Les mesures à prendre maintenant concernant la Bande de Gaza, la Cisjordanie et l’Iran ne peuvent être laissées aux mains d’un gouvernement incompétent.


Auteurs : Yair Golan, Chuck Freilich, Haaretz, 26 août 2024

Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

https://www.haaretz.com/opinion/2024-08-26/ty-article-opinion/.premium/divide-the-land-separate-from-the-palestinians-what-israel-should-do-after-gaza/00000191-8e0c-d7f9-a5bd-be1d593c0000

Photo : Constructions à Metula, au nord d’Israël, au début du mois d’août. ©: AFP

Mis en ligne le 5 septembre 2024


Les forces de défense israéliennes ont déjoué dimanche une attaque du Hezbollah contre un certain nombre de cibles stratégiques dans le nord et le centre d’Israël. Si l’attaque avait réussi, nous nous serions déjà retrouvés au cœur d’un conflit majeur, lequel pourrait encore être inévitable – et que nous pourrions être amenés à déclencher.

Le prix à payer sera élevé et le moment n’est pas opportun. La légitimité d’Israël à mener une guerre de grande envergure n’est pas reconnue internationalement, même de la part des États-Unis préoccupés par leurs prochaines élections. Le public israélien et Tsahal ont besoin d’un répit, et l’économie approche de la récession. Dans la mesure où nous pouvons influencer les événements, nous devrions donc reporter la confrontation à un moment où les circonstances seront plus propices.

Entre-temps, nous devons essayer d’affaiblir les liens entre les composantes de l’« axe de la résistance » dirigé par l’Iran (Iran, Hezbollah, Hamas, Houthis et diverses milices chiites) tout en nous efforçant d’assurer une coordination maximale avec les États-Unis.

Il est important de ne pas perdre de vue le tableau général de la situation. La débâcle du 7 octobre ne peut être effacée par un succès dans le nord, et certainement pas par des promesses spécieuses de « victoire totale » dans le sud. Nous avons déjà épuisé les principales réalisations militaires de Tsahal à Gaza et gaspillé les opportunités diplomatiques qu’elles ont engendrées.

Les otages continuent de dépérir dans les tunnels, l’axe iranien se renforce, la position internationale d’Israël est désastreuse et nous sommes confrontés au risque d’une défaite stratégique globale. Dans les circonstances, il nous incombe à tous de prendre en charge notre destin national. Un gouvernement irresponsable et incompétent n’est pas en mesure de le faire.

Le changement nécessaire doit commencer par un accord visant à mettre fin à la guerre à Gaza et à ramener les otages chez eux, ce qui peut encore ouvrir la voie à un cessez-le-feu dans le nord également. Il faudra ensuite mettre en place un gouvernement alternatif et un régime de sécurité efficace à Gaza, afin que nous puissions nous retirer. Autrement, nous deviendrons responsables de 2,1 millions de Gazaouis, l’extrême droite commencera à s’y installer et nous serons coincés dans la bande de Gaza pendant des générations, comme cela s’est produit de manière désastreuse en Cisjordanie.

L’alternative ostensiblement naturelle au Hamas, l’Autorité palestinienne, n’est pas prête à prendre le contrôle complet à Gaza et, de toute façon, Netanyahou refuse de lui accorder le moindre rôle. Par conséquent, une phase intérimaire impliquant les États sunnites et la communauté internationale est nécessaire. Toutefois, ces derniers ont conditionné leur volonté de s’impliquer à Gaza à l’obtention par l’Autorité palestinienne d’un rôle minimal dans la gestion du territoire.

L’annexion galopante de la Cisjordanie doit être stoppée, de peur qu’un « État de Judée » ne soit établi, ce qui transformerait Israël en un État fasciste et raciste, dont les ministres et les membres de la Knesset sont impliqués de facto dans des crimes de haine. Les événements du 7 octobre ont rendu impraticable une solution à deux États, du moins dans un avenir prévisible.

