’une dégradation de la cohésion de la société israélienne.

Au Liban également, comme ailleurs, il n’y a pas de solution exclusivement militaire. Il faut lui adjoindre un volet politique et diplomatique qui passe dans l’immédiat par un accord à Gaza et la libération des otages. Cet accord devrait entraîner l’arrêt de l’agression du Hezbollah pour autant que l’Iran, acteur majeur du conflit, ne souhaite probablement pas sa généralisation tant que son programme nucléaire n’est pas achevé. Souhaitable et positif certes, le seul arrêt des combats ne saurait suffire. Les habitants du nord d’Israël, (et les Libanais du sud) ne peuvent en aucun cas se contenter d’un simple retour à la situation antérieure. La menace doit être durablement écartée, ce qui passe par une alliance régionale permettant d’empêcher l’approvisionnement du Hezbollah et sa reconstruction militaire… et peut-être même la reconstruction d’un État au Liban sur l’absence duquel le Hezbollah a su prospérer.

Une solution qui irait au-delà d’un simple cessez-le-feu n’est envisageable que si le gouvernement israélien se décide à penser au « jour d’après » et à accepter les concessions indispensables à l’établissement d’une alliance régionale, confortée par les grandes puissances. Elles ne peuvent faire l’impasse sur le volet palestinien. Il est illusoire de penser que la colonisation puisse se poursuivre et se développer, inclure Gaza comme le veulent certains « fous de dieu » israéliens, et que le calme puisse régner dans la région.

On ne peut que souhaiter que la perspective d’un telle alliance donne à la démocratie israélienne la force de marginaliser ses extrémistes et de renouveler son personnel politique entaché de la responsabilité du tragique 7 octobre.

 

Illustration : Des membres du personnel d’urgence travaillent sur un site de maisons endommagées par une attaque à la roquette en provenance du Liban, à Kiryat Bialik, en Israël, dimanche. © : Shir Torem/Reuters.