Cependant, la nécessité absolue de nous séparer des Palestiniens reste plus forte que jamais et, contrairement à ce que l’on pense généralement, l’idée fondamentale qui sous-tend les accords d’Oslo et le désengagement de Gaza – à savoir la nécessité de diviser la terre et de nous séparer des Palestiniens – était correcte.

L’échec réside dans la mise en œuvre de ce processus, dans l’abandon prématuré par Israël de sa responsabilité en matière de sécurité et dans sa volonté d’ignorer les échecs répétés des Palestiniens à satisfaire les critères fixés pour que que les choses puissent aller de l’avant.

Après le 7 octobre, Israël devra présenter aux États-Unis et à la communauté internationale deux demandes essentielles qu’ils sont plus susceptibles d’accepter aujourd’hui : des accords de sécurité véritablement inébranlables et (contrairement à ce qui s’est passé à Oslo) des critères sans équivoque pour évaluer l’état de préparation des Palestiniens à la création d’un État. L’acceptation de ces exigences transférera la charge des progrès dans les négociations aux Palestiniens et contribuera grandement à restaurer la réputation d’Israël, en particulier aux États-Unis.

Compte tenu des réalités politiques actuelles en Israël et chez les Palestiniens, le maximum que nous puissions raisonnablement viser aujourd’hui est une séparation civile, mais accompagnée d’un contrôle de la sécurité par Israël. En d’autres termes, Israël spécifierait le territoire qu’il n’a pas l’intention d’annexer (plus de 90 % de la Cisjordanie), entamerait le processus de retour des colons de ces régions et maintiendrait le déploiement complet de Tsahal dans toute la Cisjordanie à des fins sécuritaires.

La zone non annexée pourrait servir de base à une future solution à deux États, si elle s’avérait réalisable, ou à l’idée relancée d’une confédération jordano-palestinienne (et éventuellement égyptienne).

Aujourd’hui encore, après tout ce qui s’est passé, il existe un large consensus au sein de l’opinion publique, même sur la question la plus controversée, celle de nos relations futures avec les Palestiniens. Seule une minorité de la population souhaite annexer l’ensemble de la Cisjordanie ou rester à Gaza à long terme, tandis que la majorité des Israéliens estime qu’une solution à deux États n’est pas réalisable aujourd’hui et que de solides accords de sécurité sont indispensables avant que nous puissions nous retirer complètement de Gaza. Ce consensus constitue une base solide pour mener des négociations avec les Palestiniens, si et quand un futur gouvernement sera disposé à s’engager dans cette voie.

La question palestinienne est aujourd’hui inextricablement liée à la question iranienne. Des progrès avec les Palestiniens permettront une normalisation avec l’Arabie saoudite, l’intégration d’Israël dans la région et la formalisation d’une coalition anti-iranienne avec les États-Unis et les États sunnites – le scénario cauchemardesque de l’axe de la résistance et la victoire finale d’Israël à Gaza.

Les événements qui se sont déroulés depuis le 7 octobre, et en particulier l’échec de l’attaque de missiles iraniens le 14 avril, ont clairement démontré la nécessité d’agir aujourd’hui dans le cadre d’une coalition internationale.

La normalisation créera également des opportunités économiques pour Israël qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui, notamment un corridor commercial allant de l’Inde à l’Europe en passant par Israël, et conduira à une transformation complète du statut stratégique d’Israël.

La fin des conflits au sud et au nord permettra à la défense israélienne et à la communauté internationale de recentrer leur attention sur le plus grand danger : le programme nucléaire iranien.

Imaginez ce que seraient les conflits à Gaza et dans le nord si l’Iran avait déjà franchi le seuil nucléaire. Netanyahou a abandonné non seulement les habitants du nord et du sud d’Israël, mais aussi ce qu’il a lui-même défini comme la menace numéro un.

Le professeur Chuck Freilich est maître de conférences à l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS) et ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale.